Le groupe légendaire de zouk, Kassav' donne ses dernières concerts au Zénith ce week-end. Entre le groupe fondé il y a plus de trente ans et la mythique salle parisienne, c'est un peu comme James Brown à l'Apollo, une combinaison magique dont on ne sort pas indemne.
Rien qu'au Zénith, Kassav' a donné une trentaine de concerts, ce qui équivaut à jouer devant près d'un demi million de personnes dans cette salle du 19e arrondissement de Paris. Il faut y ajouter les tournées internationales aux quatre coins du monde dont le Japon, les Etats-Unis et l'Afrique, sans compter bien sûr les Antilles.
Le nom vient de "cassave", une galette de manioc. Cela fait partie des aliments traditionnels des Antilles françaises, même si on n'en trouve plus aussi souvent que par le passé.
Le groupe a été fondé en 1979 par Pierre-Edouard Décimus, un des musiciens du groupe "Les Vikings de la Guadeloupe" qui joue d'ailleurs en première partie de Kassav ce week-end.
Les Antilles qui sont déjà un lieu de mélange en tous genres, n'échappent pas aux fusions musicales qui font de la décennie 1960-1970, un moment d'une fécondité inégalée. Les rythmes traditionnels ont été influencés par la soul nord-américaine, la pop. Cela a donné le reggae en Jamaïque qui évoluera plus tard vers le ragga et le dance-hall sous l'influence du hip hop. Dans les Antilles francophones, on danse sur les rythmes haïtiens joués par des groupes de kompa.
Cette musique est partout. Les formations de kompa sont imitées en Martinique avec des groupes comme la Perfecta (dont on peut entendre un des tubes dans le générique du film la Première étoile. Pas très loin, la Sélecta ou Opération 78 du guitariste Simon Jurad qui joue avec le jeune Jean-Philippe Marthély qui devient une des voix de Kassav'.
A la biguine inventée à Saint-Pierre avant l'éruption de 1902 et qui a brillé dans les bals nègres de la rue Blomet où le tout Paris se remuait dans l'entre deux guerres, succède le zouk à la fin des années 70.
Le zouk désigne en créole le lieu et la soirée où on danse. C'est le titre d'un morceau du pianiste Marius Cultier qui, dans les années 70-80 accomplit une brillante carrière en France et au Canada où il joue de tout, précurseur d'autres pianistes antillais comme Alain Jean-Marie, Paulo Rosine qui fut le pianiste du groupe Malavoi encore Mario Canonge.
L'idée est d'inventer un style typique. Pierre-Édouard Décimus crée avec un autre musicien, Freddy Marshall, le groupe Kassav’. Faisant un "blo" (un mélange) des styles du coin : rhythm and blues, salsa, kompa, biguine, "mazurka", "bèlè", ils jouent avec le guitariste Jacob Desvarieux et le bassiste Georges Décimus. La structure rythmique reste la même, mais elle est riche des percussions et habillée des riffs de guitare, d'une solide section cuivre qui, contrairement aux groupes de funk des années 80, ne disparaît pas devant l'invasion des synthés.
Le zouk de Kassav' est alors une révolution dans une France qui dans les années 80 se passionne pour la "world music". C'est sans médiatisation que Kassav' avait rempli son premier Zénith en 1985. A l'inverse des groupes qui suivirent, Kassav' valse entre la romance et la chanson à texte qui évoque les questions sociales, l'Histoire, la mémoire et l'identité des Antillais. Toujours un cran au dessus des innombrables tentatives d'imitation, de version sirupeuses d'un zouk "zouk love" destiné uniquement à la danse. Très souvent le zouk est peu imaginatif, si on peut de côté des groupes comme Kwak ou Taxikréol dans les années 90. Mais avec Kassav', c'est tout les esprits de la musique antillaise qui se mettent en éruption harmonique et rythmique.
La voix de Jocelyne Béroard, le falsetto du regrettée Patrick Saint-Eloi s'ajoutent aux jeux de batteries de Claude Vamur et de César Durcin, disparu récemment et aux claviers de Jean-Claude Naimro, un temps débauché par Peter Gabriel. Voilà pour la structure de la grande époque, tout cela soutenu par la basse de Georges Décimus, véritable colonne vertébrale du zouk.
Mais Kassav' n'est pas Kassav' sans le charisme de Jacob Décimus, dont la voix rocailleuse lasse contraste avec l'imposante silhouette du bonhomme. Ses lignes de guitare à elles seules enflamment un groove à la manière de Prince.
C'est notre patrimoine, notre fierté. On aime Kassav' c'est communicatif. C'est comme ça. Ils seront toujours au zénith.
Ca mérite une Légion d'honneur !