Ce mercredi, je réponds aux questions de Loïc Barrière dans son émission "Pluriel" au sujet de l'Unef, des appels à sa dissolution et la tribune que j'ai signée avec plusieurs anciens de l'Unef dans Le Monde ce week-end. Retrouvez l'émission en cliquant ici. Vous pouvez aussi télécharger le podcast.
L'émission étant beaucoup trop courte pour épuiser le sujet, je livre ici quelques réflexions supplémentaires qui n'ont pu être livrées faute de temps.
La crise de l'Unef est la crise de la gauche et inversement. Si beaucoup de choses peuvent évidemment expliquer la direction qu'a prise la direction : opportunisme, aventurisme, radicalisation feinte ou dérive réelle, je ne crois pas qu'elle soit intellectuellement bien charpentée ni même théorisée avec sérieux.
Depuis la signature de la tribune, beaucoup d'échanges ont eu lieu entre anciens de ce syndicats, les uns expliquant pourquoi ils n'ont pas signé, les autres indiquant que soutenir l'Unef n'était pas soutenir la direction actuelle de l'Unef.
Quand on analyse cette longue liste, elle dit beaucoup de choses, mais maintenir une organisation syndicale étudiante de gauche où chacun se retrouve, se forme et se rend utile compte plus que la nostalgie ou la manœuvre pour tenter une "reprise en main".
C'est aussi la démonstration d'un vide que rien ne vient combler alors que chacun reconnaît qu'il est nécessaire de retrouver des engagements collectifs à défaut d'être unitaires.
Le révisionnisme lepéniste a encore frappé
Outre Blanquer qui a cru bon de se comporter comme un ministre de droite des années 60-70 avec sa dénonciation de la pente "fascisante" que prenait l'Unef, Marine Le Pen s'est carrément lâchée en accusant l'Unef de "racisme".
Venant de Blanquer qui s'est fait bâtir un syndicat lycéen à sa main, mais qui a été pris la main dans le sac, cette façon de jouer avec les mots est irresponsable pour un ministre de la République.
S'agissant de Marine Le Pen, on est dans la tradition familiale de révisionnisme historique à laquelle elle ne déroge pas.
Mais, Quand Le Pen donne des leçons d'antiracisme, cela mérite quelques rappels.
Elle militait à Assas y côtoyant ses amis du GUD, devenus ses proches en politique, qui faisaient des descentes dans les universités parisiennes, armés, cognant des étudiants maghrébins ou juifs. Cette tradition violente, il faut la replacer dans l'héritage des étudiants nationalistes : depuis les Camelots du roi de l'Action française en passant par Jeune Nation, Occident, Ordre Nouveau, Gud, Troisième voie, GAJ, Cercles nationaux, Renouveau étudiant, c'est une tradition violente, raciste, antisémite qui s'est perpétuée sans cesse.
Il faut rappeler que c'est contre cette violence que le jeune Pierre Mendès France, rejoint la Ligue d'action universitaire républicaine et socialiste fondée par Paul Ostaya pour lutter contre l'AF. Dans ses rangs on y trouve Georges Pompidou qui n'hésite pas à faire le coup de poing.
Cette tradition violente a fait la triste réputation de Paris II Assas ou Lyon III. Dans mon local à la Sorbonne, ils avaient tagué "Thé Levy Sion"... ça se passe de commentaire. Et ne parlons pas de la "Journée du livre" à Assas et des titres proposés aux étudiants.
La sociologie a changé, pas les aspirations des étudiants
Il suffit de lire l'appel paru dans le Monde pour mesurer un fait indéniable. 80 % des signataires sont tout sauf afro-antillais ou maghrébins. Le même appel élargi aux cadres actuels de l'Unef d'aujourd'hui aurait probablement été plus coloré car les effets de la massification survenue dans les années 80 et de la démocratisation pour laquelle se battait le syndicat dans les années 80 - le refus de la sélection, un combat de longue haleine - a ouvert les portes et les fenêtres.
Mais l'affaiblissement de la politisation a fait le reste. La tradition anticoloniale, antiraciste et universaliste d'une Unef qui se battait contre le sexisme et qui était laïque se fondait sur des idées aussi bien politiques que sur ce qu'on enseignait dans les amphis. C'est la formation universitaire acquise en France qui "matrice" les penseurs et les leaders anticolonialistes des années 50-60 et des générations suivantes : de Senghor à Angela Davis, en passant par Ho Chi Minh .
La négritude, théorisée à Paris, par Senghor et Césaire inspira Amilcar Cabral, le père des indépendances des colonies portugaises par exemple et dans l'Unef, ces combats se poursuivaient dans des partenariats politiques et des actions unitaires et de solidarité avec les organisations étudiantes d'Afrique du nord ou d'Afrique subsaharienne.
L'Unef accompagna le mouvement qui, à partir des années 80, politise les jeunes français issus de l'immigration et cette génération qu'on a appelé "les Beurs" n'ignore rien de l'Histoire du bled, des souffrances des parents, des foyers, de la cité. Elle ne s'est pas résignée à condamner le "racisme systémique", mais elle a trouvé les ressources pour le combattre avec des alliés quitte à les trouver partout elle pouvait en rencontrer. Même après le temps des Marches, le combat a continué dans un cadre dans lequel l'identité trouvait ses réponses dans l'égalité des droits et l'ouverture.
Contre tous les conservatismes
Quand le FIS fit son apparition sur la scène politique algérienne, certains là-bas on parlé d'un phénomène "islamofasciste". Bien que je ne partage pas ce goût des mots valises porteurs de tout sauf de bon sens, il faut regarder les choses en face : l'islam politique, c'est-à-dire la traduction du message religieux en projet de société et programme d'action politique est un projet ne peut pas être bien longtemps progressiste. Il faut le distinguer d'un progressisme en terre d'islam : les partis de gauche dans les pays de culture musulmane prennent en compte ce fait-là mais ils trouvent les voies d'un progressisme crédible parce qu'il se fait hors du champ religieux.
Mécaniquement, les courants en faveur d'un respect de la tradition, d'une vision du monde enserrée dans le prosélytisme seront dominants : pour eux dans un pays comme la France, le but n'est pas d'augmenter leurs adhérents ou les votants, mais il est d'accroître le nombre des croyants. Ces militants agissent pour la conversion plutôt que la conviction et il est normal de ne pas se retrouver dans cette approche et de la combattre politiquement.
L'islam politique, même dans une approche sincèrement non violente, démocratique et respectueuses des institutions, est un néo-conservatisme d'inspiration et de nature religieuse qui rompt l'égalité entre croyants et non croyants. Il rétablit les discriminations des hommes à l'égard des femmes dont le statut d'infériorité est un point central.
La négrophobie n'est pas réservée aux Occidentaux. Personne ne peut nier que dans les pays de culture arabe, le racisme antinoir se porte bien. Ce qu'on appelle la traite arabe dans l'histoire de l'esclavage a duré plus longtemps que l'esclavage colonial et encore aujourd'hui, cela continue sous des formes moins massives, mais toujours aussi choquantes dans une indifférence générale contre laquelle de rares personnes comme Claudy Siar tentent de mobiliser.
Voilà un combat que l'Unef d'aujourd'hui pourrait mener : si l'Occident a opprimé des peuples dans le monde entier, l'absence de démocratie, la corruption, le sort des femmes ou la violence d'Etat sont bien le choix d'élites locales ou de leaders éduqués.
Les minorités musulmans en Chine ou en Birmanie ou le sort des Palestiniens au Liban sans parler des populations victimes du terrorisme au Pakistan, en Iraq ou en Afghanistan, le sort des lycéennes et des étudiantes an Nigéria par exemple sont des thèmes de mobilisations puissantes à côté desquelles trop d'organisations passent. Avant l'internet et les réseaux sociaux on pouvait ne pas savoir. Ca n'est plus le cas aujourd'hui.
Le nombrilisme dominant n'est qu'un aspect de l'individualisme néo-libéral qui pervertit tout. L'obsession de la différenciation ne nourrit pas ce qu'on doit construire en commun. Le monde est fait de mixité donc les combats pour le changer doivent être eux aussi faits de mixité car c'est le seul moyen pour surmonter la complexité du monde. Quand au féminisme, il ne peut se penser hors de l'internationalisme.
En conclusion, la crise de l'Unef est certes, celle de la gauche, elle est aussi la crise de l'Université si celle ci ne parvient plus à inculquer l'universalisme... Mais c'est un autre débat à mener.
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