Depuis le 21 septembre, on peut voir sur Netflix, un excellent documentaire sur Quincy Jones. Réalisé par une de ses filles, le doc, revient sur l’extraordinaire carrière d’un personnage dont la vie et l’œuvre sont une sorte d’odyssée de la musique américaine.
La liste des personnes avec lesquelles il a travaillé depuis trois quarts siècles donne le tournis, tant elle est riche de noms légendaires. Il a travaillé avec les plus grands, mais il a aussi donné leur chance aux plus petits, car il n’a jamais oublié d’où il vient.
Un pt’it gars de Chicago, privé de sa mère à cause de la maladie. Il aurait pu mal finir si la musique ne l’avait pas sauvé.
Direction Seattle, puis New York, puis le reste du monde. Né dans l’Amérique des années trente, celles de la Grande dépression, il sait qu’on achève bien les chevaux et qu’on lynche bien les nègres. Qu’ils sont les victimes à la fois de racisme, criminalité, drogue, alcool, relégation.
Si les jazzmen amusent les Blancs, les restaurants ou les hôtels restent ségrégés, même dans ce Las Vegas naissant et s’il n’y avait pas eu un autre métèque, Sammy Davis ou Count Basie, mais aussi les autres, auraient continué à faire les frais de ce racisme imbécile de ces amateurs de jazz qui ne veulent pas de l’égalité pour les musiciens. Le bienfaiteur est un rital, Frank Sinatra. Comme quelques années plus tôt, quand un autre métèque, Al Jolson, celui qui connu la gloire en incarnant, le visage maquillé « le Chanteur de jazz », le premier film parlant de l’histoire du cinéma ! Al Jolson, pardon, Asa Yoelson est le fils du rav Moïse Rubin Yoelson, un hazan qui fait aussi office de mohel originaire d’un shtelt de Lituanie…
Quincy Jones apprend quasiment tout de son grand frère en blues, Ray Charles qui cumule le handicap d’être noir et aveugle, de Lionel Hampton, de Clark Terry… Il traine à New York dans la génération Birdland. Ce club fondé par les frères Levy en l’honneur de Charlie Parker. Il y côtoie Clifford Brown, disparu trop tôt, Miles Davis, Dizzie Gillespie… Ces jeunes gens ont inventé le be-bop, une révolution musicale et culturelle !
En effet, tout le monde s’est approprié le jazz, très vite et le swing des grands orchestres, ceux de Jimmy Lunceford, de Benny Goodman ou de Glen Miller a commencé à devenir un peu académique, même s’il bouge bien. Le Bop consiste finalement à se réapproprier la partie « sauvage » et à chaque fois, le jazz connaîtra ces cycles. Il ne veut pas de limites !
Dizzy Gillespie s’intéresse aux rythmes latins et il va bientôt inventer l’afro-cubain, avec notamment un titre, « Manteca » que Quincy Jones fait sien au début des années soixante dix en mélangeant ces sons latins au funk… Excellent !
A la fin des années 40, Miles a proclamé la naissance du cool que les musiciens blancs de la côte ouest adoptent massivement tant elle colle au style californien.
Quincy Jones a lui aussi son orchestre. Avec lequel il voyage en Méditerranée et en Europe.
Comme tous les musiciens de jazz, il trouve dans la France une seconde patrie. On est à la fin années 50- début années 60, Paris se passionne depuis longtemps pour cette musique de nègres. Mais pour lui, il ne s’agit pas seulement d’écumer les salles de concerts, il veut aussi progresser. Il va suivre les cours d’une grande dame de la théorie musicale, Nadia Boulanger et faire la connaissance d’un homme incontournable pour la musique, Eddie Barclay.
« Q » comprend assez vite que la musique est aussi affaire de fric. La rencontre avec la grande Dinah Washington lui ouvre les portes du milieu des arrangeurs pour une grande maison de disques, Mercury dont il devient un des cadres, pour la première fois, un noir. Faire du fric, c’est aussi toucher à la pop, cette musique qui se vend. Et avec lui ça marche. Mais ce touche à tout ne s’arrête pas.
La rencontre avec Sinatra lui ouvre les portes de l’Ouest, Vegas, et bientôt L.A. où, à Hollywood, il va faire comme Henry Mancini, écrire des musiques de film. Lui est noir, mais il y a des gens qui ne le croient pas capable d’écrire pour les salles obscures ! Racontez ça aux fans d’Austin Powers, ils ne vous croiront pas.
La carrière de compositeur pour film est émaillée de succès. Tout au long de sa carrière hollywoodienne, il a aura travaillé avec Sidney Lumet, John Landis, Norman Jewison, Steven Spielberg, Edward Dmytryk, Sidney Pollack, Richard Brooks, Sam Peckinpah…
Arte a également diffusé un petit documentaire sur sa carrière de compositeur de musique de film.
Faire des musiques de film dans les années 60 c’est transmettre aussi ce cinéma qui bouge et qui s’imprègne d’une société en ébullition.
A la fin des années 60, il revient à la production via un passage par la télévision où il écrit la B.O. de l'Homme de fer ("Ironside"), du show de Bill Cosby et surtout la série Sandford and Son avec Red Foxx. Le thème, "The streetbeater" est typiquement dans la veine du rhythm and blues funk de ces années où l'ensemble de la musique afro-américaine est révolutionné de fond en comble.
En 1969, Walking in Space fait un clin d'œil évident à Hair, mais aussi au nouveau gospel revisité par des chefs de chœur de talent comme Edwin et Walter Hawkins. Quincy Jones reprend en effet à la fin Oh Happy Day. Le personnel invité est la "crème de la crème" de ces musiciens qui seront incontournables dans les productions de Creed Taylor sur son label CTI qui propose un jazz fusion, électrique et éclectique dont Eumir Deodato et George Benson seront les plus belles réussites.
Pour le moment, on retrouve pas moins d'une dizaine de grands noms de sidemen prestigieux comme Roland Kirk, Hubert Laws, J.J. Johnson, Freddie Hubbard, Bob James, Eric Gale, Toots Thielemans, Ray Brown, Bernard Purdie ou encore Grady Tate.
Les années 70 voix encore d'autres belle perles dans lesquelles il y a à la fois la mise en avant de chanteurs qu'il découvre ou qu'il apprécie comme Patti Austin, Leon Ware ou encore James Ingram, et des reprises de Stevie Wonder.
C'est simple, la plupart des grands noms du jazz et du rhythm and blues des années 50 aux années 2000 a travaillé avec Q au moins une fois...
Le documentaire plonge dans l'intimité et il révèle les failles d'un homme qui, à cause de l'exceptionnelle longévité de sa carrière, a aussi vu mourir ses copains. C'est un des moments poignants du film quand on écoute un hommage que lui rend Ray Charles, quand il évoque ceux qui sont partis avant lui... Al Jarreau, Michael Jackson, Rod Temperton, Miles, etc...
Tout aussi poignante la rencontre avec les rappeurs : Chuck D, Kendrick Lamarr comme autant de passages de témoins entre les générations, "from Be bop to hip hop"...
Voyez donc ce documentaire sur un géant qui est aussi un passeur.
Surtout, ce 27 juin, "Q" se produit à Paris. Un rendez-vous à ne pas manquer. Depuis les années 50, Paris a constitué à plusieurs reprises une étape dans son parcours. D'abord les cours d'orchestration qu'il a suivi avec Nadia Boulanger, son amitié avec Eddie Barclay puis plusieurs tournées. Il a même été décoré par Jack Lang. Bref Quincy Jones à Paris, quelques jours après le décès de James Ingram et le dixième anniversaire de la disparition de Michael Jackson, c'est Dreamsville sur Seine, le temps d'un soir.
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