Le Brésil est probablement le pays d'Amérique latine le plus fascinant sur le plan musical. Heitor Villa-Lobos (1887-1959) fut un compositeur qui n'eût rien à envier à ses contemporains européens ou nord-américains et il a réellement contribué à bâtir une musique brésilienne qui jusque là était beaucoup traditionnelle. Le Brésil, pays continent dispose en effet d'une diversité culturelle d'une fécondité qui dépasse la samba ou la bossa. Avec un métissage ignoré par les élites blanches, le pays dispose de plusieurs bases comme Rio, São Paulo ou Bahia d'où émergent des styles différents, régulièrement ouverts aux influences africaines, européennes, nord-américaines ou latino bien évidemment. La samba par exemple, la plus connue des musiques brésiliennes, plonge ses racines en Afrique d'où sont originaires les esclaves déportés par les Portugais entre le 16e et le 19e siècle. D'ailleurs, l'esclavage ne fut aboli au Brésil qu'en 1888, quarante ans après la France !
Dans les années 50, l'apparition de la bossa nova qui ravit les publics occidentaux toujours en quête d'exotisme fait la fortune du trompettiste Stan Getz qui fit planer et danser l'Amérique sur cette nouveauté brésilienne lancée par Vinícius de Moraes, João et Astrid Gilberto ainsi qu'Antônio Carlos Jobim. La bossa inonde le monde, mais le coup d'Etat de 1964 qui impose une dictature qui va durer vingt ans, met un coup d'arrêt à cette forme musicale au Brésil même.
Musique engagée, soul et funky
Cela mériterait un pavé entier consacré à la musique brésilienne en général et au funk brésilien en particulier... Mais va pour l'initiation :
Sous ses airs nonchalants, la musique populaire brésilienne peut être une musique engagée. Parmi les musiciens qui lancent le "tropicalisme", Caetano Veloso, Gilberto Gil, opposants à la dictature militaire, tombent sous l'influence des effluves psychédéliques de l'époque, composent des chansons à texte et un peu comme Socrates au football, sont des icônes progressistes face aux militaires.
Bien que le régime soit dur, l'expression de la contestation peut s'entendre. Ce qu'on a appelé la "MPB" pour "música popular brasileira qu'écoutent la classe moyenne permet à un Chico Buarque, un Milton Nascimento ou une Carmen Miranda, parmi des dizaines d'autres noms, d'imprimer encore plus profondément leur marque dans le patrimoine musical brésilien...
C'est dans cette période que de nombreux musiciens fusionnent le jazz, la soul, le funk aux harmonies brésiliennes. Le plus connu dans l'hémisphère nord est probablement le pianiste Eumir Deodato qui enregistrent plusieurs albums pour le célèbre label "jazz pop" de Creed Taylor, CTI qui a déjà en contrat à l'époque George Benson, Bob James, Grover Washington...
Deodato connut une carrière féconde et à la fin des années 70, on le retrouve comme un des producteurs du groupe funk Kool and The Gang. C'est d'ailleurs grâce à cette collaboration que se fait la rencontre avec le chanteur James JT Taylor. Deodato devait, par la suite, travailler pendant dix ans avec le groupe et donner naissance à des albums tels que Ladies Night en 1979, Celebrate ! l'année suivante, Something Special qui contient notamment "Get down on it" en 1981 et As one en 1982 sur lequel on peut entendre "Let's Go Dancin' (Ooh La La La)".
De son côté, Stevie Wonder qui était venu donner un concert au Brésil en 1971, avait déjà exploré les sonorités brésiliens en 1974 dans son album Fulfillingess' First Finale avec "Bird of Beauty" dont les paroles en brésilien furent traduites par Sergio Mendes. Le texte est clairement dans la veine de Rio ou de Bahia, même si sur le plan rythmique, il faut se contenter d'une batterie là où la profusion des percussions des musiques brésiliennes aurait donné plus de puissance à ce morceau. Mais le génie de la Motown se rattrape deux ans plus tard Songs in the Key of Life avec un tube ravageur. "Another Star" sonne clairement comme un tube de carnaval. Pour l'occasion, George Benson vite prêter sa voix et sa guitare.
Les amateurs de jazz-funk connaissent certainement l'album de George Duke, A Brazilian Love affair sorti en 1980 et qui contient un beau mélange. Enregistré à Rio, l'album fut l'occasion d'une géniale collaboration avec le percussioniste Airto Moreira et Milton Nascimento.
Il est vrai que la rencontre permanente entre jazz, soul, funk et musique brésilienne produit de superbes mélanges qui soit revisitent des classiques soit inventent des tubes et des raretés. Marco Valle ou Azymuth sont aussi de belle signatures.
Jorgen Ben qui jouait avec le Trio Mocotó a représenté cette forme aboutie de "samba soul" dans les années 70, comme le Banda Black Rio qui fut à la même période, une version locale des grandes formations funk comme Earth, Wind and Fire ou encore Kool and the Gang. On leur doit le tube "Maria Fumaça". Le groupe de Maurice White n'échappa pas aux influences du pays de braise. Qui ne connaît pas l'interlude "Beijo" sous titré "brazilian rhyme" ou encore l'envoûtant Runnin' sur le même album ? Un peu plus récemment, le groupe Jamiroquai qui explore depuis 1993 le vaste univers de la soul avait lui aussi cédé aux charmes bleu jaune et vert pour enregistrer "Stillness in time"...
Tim Maia, chanteur immense a laissé un groovy "O caminho do bem", comme Erlon Chaves et sa "Cosa Nostra" à la ligne de basse ravageuse.
Jusqu'à aujourd'hui, la scène brésilienne donne sa version des évolutions du rhythm and blues depuis plus de quarante ans avec des reprises ou des adaptations. Un chanteur comme Seu Jorge est un brillant héritier de cette grande tradition.
La touche brésilienne du funk apporte la fraicheur mélodique et ces volutes harmoniques qui donnent ce sentiment d'être soudainement léger et résolument de bonne humeur...
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