
Qu’on se rassure, il n’y a pas d’erreur politique à s’alarmer de la montée de l’extrême-droite car sa plus grande victoire n'est pas dans l'euphorie fugace d'une soirée électorale, mais dans le temps long qui permet de travailler les esprits en profondeurs. Ils ont bien appris du passé et ils ont pour eux, pensent-ils, l'éternité.
Dans l’indifférence générale des démocrates européens, en Autriche, une deuxième coalition bleue noire, entre la droite chrétienne démocrate et l’extrême-droite national-populiste. Avec six ministères dont plusieurs régaliens, le FPÖ est devenu le parti d’extrême-droite le plus puissant d’Europe.
En somme, pour la France, dont les autorités sont silencieuses, les amis autrichiens de Wauquiez et Le Pen.
A cette heure, le gouvernement français est muet. Nul doute qu’il dira qu’il sera « vigilant »... Seuls les socialistes s’expriment.
La situation autrichienne n’est ni inédite ni unique. Elle s'est déjà produite en Autriche, mais elle existe aussi aujourd'hui dans d'autres pays de l'Union européenne comme la Slovaquie ou la Bulgarie. La Bulgarie qui va bientôt prendre la présidence tournante de l'Union européenne.
En 2000 déjà, le conservateur Wolfgang Schüssel s’était allié au nationaliste Jörg Haider. Cela avait provoqué des protestations dans l’Union européenne.
L’Autriche avait été sanctionnée et mise de côté mais cela n’avait pas duré pendant tout le mandat. D’une certaine manière, on avait fini par s’y habituer au point que ce fut plutôt le « bof » et l’indifférence qui dominèrent lorsque la chose se reproduisit quelques années plus tard. Notamment quand les sociaux-démocrates slovaques firent la même chose - ce qui entraîna leur suspension du Parti socialiste européen, ce que le Parti populaire ne fit jamais avec le Parti populaire d’Autriche (ÖVP).
Le SPÖ aussi fit la même erreur, dans un Land de l’est du pays en 2015.
Pourquoi l’extrême-droite est-elle autant banalisée en Autriche ?
Pour comprendre le système et les cultures politiques de ce pays, il faut prendre en compte la période de l’entre-deux guerres durant laquelle les sociaux-démocrates étaient le principal parti du pays après la fin de l’empire. Ils s’affrontèrent aux nationaux-catholiques dans une sanglante guerre civile qui laissa des traces, quelques années avant que l’annexion par l’Allemagne en 1938 permette au nazisme de s’installer dans le pays natal d’Adolf Hitler.
Au lendemain de la guerre, il n’y eut pas de dénazification comme en Allemagne et on a souvent entendu des Autrichiens considérer que le pays avait été une « victime ». Ainsi le recyclage d’anciens nazis dans la vie publique se fit plus aisément qu’ailleurs. Un symbole bien connu fut le parcours de Kurt Waldheim.
Cet ancien officier de la Wehrmacht qui était en poste dans les Balkans au moment d’une sauvage répression contre les civils a réussi sa « reconversion ». Il fut d’ailleurs ministre ÖVP des affaires étrangères à la fin des années 60. C’était la première fois depuis la guerre que la droite autrichienne gouvernait seule. Puis Waldheim fut durant dix ans la fonction de Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies avant d’être Président de la République, jusqu’à ce que son passé soit révélé.
Le traumatisme de la guerre civile motiva la volonté des sociaux-démocrates et des chrétiens-démocrates de trouver toujours les moyens de ne pas entrer en crise ouverte. C’est ainsi qu’est apparu au début de la Deuxième République (après 1945) le « proporz » qui consistait en une répartition des postes dans les ministères en fonction du poids électoral des partis. Cette volonté de consensus a conduit à une suite ininterrompue de gouvernements de Grande coalition entre ÖVP et SPÖ depuis 1945. La droite a gouverné seule entre 1966 et 1970. La gauche seule entre 1970 et 1983. Ensuite, il y eu dans les années 80 une coalition avec le FPÖ jusqu’à ce que ce parti glisse du libéralisme au nationalisme.
Le passé nazi de l’Autriche n’est pas un mauvais souvenir pour une partie de la population. En 2013, selon un sondage, pour 42 % des Autrichiens « la vie n’était pas si mal sous les nazis."
Après guerre, les sociaux-démocrates soutiennent la formation du Parti des indépendants (VdU) composé d’anciens nazis pour diviser les forces de l’extrême-droite et affaiblir la droite. En 1949, ce parti recueille 11 % des suffrages et seize députés. Par la suite, bien qu’il soit proche de l’ÖVP, le VdU se dissoudra dans le FPÖ.
Faut-il s’inquiéter ?
Oui car la la banalisation est là. Le temps des coups d’état et des défilés au flambeau de milices en uniforme est fini. C’est par l’influence des idées, l’inondation des réseaux sociaux, le fait de se tenir debout quand les autres courants politiques sont couchés que l’extrême-droite relookée réussit son avancée, Parti du progrès, parti du peuple, parti de la liberté, Parti des démocrates de Suède, etc, l’extrême-droite joue la douceur apparente avec des logos écolos : une pomme en Norvège ou une fleur en Suède. Certes en Europe centrale et orientale elle est plus « Old school », mais même dans la Hongrie voisine par exemple, le Jobbik a adouci son style et la semaine dernière, il manifestait même contre le gouvernement Fidesz pour la défense de l’État de droit, avec le soutien de militants de gauche !
Au Danemark, le Parti du peuple (DF) arrivé devant les sociaux-démocrates aux élections européennes de 2014, préside aujourd’hui le Parlement.
En Pologne, le parti Droit et Justice (PiS) s’attaque méthodiquement aux fondements de l’Etat de droit, comme en Hongrie.
En Bulgarie, le GERB de Boïko Borissov, membre du PPE comme LR, est allié depuis mai 2017 à une coalition de partis nationalistes, Patriotes unis (OP) qui comprend trois partis populistes. Ces partis appartiennent au même parti européen que le Parti conservateur britannique (celui de Theresa May) et son allié unioniste nord-irlandais, la N-VA belge (séparatistes flamands), le PiS polonais, le parti des Finlandais, le Parti du Peuple danois etc...
Il faut s’en inquiéter car le Parti populaire européen, celui de Tusk, Juncker, Rajoy ou encore Merkel, est celui d’Orban et de Kurz.
Si on ne sort par de l’anesthésie, la porosité s’étendra et ce sont les politiques de justice sociale ou la mémoire qui en pâtiront.
Comme l’a justement dit l’ancien ministre Matthias Fekl, puisque l’Europe fut capable d’intransigeance à l’égard de la Grèce et du Portugal parce que ces pays s’étaient donnés des gouvernements de gauche anti austéritaires, elle ne pouvait pas être muette ou timide face à l’Autriche, la Hongrie ou la Pologne.
Le FPÖ, un parti d’extrême-droite
Haider fait gagner l’aile dure en 1986. Depuis, malgré les scissions (notamment celle du BZÖ), le parti est reste ancré à l’extrême-droite. Policée. Ses militants donnent un bal annuel à Vienne auquel a participé Marine Le Pen. Le FN et le FPÖ sont d’ailleurs très liés. Encore plus que le PVV de Geert Wilders, le leader populiste néerlandais. Dans ses meetings, Haider invite l’ancien SS Franz Schönhuber, un proche de la famille Le Pen.
En 2008, 40 % des moins de 18 ans (le droit de vote a été abaissé à 16 ans).
Haider a jugé positivement le bilan du Troisième Reich. En 2010, pour l’élection présidentielle, le FPÖ présente comme candidate Barbara Rosenkranz. Homophobe, xénophobe et europhobe, elle a provoqué des controverses pour des propos ambigus sur le nazisme et les chambres à gaz.
Dans le nouveau gouvernement il faudra surveiller et contrer :
Le but de la nouvelle coalition c'est l'immigration zéro. Hans-Christian Strache, leader du parti, désormais vice chancelier, ministre de la fonction publique et des sports. Cela peut signifier une augmentation du nombre de fonctionnaires FPÖ dans l’administration...
Islamophobe assumé, cet ancien néonazi était un des disciples de Haider qu’il a fini par déborder sur sa droite.
Strache était de ce fameux voyage de plusieurs dirigeants de l'extrême droite européenne qui s'étaient rendus en Israël à la rencontre de plusieurs dirigeants de la droite dure israélienne, avec au passage une visite de Yad Vashem en décembre 2010. L'objectif était clair : rompre en apparence avec l'antisémitisme, le remplacer par l'islamophobie...
Il y est revenu en 2016 et durant la campagne, son parti s'est engagé à transférer l'ambassade d'Autriche à Tel Aviv...
Herbert Kickl, secrétaire général du FPÖ depuis 2005 et ancienne plume d’Haider. Il sera ministre de l’Intérieur et des questions d’asile.
L’ancien candidat à la présidentielle de 2016, qui avait éliminé les candidats de gauche et de droite, Norbert Hofer sera ministre des infrastructures. Authentique militant d’extrême-droite, il peut un jour prendre la tête du parti.
Karin Kneissl, surnommée la « Kreisky femme » par le leader Hans-Christian Strache pour sa capacité promouvoir l’image de l’Autriche à l’étranger sera désormais la ministre des affaires étrangères autrichienne (FPÖ) parle huit langues dont le français, l’arabe et l’hébreu. Pour elle « le sionisme de Herzl est fondé sur la même notion de la terre et le sang que le nazisme » et « l’islam n’a en rien influencé l’Europe sauf l’Andalousie »... seulement, Bruno Kreisky, la grande figure de la social-démocratie d’après-guerre dû fuir le nazisme et il défendit une Autriche ouverte sur le monde.
Mario Kunasec qui a commencé ses classes dans l’organisation de jeune du FPÖ, sera ministre de la défense.
Beate Hartinger-Klein sera ministre de la santé et des affaires sociales.
Strache a pu dire avec raison que le nouveau gouvernement autrichien était aux trois quarts FPÖ.
Faut-il boycotter l’Autriche ?
« Business as usual » ou vigilance accrue ? Il est clair que l’Union européenne est confrontée à des choix difficiles. On n’obtiendra jamais de boycott des vingt six. Et quand bien même il y aurait des remontrances, les sanctions ne seront pas durables. Les manifestants se lasseront et à la fin, il y aura des gens pour dire qu’on peut toujours voyager à Vienne sans se faire ratonner...
Mais quand entre 2018 et 2022 on marquera les 80 ans d’évènements sinistres de l’histoire du continent comme la Nuit de Cristal où le début de la seconde guerre mondiale, il y aura comme un malaise. Comment parler d’Europe du vivre ensemble avec un pays dirigé par un gouvernement anti musulman.
L’Autriche prendra la présidence de l’Union européenne au deuxième semestre de l’année 2018 faudra-t-il faire comme si de rien n’était ? L’UE acceptera t’elle ce saut politique face au nouveau bloc nationaliste qui existe à Vienne, Varsovie ou encore Budapest ?
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