L'annonce de la candidature d'Audrey Pulvar à la présidence de la Région Ile-de-France où je siège est une bonne nouvelle et évidemment, je la soutiens.
Cette candidature n'allait pas de soi : qui a envie aujourd'hui de s'engager en politique dans l'action et de briguer ce qui est peut-être le plus ingrats des mandats électifs de ce pays ? Des personnes de conviction, courageuses et qui veulent, averties qu'elles sont, de travailler avec des gens de bonne volonté pour bâtir une vision de ce que peut être un territoire où la solidarité n'est pas un slogan, mais une réalité à laquelle on travaille.
Elle et moi sommes nés à six jours d'intervalle et nous venons tous deux d'une des plus belles îles de France, mais comme la majorité des Français, je ne l'ai découverte que dans les JT de France 3. La suivant de loin, j'ai toujours apprécié son engagement qu'il était perceptible dans sa façon d'interroger ses invités.
Il y a suffisamment peu de journalistes ultramarins dans les médias audiovisuels nationaux pour qu'on prête une attention particulière et qu'on remarque ces choses.
Et puis, quand on est d'un territoire comme la Martinique, quand deux personnes se rencontrent, deux questions arrivent tout de suite : "de quelle famille" et "de quelle commune". Histoire de savoir si on connaît, voire s'il n'y a pas un lien de parenté. Nous sommes tous des "fils et filles de" et untel a forcément été à l'école avec untel, le fils de madame machin qui était en cours avec monsieur machin etc. Brefs, ces entrelacs créent, déjà, du commun.
Pour Audrey, c'est évidemment le patronyme qui est familier à tous les Martiniquais car chez elle l'engagement à gauche et les convictions bien ancrées, c'est une affaire de famille.
Son père Marc était une figure très importante du mouvement syndical dans l'île et aux Antilles, les luttes sociales sont un élément extrêmement structurant la départementalisation 75 ans après son entrée en œuvre n'a toujours pas effacé les dernières traces ni arraché les racines les plus tenaces du colonialisme.
Ca n'est pas qu'une question d'identité, de racisme ou de mémoire, mais aussi d'égalité, de justice sociale, de développement économique, de santé et d'environnement. Je l'ai évoqué souvent sur ce blog.
Et si comme souvent quand il s'agit d'une "nouvelle venue" en politique, on questionne sa légitimité, oui Audrey Pulvar est une héritière, d'un patrimoine qui me plaît bien : les combats bien de gauche contre l'exploitation et pour l'émancipation.
Les combats de Marc Pulvar étaient les combats des Martiniquais et ils résonnent encore de nos jours car ils demeurent actuels et que qu'un engagement gauche permet de les poursuivre autrement.
Ce mathématicien né il y a 85 ans fut militant à l'Organisation de la jeunesse anticolonialiste martiniquaise (OJAM) qui fut dans les années 60, un des mouvements les plus importants dans la formation d'une génération de futures dirigeants qui ont joué des rôles importants dans l'île. Ma cousine Madeleine de Grandmaison née Nol - une des deux premières femmes à avoir été élue conseillère régionale, et l'une des deux premières femmes à avoir été députée européenne avec mon amie Catherine Néris, son complice de toujours Renaud, un des bras droits d'Aimé Césaire, mais aussi l'homme de théâtre Vincent Placoly, le sculpteur et peintre Joseph René-Corail, ou Rodolphe Désiré, futur maire du Lorrain de 1983 à 2020 et membre du PPM.
Par la suite, il s'engage dans l'action syndicale en participant à la fondation de la Centrale syndicale des travailleurs martiniquais (CSTM) en 1980 qui est la conséquence d'une scission de l'Union départementale de la CGT-Force ouvrière après plusieurs conflits des années 70, dont le drame de l'Usine Chalvet et la grève au journal France-Antilles. La CSTM demeure un des principaux syndicats de l'île.
A la fin des années 70, la CSTM se dote, pour ainsi dire, d'une branche politique avec la fondation du Mouvement indépendantiste martiniquais (MIM) dont la figure principale demeure, depuis le début, Alfred Marie-Jeanne.
La popularité de Marc Pulvar, son engagement intransigeant pour la défense des salariés - il participa à de nombreuses luttes sociales et procès - en a fait une figure familière.
L'outremer en tant que lieu de la constitution d'une identité culturelle ou politique compte : la diversité culturelle, le mélange, la conscience aigüe des injustices et l'âpreté des combats pour les surmonter, pas de meilleure préparation pour appréhender ce qui se passe dans le reste du pays. Pour comprendre que les défis des îles de France ne sont pas loin de ceux de l'Ile-de-France, si j'ose dire, ce n'est pas la mer à boire...
La Région Ile-de-France est riche de son PIB, mais profondément divisée par les inégalités qui existent à tous les niveaux. Fractures entre l'est et ouest, entre le centre et la périphérie, entre les zones denses et les zones périurbaines, entre espaces pavillonnaires ou résidentiels et "quartiers populaires", entre dépendants de la voiture par manque de transports et usagers des mobilités douces, entre bénéficiaires de la "ville du quart d'heure" et territoires dépourvus de services publics ou de santé à proximité...
A ces inégalités s'ajoutent des fractures entre populations. S'il y a une identité bretonne ou alsacienne, occitane ou normande, on est plus Parisien que francilien et quand on n'est pas parisien, on est du 9-3 ou d'une commune, voire d'une cité, ici les Pyramides, là le Val Fourré.
A cause du centralisme jacobin, quand on n'est pas francilien d'origine, on le devient car tôt ou tard, c'est "the place to be" pour trouver ou compléter une formation, trouver un emploi ou réaliser, même momentanément, un projet de vie. Cette attractivité qui ne doit rien à la douceur du climat où à la beauté des paysages - en dehors évidemment des grands ensembles bâtis, dans les années 60 mais qui ont vite et mal vieilli, provoque des défis à relever : le logement qui était un droit tend à devenir un privilège par exemple.
Si la gauche a gouverné pendant 17 ans cette région, en la transformant d'un "machin" administratif à un acteur essentiel du développement, ça n'est pas le fruit du hasard : la gauche décentralisatrice, qui croit dans la démocratie locale et l'implication des gens, c'est une réalité et cinq ans de gestion de droite, le bilan est globalement négatif :
Si Jean-Paul Huchon n'avait d'autre horizon que la Région, Valérie Pécresse, en marche vers sa destinée présidentielle au mieux ou primo-ministérielle au pire, considérait que la présidence n'était qu'une pièce maîtresse.
Rien ne sera épargné à Audrey Pulvar. On critique l'entresoi en politique, mais tous les nouveaux venus sont vus comme des intrus. On veut bien la féminisation, mais chaque femme doit prouver qu'elle est capable et quand elle affirme son autorité, on l'accuse d'être autoritaire.
Elle a entamé une démarche essentielle qui n'a pas de fin : s'imprégner de cette région, de ses contradictions, de ses atouts et en comprendre les faiblesses.
Dans un contexte où nous vivons une profonde crise sanitaire, sociale, environnementale et morale, - d'une ampleur sans précédent en temps de paix dans bien des domaines - l'idée de mettre en commun pour tous les Franciliens, le meilleur pour triompher du pire n'est pas qu'une affaire de générosité, c'est aussi une manière de répondre à l'urgence.
Le basculement dans la misère, l'incertitude du lendemain, dans la violence, le repli, voilà qui menace les uns et qui est déjà une réalité pour d'autres malheureusement.
C'est donc dans une aventure folle, mais tellement essentielle que s'est engagée Audrey Pulvar et pour que la réussite soit au rendez-vous, pour que ce soit les Franciliens qui gagnent, il faut un rassemblement de celles et ceux qui veulent la même chose : une région plus égalitaire, plus juste, plus inclusive et plus porteuse d'un avenir meilleur. J'en suis.
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