Plusieurs personnes rencontrées aujourd'hui ont raconté qu'elles avaient vu des jeunes de vingt ans voire moins, tristes d'apprendre la mort de Michael Jackson. Certains, en larmes. Quelle époque vivons-nous où James Brown, Isaac Hayes et maintenant lui, nous quittent comme cela !
Il y a de quoi être fier d'avoir grandi avec sa musique. En 1982 nous avions 10 ans. En Martinique la télé était encore à l'âge de pierre et nous avions des bribes de cette "jacskonmania" qui commençait à secouer le monde. Avant d'avoir suffisamment d'argent de poche pour nous payer les disques, nous faisions avec les moyens du bord : enregistrements de cassettes de fortune, duplications, recupération avec des astuces de fortune le son de la télé... D'ailleurs, beaucoup de ces enregistrements vaudraient de l'or puisqu'ils sont rares. Comme le concert de 1975 à Mexico ou les images de la tournée de 1987-1988...
Alors que le monde va célébrer les 40 ans des premiers pas de l'homme sur la lune l'inventeur du moonwalk s'en est allé dans les étoiles. Ironie quand tu nous tiens...
A l'écart de l'avalanche de réactions et de commentaires, la plupart des gens ont eux la même idée, la seule qui vaille, écouter sa musique. Une musique autant visuelle que sonore. Visuelle avec ce corps qui donne le sentiment d'être complètement désarticulé et capable de toutes les audaces physiques au service de la danse, un vrai paradoxe pour ce personnage qui n'incarnait pas la puissance virile... Mais cette dimension androgyne a toujours existé dans la musique afro-américaine. Dans les groupes de doo wop et de rhythm and blues, il y a toujours eu un chanteur à la voix de fausset. Michael Jackson, bien qu'il révolutionna la musique populaire contemporaine, puisait dans les grands classiques. Il cultivait cette dualité si typique de la musique afro-américaine. L'inspiration du gospel - sa famille appartenait à l'église des Témoins de Jehova et l'attraction pour le "côté obscur", la "musique du diable" comme on dit... C'est ainsi que dans tous ses albums solo à partir de 1987, il y a une chanson "inspirée" comme le faisait depuis longtemps Stevie Wonder. Par exemple Man in the Mirror où l'on retrouve la chorale d'Andraé Crouch ou bien Will you be there sur Dangerous.
De l'autre côté, Thriller a frappé les esprits tant par la perfection qui pour l'époque était révolutionnaire, alors que de nos jours, même avec la banalisation des effets spéciaux dont on pouvait d'ailleurs percevoir les excès dans ses derniers clips, reste un chef d'œuvre inégalé.
La dualité était aussi sexuée car ce côté androgyne a toujours été fréquent. De Little Richard à Jimmy Scott sans oublier bien sûr Prince, le flou entre la virilité d'un côté et la féminité de l'autre était entretenu. Pour le coup, alors que la musique noire venait de connaître avec la révolution de la soul des années 60 et 70, l'affirmation de l'Homme ou de la femme noir, et que les rappeurs entrenaient une forme de machisme ou que des crooners comme Luther Vandross ou Teddy Pendegrass régalaient ces dames, un frèle jeune homme venait tout bousculer.
La dualité était bien sûr raciale. Michael Jackson fut, pour notre génération, un héros noir alors même que déjà, en 1983-1984, la polémique était là sur les opérations de chirurgie esthétique... Quincy Jones a dit de lui qu'il avait montré jusqu'où un noir pouvait aller. Pour le coup, il a incarné, volontairement ou non la contradiction inhérente à l'homme noir à l'épreuve du "monde des blancs" : être soi-même tout en subissant une crise identitaire récurente. Michael Jackson est un enfant de l'écurie Motown - deuxième époque. En 1969, le studio de Detroit vit ses dernières heures. Bientôt, tout le monde déménage à Los Angeles. Motown a toujours été moins "roots" que Stax et il est vrai que les Jackson Five sont un groupe d'enfants pour les enfants. certes, ils reprennent les classiques de l'époque dont le génial People make the world go 'round des Stylistics, mais ils ne feront jamais vraiment de chansons engagées avant We are the world. D'ailleurs, quand le groupe quitte Motown en 1976, le disco a déjà démarré...
Michael Jackson joue avec des musiciens de tous bords. Lui et ses frères ne sont pas des intégristes du funk contrairement à Kool and the Gang. Pour Triumph, Victory et Thriller, il joue avec les musiciens de Toto, Mick Jagger et Paul McCartney. Mais son succès, parce qu'il est noir, en fait un héros alors que nous sommes dans les années Reagan. C'est l'époque d'Arnold et Willy. On revendique moins, mais d'une certaine manière, on s'installe. Jesse Jackson est candidat aux primaires démocrates et il écrit des pages d'histoire en 1984 et 1988. Le Cosby show bat des records d'audience...
Le chanteur qui a longtemps noué une amitié très forte avec Diana Ross, est ami de Tatum O'Neal et Brooke Shield. Il est l'ami des stars. Avant lui, seul Sammy Davis avait réalisé ce "crossover". Il s'approprie en réalité ceux qui ont fait de Hollywood cette usine de rêve, Cary Grant, Marlon Brando et bien sûr, Liz Taylor. Mais dans les années 90 et 2000, il n'a jamais raté une occasion de faire des trucs avec des grandes stars noires du moment : Spike Lee, Eddie Murphy, Magic Johnson, Michael Jordan ou encore Chris Tucker...
La dualité qui est bien sûr la plus connue et la plus controversée est celle qui opposa l'enfant à l'adulte. La voix sembla ne jamais muer... En tout cas, il chanta toujours dans le même registre, ce qui fit d'ailleurs partir en conjecture une certaine presse qui ne lâcha jamais sur les opérations chirurgicales, les manipulations du père etc... Il est vrai qu'en comparaison avec ses frères, l'avant dernier garçon fut toujours le plus frêle. A l'instar d'un Prince qui fut une sorte d'alter ego ou de rival dans les années 80, il ne fut jamais un mâle velu, sauf quand il se transforme à la pleine lune... Il n'y eut que Thriller d'ailleurs pour choquer les bons chrétiens car Michael Jackson ne fut jamais un vrai méchant. Alors que le Kid de Minneapolis heurtait les bonnes mœurs de l'Amérique néo-conservatrice... La polémique fut telle, que Michael Jackson inséra en prologue du clip qu'il ne croyait pas dans les sciences occultes. De tout temps, les esclaves mélangeait cultes africains, sorcellerie et bondieuseries pourtant et Screamin' Jay Hawkins en fut un des derniers témoins avec son célèbre Henry, un crâne monté sur une canne...
Si dans les années 70 et début 80, il fut dans le classique, côté look, il ne suivit jamais la tendance "black". Il avait imposé un style vestimentaire très inspiré des années 50 et bien sûr, de la pègre...Ce hors mode, on le recopiait quand on allait en soirée... Bien sûr, on n'oserait pas les chaussettes blanches de nos jours !
Iréel ! Eh oui... Encore et encore. Il est mort comme il a vécu, en secouant le monde.