Eric Zemmour est un homme heureux. Je le voyais l'autre jour dans le métro, assis sur un des strapontins dans une rame de la ligne 12 - celle qui va d'Aubervilliers, via la Porte de la Chapelle jusqu'à la mairie d'Issy, via Pigalle, les Abbesses, la Gare Saint-Lazare, La Madeleine, la Concorde, l'Assemblée nationale, la rue de Rennes, le quartier Montparnasse ou encore la Porte de Versailles... Cette ligne sur laquelle on peut en quelques dizaines de minutes voire un concentré de la ville dans laquelle lui, et nous, enfin, une partie d'entre nous, vivons.
d'Aubervilliers, dans le 9-3 populaire, cette ville qui fut dirigée par Pierre Laval, mais aussi mon regretté camarade Jacques Salvator, après ce grand communiste amoureux de culture que fut Jack Ralite et qui est en pleine mutation, foyer de nombreux commerçants chinois, à Issy les Moulineaux dans le 9-2, le département le plus riche de France où la droite affairiste des jeunes pousses du RPR a percé une brèche bleue dans la ceinture rouge au début des années 80, voilà un concentré de la France urbaine.
Les touristes qui aiment le Paris de la Butte Montmartre ignorent que la notoriété de la Basilique repose sur les cadavres des Communards massacrés par les Versaillais. Ils voient peut-être les toxicomanes défoncés au crack se niquer ce qui leur reste de vie sur les quais. Ils croisent peut-être cette fille, noire, faire la manche dans les couloirs de la Gare Saint-Lazare avant qu'une poignée de dealers lui prennent ce qu'elle a récolté - sous l'oeil indifférent des caméras dites de "vidéo-protection" - la langue française en garde de belles conneries...
Zemmour a raison car il a un livre à vendre et il sait depuis longtemps qu'il a intérêt à jouir sans entrave de son statut.
Charles Maurras que Zemmour ne déteste pas - lui qui cite si souvent Bainville - n'aurait vu en lui qu'un "métèque". Zemmour n'a jamais fait les frais des amalgames qu'il fait lui-même : la célèbre famille de gangsters du même nom par exemple.
Zemmour, qui a eu son rond de serviette dans Marianne, au Figaro, sur iTélé (ce qui existait avant CNews), France 2, Paris Première, fait partie de ce système dans lequel on zappe après s'est un peu taché la cravate d'indignations consensuelles.
En quelques semaines, il a même trouvé ses défenseurs - ceux qui sont en croisade permanente contre les "indigénistes", ceux pour qui, le seul fait que Rokhaya Diallo puisse causer dans le poste, les rend malades, ceux qui ne laissent rien passer - surtout s'il s'agit d'un Médine, d'un Belattar ou je ne sais qui du moment que c'est un... Car le niveau d'indignation est quand même vachement tolérant. En quelques heures, un vomi rapide et un appel au meurtre ! Mais "l'homme se perd" a-t-on pu lire !
Lui, c'est un journaliste, un intellectuel, c'est-à-dire, un professionnel des mots. Comme s'il n'en revenait pas d'avoir pu changer de condition sociale, il est un obsédé du "name dropping" - ah ça il en a lu des bouquins !
Avez-vous remarqué comment il est capable de dire "je m'en fous" ? Quand on essaie d'en appeler à son bon sens ?
L'homme n'est pas un provocateur, c'est un militant d'une certaine France, celle qu'on n'aime pas.
Alors on nous dit : "en parler c'est lui faire une pub qu'il ne mérite pas".
Ne parlons pas, taisons-nous. D'ailleurs, on se tait sur beaucoup de choses !
Le sketch de François Morel et la chronique d'Anne Roumanoff ? Oui, deux humoristes mais ça ne pisse pas très loin. Car si tourner ce bonhomme en ridicule est une bonne manière de répondre, la réponse n'en est pas moins incomplète. Il faut le combattre. C'est pourtant pas compliqué ! Tous deux qui disent que la gauche "a perdu la bataille culturelle" sont muets. Quand à la droite, elle a des voix à prendre au à l'extrême droite alors...
Quelques jours après la sortie de Dupont Aignan sur "l'arabisation de la France" et le tag antisémite sur la porte d'un appartement dans le XVIIIe arrondissement de Paris - probablement sur cette fameuse ligne 12, ça fait beaucoup !
Après tout le racisme c'est tendance. Cela fait vendre, ça permet de faire de l'audience, ce qui est toujours important pour les annonceurs. Aujourd'hui le combat antiraciste ne se fait que dans la censure ou les prétoires, c'est-à-dire loin du cerveau des gens. Effacer le mot "race" de la Constitution ou imposer le CV anonyme ça ne fait pas disparaître le racisme et il y aura toujours une autre manière de l'exprimer et de préserver une "certaine idée" de la société. C'est juste une façons lâche de s'acheter bonne conscience. Les victimes elles, on dira qu'elles sont "susceptibles" et qu'elles "instrumentalisent" le sujet.
En France, toute le monde a kiffé le dernier Spike Lee, beaucoup on aimé Get Out, mais comme on n'a pas de "leaders noirs", tout ce que ce pays compte d'afro-antillais ne lui fera pas bien peur puisqu'ils ne se mobiliseront jamais - comme personne n'a bougé à part le PS, dirigé à l'époque par Harlem Désir - pour défendre Taubira quand elle était attaquée par ces racistes de la Manif pour Tous. Et puis si jamais ils bougent, il s'en trouvera des esprits intelligents pour gueuler au "communautarisme"...
Ils pourraient pourtant dire qu'en matière de "prénom" nous, les nègres, on en connaît un rayon. Nos ancêtres déportés dans les colonies d'Amérique ont été contraint de porter d'autres noms et ça s'est probablement fait à coups de fouet comme Kunta Kinte qui n'a jamais voulu oublier qu'il ne s'appelait pas Tobie. Mais "c'est un détail de l'Histoire". "Et puis les Arabes ont fait aussi dans l'esclavage"...
Dans une société, si l'entresoi des uns se construit "contre" l'entresoi des autres, il ne faudra pas venir pleurer quand toute l'ignorance ainsi produite fera des dégâts.
Alors après ce coup de gueule, il faut probablement faire des propositions concrètes. Il faut combattre Zemmour politiquement, le réduire au silence médiatiquement, ne pas lui céder un pouce de terrain car pendant que les belles âmes de gauche s'indignent, mais s'abstiennent, les autres eux, ils votent !
Et puis, gueuler contre Zemmour quand les plumes de Valeurs actuelles squattent BFM TV, LCI, CNews et je ne sais quoi d'autres, ça ne sert pas à grand chose !
Zemmour a raison, ses opposants, pour le moment sont inoffensifs ! Il aurait tort de se priver. Bon, en attendant la prochaine polémique qui fera le buzz, bon week-end.
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