Nous sommes le 22 mars et avec lui quelques allusions savantes à ce mouvement étudiant parti en partie de Nanterre pour de meilleurs conditions d’études et de vie qui allait déboucher sur les bouleversements de Mai 68 et ses suites : la révolution sexuelle, le féminisme, les droits des homosexuels, un puissant mouvement social, un nouvel antifascisme militant, mais aussi l’union de la gauche, la scission de l’Unef puis la réunification syndicale et la démocratisation de l’université…
De grands mots qui ne sont pas vraiment au goût du jour pour certains d’entre eux. Mais si les controverses actuelles sur l’Union nationale des étudiants de France agitent les uns, excitent les autres et lassent les troisièmes, c’est bien parce que cette organisation n’est indifférente à personne, aussi bien ses amis, ses « aînés » que ses ennemis.
On serait tenté de dire « Ni Luce, ni Blanquer », c’est-à-dire dénoncer la dérive de la direction de ce syndicat qui semble s’éloigner depuis longtemps du syndicalisme et également taper sur la droite et l’extrême droite qui est trop ravie de donner dans la « cancel culture » en pensent que la solution est la dissolution.
Or, n’en déplaise à la droite, la radicalité identitaire que l’on constate à l’Unef est une dérive alors chez Génération identitaire, c’était dans leur nature et quand cette organisation – qui n’est pas un syndicat étudiant – se reformera sous un autre non, on verra cette filiation historique et idéologique assumée.
C’est la guerre d’Algérie dont on marquait la fin des combats le 19 mars dernier qui a été un premier temps de rupture dans l’Unef qui, depuis sa fondation en 1907 englobait l’ensemble des courants politiques.
Les étudiants engagés se mobilisent contre la guerre, la torture, le colonialisme. D’ailleurs, la fraction nationaliste se détache.
Creuset naturel d’une jeunesse de gauche, l’Unef est une alma mater pour quiconque veut se politiser en étudiant. Tout ce que la gauche compte de sensibilités s’y retrouve et si on est volontiers en concurrence entre socialistes et communistes, gauchistes et autres, dans l’action syndicale c’est front unique.
C’est le propre d’ailleurs du syndicalisme et c’est plutôt bien ainsi. La tentative d’une représentativité la plus large possible d’un secteur donné pour mieux défendre ses intérêts.
D’ailleurs, c’est l’Unef qui définit avec la Charte de Grenoble ou la création d’une sécurité sociale étudiante cet environnement nouveau entre le monde salarié des adultes et des parents d’un côté et celui de l’enfance : c’est quand on est lycéen et étudiant qu’on est dans un temps sensible où on est réceptif aux mouvements de la société et disponible pour en débattre et envisager de la changer car la jeunesse d’aujourd’hui sera les masses de demain.
Ca n’est pas rien.
La crise actuelle de l’Unef et les réactions qu’elle entraîne est aussi une crise de la société politique française et des organisations qui la composent. Elle est révélatrice de l’affaiblissement du débat, de la capacité de confrontation des idées et finalement d’un renoncement évident à changer le monde pour que chacun s’y sente mieux.
Si l’Unef a coupé les ponts avec ses aînés, ceux-ci n’ont plus les ressources pour débattre ou « investir » leurs jeunes militants. L’attractivité de ce syndicat pour ceux qui veulent penser l’université de demain et la société d’après-demain est entamée par une direction repliée sur elle-même et qui perçoit la radicalité comme une fin en soi, un style de pensée alors qu’elle n’est pas pensée. Mais on aurait tort de n’y voir qu’une « radicalisation coupable » d’une organisation « vérolée » par une cinquième colonne qui pervertit la société.
Laissons cette rhétorique vieillotte à une droite qui hier pensait la même chose des « rouges » et des anarchistes.
La jeunesse d’aujourd’hui, quand elle n’est pas carriériste, garde évidemment une profonde générosité et une intransigeance à l’égard des injustices, mais nous sommes à la croisée des chemins : il n’y a pas une université populaire de type Vincennes où se mêlent études classiques et approches nouvelles avec le meilleur de la pensée et du savoir. Plus ces espaces dans lesquels tout le monde débat avec tout le monde et ne refuse la controverse à personne.
Au contraire, le vieux « choisis ton camp camarade » demeure, mais avec lui non plus la dialectique mais la sanction immédiate. Pensée binaire, interdiction de la nuance, voilà où nous sommes.
La « jeunesse » ne prend ses ordres nulle part, mais elle prend ses références où elle peut et si la rénovation de l’Unef sera l’œuvre des militants de l’Unef eux-mêmes, il faut admettre que même les syndicats peuvent mourir et que cela prend du temps…
D’une certaine manière on pourrait continuer à avertir « cours camarade, le vieux monde est derrière toi », mais la réaction ne vient pas des réactionnaires qu’on imagine depuis toujours.
D’un certain point de vue, le meilleur service à rendre à Vidal et Blanquer c’est de ne pas faire de syndicalisme. Indifférents aux conditions de travail et de vie des étudiants en pleine crise sanitaire, ils ont trouvé d’habiles diversions sur « l’islamogauchisme dans les facs » et la « dérive fasciste de l’Unef ».
Même les ministres de l’Intérieur des années 60-70 peu suspects d’amitiés gauchistes ne disaient pas autant de bêtises. Il faut dire qu’ils avaient leurs raisons et leurs intérêts, mais Blanquer, ministre de l’Education nationale commet une faute morale, politique et de méthode.
Si pour lui le « fascisme » c’est les réunions non mixtes interdites aux Blancs – que dirait-il des nervis racistes qui frappent, tabassent et prêchent comme ça a existé à Assas ou Lyon III.
On ne l’avait pas beaucoup entendu quand des responsables de l’UEJF s’étaient fait frapper par des militants frontistes à l’entrée d’un congrès du FN et personne n’avait alors parlé de dissolution !
Ce ne sont pas des dirigeants de l’Unef qui sur Cnews ou dans les colonnes du Figaro Vox ou de Valeurs actuelles vomissent leur xénophobie impunément.
L’erreur de l’Unef est d’inverser l’entresoi – oui, l’Unef de la grande époque n’est pas très colorée, mais chacun y trouve sa place et la question ne se pose pas, d’ailleurs, elle est à la tête des combats antiracistes d’ici et d’ailleurs et l’universalisme républicain consiste à répondre aux défis de l’identité par l’égalité. Elle est aussi de croire que la radicalité à la mode fait un programme politique.
Pourtant, le temps c’est celui d’une rénovation syndicale : la misère en milieu étudiant théorisée par l’A.G.E. de Strasbourg sous l’influence des situationnistes en 1966, on y est : l’isolement, la précarité, l’impossibilité de manger à sa faim, d’étudier dans de bonnes conditions, voilà ce que la crise sanitaire révèle ou creuse. S’entraider, voilà le mot d’ordre, mais si personne ne s’y attèle, le terrain abandonné sera occupé pour longtemps par d’autres et, pas avec les meilleurs intentions.
Elle est aussi de renoncer à la réflexion intellectuelle et politique sur le monde à venir au-delà de sa propres identité ou orientation sexuelle qui nous caractérise, mais qui ne nous définit jamais totalement ni indéfiniment et qui, quoiqu’on en pense, ne fait pas une ligne politique.
Avant d’imaginer une réforme de l’extérieur à l’Unef, que répondent les partis, syndicats ou associations dont bien des dirigeants s’empressent de condamner aux questions qui sont posées ? Quelles alternatives peut-on imaginer pour répondre de façon républicaine à ces exigences ?
L’attitude condescendante et la menace de la punition ne font que renforcer le sentiment d’autoritarisme que ressent toujours une jeunesse à l’égard d’une société qui ne la comprend pas. Comme disait François Mitterrand, « la jeunesse n’a pas toujours raison, mais la société qui la frappa a toujours tort ».
L’Unef vit. Vivra-t-elle, L’Histoire le dira.
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