C’était Jean-Michel. Un personnage qui vous accueillait.
Chaque année je lui souhaitais son anniversaire, le 5 mars, cette année, non. Et pour cause...
Les socialistes perdent une des dernières figures une génération qui s’éteint. Celle issue du Yiddishland et qui s’engage, toujours à gauche, parce qu'elle croit dans la force de l'émancipation.
Une partie de la famille de Jean-Michel Rosenfeld venait de Lublin, un des centres du judaïsme polonais. La région où naquirent Rosa Luxemburg ou encore Alter Goldman, le père de Pierre et Jean-Jacques Goldman.
Lui-même né dans le 10e arrondissement, a vécu dans le Pletzl, le quartier du Marais au cœur de Paris un mois après le 6 février 34.
Il échappe à la rafle du Vel d’hiv mais il n’a jamais oublié au lieu de l'insouciance de l'enfance, il a dû porter l’étoile jaune, au point de toujours la garder sans sa poche.
Enfant caché, comme quelques chanceux - car la police de Vichy raflait aussi les enfants et les nazis ne furent jamais dans le détail, Jean-Michel devait revivre la haine quand, sur un marché du 20e il se fit traiter de « sale youpin » il y a encore quelques années par des militants du Front national…
Comme il arriva souvent à ceux de sa génération, la vie active commença bien avant 20 ans. Comme l’engagement politique, dans les rangs du Parti socialiste que jamais il ne quitta.
Élu dans le Val de Marne puis dans le 20e arrondissement de Paris, c’était notre lien avec le Nord : collaborateur de Michel Delebarre lorsque celui-ci fut ministre, il fut inséparable de Pierre Mauroy qu’il accompagna jusqu’au bout.
Jean-Michel Rosenfeld assumait de correspondre à un vieux cliché : juif, de gauche et franc-maçon ! L'homme était passionné de débat et il avait sais l'importance de la culture.
Son judaïsme été laïque et culturel : il était un des dirigeants du Cercle Bernard Lazare, chroniqueur à Radio J et toujours présent aux cérémonies d’hommage aux victimes de la Shoah, lui qui perdit plusieurs dizaine de membres de sa famille dans la nuit et le brouillard au cours du génocide des juifs commis par les nazis et leurs supplétifs.
Il était un des derniers témoins de cette histoire, entonnant un chant en yiddish avec sa complice de toujours Danièle Hoffmann aux obsèques d’Henri Malberg au Père Lachaise.
Nous savions qu’une génération était en train de partir et avoir côtoyé ces personnes dont l’humilité et la foi militante forçait le respect au vu de ce qu’ils portaient comme héritage, nous imposait une exigence dans nos engagements.
Pour autant, Jean-Michel n’était pas simplement un témoin du passé. Une statue de marbre au contact de laquelle nous méditation sur les heures les plus sombres de siècle. C'était un militant actif ancré dans le présent. Au point d'être raisonnablement actif sur les réseaux sociaux.
Ami de Shimon Peres, également de Colette Avital, une diplomate israélienne, grande amie de la France et dirigeante de l'Internationale socialiste, Jean-Michel regrettait dans nos discussions l'affaiblissement progressif de la gauche en Israël, se demandant comment on pouvait les aider. Il avait accompagné Pierre Mauroy, alors Président de l'Internationale socialiste aux obsèques d'Yittzhak Rabin et, chaque année, il assistait à la commémoration parisienne de l'assassinat de l'homme de paix qu'était devenu Rabin.
S'il avait été un témoin, il était aussi un passeur de témoin, bienveillant auprès de la jeune génération de militants socialistes.
A son contact, on se rendait compte que l’engagement est une question de grandeur. Et aussi de mémoire. Comprendre l'importance des combats du passé, que rien n'est jamais acquis à vie et qu'on ne peut regarder d'un air blasé la résurgence de l'antisémitisme, la banalisation du racisme et la notabilisation de l'extrême droite.
Même en politique, « zakhor ! » est un commandement. Se souvenir est un devoir militant.
Jean-Michel est resté viscéralement attaché à un socialisme démocratique qui devait changer la vie, en France comme en Israël où il entrerait évidemment des liens avec la gauche qui, comme en France a atteint aujourd’hui un niveau de faiblesse inédit.
Comme disait Edmond Fleg, être juif c’est refuser d’être insensible à la misère des autres et Jean-Michel fit sienne toutes les mémoires. Celle du groupe Manouchian dans le 20e par exemple.
Jean-Michel était le contraire de l’homme replié sur lui-même, enfermé dans la nostalgie. De lui se dégageait un amour simple de la vie et de l'Autre. A méditer son histoire et sa vie, la méchanceté, le cynisme ou l'indifférence ne peuvent avoir de place dans nos vies et nous ne pouvons pas ne pas consacrer notre énergie à rendre le monde meilleur...
Ce militant qui ne s’est jamais mis, et qu’on n’a jamais mis au premier plan et plus lumineux que ceux qui cherchent la lumière.
Il faisait partie du quotidien de beaucoup de militants socialistes du 20e arrondissement.
Bras droit de toujours de George Pau-Langevin, on ne le verra plus attablé avec quelques militants de la nouvelle génération, ni à la synagogue de la Victoire ou lors des cérémonies d’hommage aux victimes de la Rafle du Vel d’Hiv.
Jean-Michel était évidemment attaché à la Fondation Jean Jaurès dont le premier président avait été son ami Pierre Mauroy tout comme à une certaine idée du Parti socialiste dont il défendait l’identité sans jamais céder aux sirènes de ceux qui confondent modernisation et droitisation, ou ceux qui confondent authenticité et radicalité.
Tous les hommages évoquent la fidélité d’un homme qui ne quitta jamais le PS.
L’enfant qui portait l’étoile jaune, passa sa vie à brandir le drapeau rouge du mouvement ouvrier, faisant sien le commandement que rappelait Pierre Mauroy pour toute la gauche : vous mettrez du bleu au ciel.
Avec lui nous somme devenus meilleurs. Puissions nous ne jamais dévier de la route qu’il suivie. Comme tu l’aurais dit : « Zay Gezunt, mayn freynd ».
Le prochain congrès du Parti socialiste est probablement aussi incertain et aussi crucial que le Congrès de Reims en 2008. Reims était le moment du bilan des dix ans de François Hollande comme Premier secrétaire dont on garde un souvenir : celui de beaucoup de victoires dans les élections locales, mais aussi trop de réformes remises à plus tard, de clarifications ajournées au nom de l’unité.
Reims était aussi ce moment où on tirait les leçons d’une élection présidentielle dans laquelle les socialistes ne firent pas bloc derrière une candidate qui se méfiait de son propre parti.
Marseille sera le bilan des années Faure tant le Premier secrétaire a « tenu » les rênes d’un Parti usé et fracturé sans parvenir, au bout de deux mandats à recréer un élan qui redonne au parti qui a si longtemps dominé la gauche, un semblant de foi en lui-même.
Disons tout de suite, que je sais d’expérience, que lorsqu’on dirige un parti, rien ne vous est donné. Au contraire, tout vous est imputé. L’isolement arrive et les désillusions avec. C’est un travail ingrat, un boulot de chien. Mais associer le plus grand nombre, écouter toutes les voix, maintenir les liens avec les uns et les autres, maîtriser l’expression publique ou encore faire travailler l’organisation et exiger des résultats, ce sont des choix libres qu’on peut faire ou ne pas faire.
Où va le PS ?
Le Parti socialiste, je le connais bien. Pour y militer depuis plus de 25 ans maintenant, pour y avoir travaillé pendant 20 ans, pour y avoir côtoyé dans diverses fonctions des figures qui ont marqué son histoire.
Attaché à l’importance sacrée de la transmission, je n’ai jamais cru à l’efficacité de « jeter le bébé avec l’eau du bain », ni à l’idée qu’amnésie valait amnistie. Si la chanson dit « du passé faisons table rase », ça s’applique à ce que nous combattons, jamais à ce qui nous permet d’être là où nous sommes.
Quand Olivier Faure rétorque à ceux qui lui reprochent de tourner le dos à l’Histoire du PS « je ne suis pas un gardien de musée », il a raison car personne n’avance les pieds dans le marbre des statues. Il a tort car pour savoir où on va, il faut savoir d’où on vient.
Tant qu’il y aura des socialistes, il y aura un parti pour les accueillir, mais le problème du moment est que le PS ne rassemble plus celles et ceux qui se réclament du socialisme démocratique, de la social-démocratie, cet équivalent français du PSOE ou du SPD, ceux qui se reconnaissaient dans Jaurès, Blum ou encore Mitterrand, qui se réclament de Willy Brandt ou, plus près de nous, de Pedro Sánchez, Paul Magnette ou António Costa…
Le PS a un passé, fait de succès et de conquêtes. Il a aussi un passif, fait de renoncements ou d’échec. C’est la rançon de l’action dans la durée et aussi de l’exercice du pouvoir dans un cadre démocratique.
Mais aujourd’hui, trop de socialistes doutent d’eux-mêmes et s’ils ne s’aiment pas, s’ils ne croient pas en eux-mêmes, pourquoi un pays et des électeurs croiraient en eux ?
On nous parle de nous échecs et d’un bilan négatif et le procès en trahison est suffisamment fréquent pour que l’on n’ignore rien de nos défaites. C’est que nous ne travaillons pas assez à répondre aux exigences des nôtres.
Il ne s’agit pas simplement d’avoir un bon projet, il s’agit aussi de tenir le cap, malgré le gros temps et de tenir notre rang dans un contexte politique où le danger pour la démocratie existe : ni la radicalité, ni la verticalité ne sont compatibles dans la durée avec les exigences d’une gauche qui veut changer la société sans la fracturer.
D’ailleurs, nulle part en Europe, la gauche qui gagne et qui parvient à incarner le camp de l’efficacité économique au service de la justice sociale et des urgences environnementales est celle des coups de mentons ou celle qui ne trouve rien à redire aux conservatismes néo-libéraux.
Voilà pourquoi le Congrès de Marseille est important.
Rester ou partir
Dans l’histoire du PS, la très grande majorité des gens qui sont partis, l’ont quitté sur la pointe des pieds. Plus d’envie, plus de « jus ». Il n’est pas anormal qu’à un moment, un militant qui a donné du temps à son organisation ne parvienne plus à surmonter ou à relativiser un désaccord. Nous vivons aussi une époque marquée par la crise de l’engagement pour des causes globales et qui demandent une implication sur le temps long.
Depuis quelques années, les ruptures se font bruyamment comme s’il y avait un désir de faire mal avec parfois des formules pompeuses du genre « ça n’est plus ma gauche, ça n’est pas moi qui quitte le PS, c’est le PS qui me quitte ». En réalité, cela révèle une difficulté ou une incapacité à se battre pour faire valoir une orientation. Si dans son histoire, cette forme d’intransigeance avait dominé dans les esprits de nos prédécesseurs, dans les combats pour l’unité en 1905 ou bien lorsque les courants s’affrontaient sur les questions économiques, alors le PS aurait disparu depuis longtemps.
Aucun de ceux qui ont quitté le PS depuis 2017 pour faire autre chose politique n’a réussi son entreprise. Les amis de Benoît Hamon ont fini pour l’essentiel par rejoindre les écologistes où ils ne pèsent pas et ceux qui ont rejoint Emmanuel Macron sont empêchés de déployer une aile « progressiste » influente, capable de contre l’orientation néo-libérale de Le Maire, le cours sécuritaire de Darmanin et, comme ils furent impuissants à contrer la politique éducative rétrograde de Blanquer.
Autour du PS, des clubs, des initiatives existent pour bâtir une gauche de gouvernement qui ne renonce pas, mais cela n’existera pas sans un Parti socialiste « curieux et ouvert » comme disent les travaillistes norvégiens.
Pas sûr que dans la situation actuelle, le pays ait besoin que la gauche ne soit qu’une agglomération de groupuscules !
L’Union oui, la mélenchonisation non !
Aujourd’hui, le PS est divisé en deux tendances : les légitimistes qui pensent que la direction sortante, parce que rien ne lui a été épargné, a fait le sale boulot et qu’elle a préservé l’essentiel : le groupe socialiste à l’Assemblée nationale. En face, deux courants qui croient que le maintien de ce groupe a eu un coût démesuré puisque le PS a sacrifié, à leurs yeux, non seulement des circonscriptions gagnables, mais son identité carrément. En d’autres termes, quand la direction sortante parlait de dépassement, son action menait à l’effacement.
Ca n’est pas entièrement faux. Le dépassement du PS n’était possible que s’il avait une attractivité suffisante quant à son effacement, c’est le désir commun de ceux qui croient, à gauche, qu’il fallait en finir avec l’hégémonie du PS et en faire, au mieux, une force d’appoint car, quand même, dans les territoires, sans le PS à Paris, Nantes, Lille, Rouen, Clermont-Ferrand ou encore en Occitanie, en Nouvelle-Aquitaine ou en Région Bourgogne-Franche Comté, pas de majorité de gauche possible.
Qu’on le veuille ou non, l’unité était indispensable pour « sauver » des sièges de députés en 2022, mais la faiblesse structurelle de la Nupes réside aussi bien dans la prononciation que dans sa gestation qui était pour autrui, c’est-à-dire Jean-Luc Mélenchon.
Passer des années à se haïr pour surjouer l’unité pose un problème tellement évident de sincérité qu’il n’y a pas une semaine sans couac dans la Nupes.
Le Parti communiste affirme son autonomie, les écologistes ont fait un choix de congrès qui n’est pas celui de la radicalité et la tactique parlementaire de la France Insoumise qui a conduit à la complaisance avec l’extrême droite sont autant d’indicateurs que le Parti socialiste, en fidélité avec son histoire, ne doit pas confondre le fait d’être allié avec le fait d’être aligné.
Toute l’histoire du Front populaire, du Programme commun et de la Gauche plurielle c’est l’histoire de mois, parfois d’années d’échanges, de confrontation, de discussion pour avancer ensemble.
La France Insoumise se voit comme une gauche « sûre d’elle et dominatrice » clanique et sectaire qui peut fasciner les esprits un peu jeunes, comme jadis ces militants d’extrême gauche qui en imposaient dans les assemblées générales par leur savoir-faire et leur verve. Ajoutant à cela l’intransigeance de certains écologistes et la centralité de la question du climat – ce qui a conduit trop de socialistes à commettre l’erreur de reléguer la question sociale à une place secondaire, après les sujets sociaux et environnementaux, on a envie de relire Blum qui en 1946 fustigeait la peur du Parti socialiste :
« Je crois que, dans son ensemble, le Parti a peur. Il a peur des communistes. Il a peur du qu'en-dira-t-on communiste. C'est avec anxiété que vous vous demandez à tout instant : “ Mais que feront les communistes ? Et si les communistes ne votaient pas comme nous ?... ” La polémique communiste, le dénigrement communiste, agissent sur vous, vous gagnent à votre insu et vous désagrègent.
Vous avez peur des électeurs, peur des camarades qui vous désigneront ou ne vous désigneront pas comme candidats, peur de l'opinion, peur de l'échec. Et s'il y a eu altération de la doctrine, déviation, affaissement, ils sont là, ils sont dans la façon timorée, hésitante dont notre doctrine a été présentée dans les programmes électoraux, dans la propagande électorale.
Il y a un an, ici, je vous suppliais de vous montrer aux élections avec votre visage. Je vous disais : “ je vous en supplie, effrayez plutôt que de duper. Ne dissimulez pas le véritable visage du socialisme. Exagérez-le encore, plutôt que de le masquer. ” […]. »
En 2022, ce ne sont plus les communistes qui produisent cet effet, mais les Insoumis et les écologistes.
Etre soi-même et s’affirmer n’est pas affaire de fierté, c’est une question d’identité. Nul à gauche n’a l’expérience qu’ont les socialistes de la gestion des affaires du pays, aussi bien au niveau de l’Etat qu’au niveau local. On peut moquer les anciens ministres, les tenir à distance, croire que quarante ans dans le désert purgeront une génération « compromise » avec le pouvoir, condition nécessaire à l’entrée dans la terre promise, mais c’est oublier que dans l’équipe aux commandes du PS depuis 2017, l’essentiel des hommes et des femmes qui la compose a soutenu les gouvernements qu’ils renient aujourd’hui, soit comme parlementaires, soit comme collaborateurs. Opportunisme au sens noble, cynisme ou zèle de nouveaux convertis, la direction du PS cède à ce que Laurent Baumel, alors proche de Dominique Strauss-Kahn dénonçait fort justement « le surmoi marxiste avec lequel il faut rompre ».
La mélenchonisation c’est quoi ? c’est d’abord le sectarisme et l’anathème. Le fameux « partez » qui fut lancé lors d’une réunion du Bureau national à l’égard de la minorité fut une faute grave, révélatrice de beaucoup de choses.
Ensuite c’est cette façon de mettre en scène un homme, seul. Il est intéressant de noter dans la communication du PS comme celle des soutiens de la direction sortante, une personnalisation constante. Quelque chose qui n’a jamais existé, même dans le PS de François Mitterrand. Comme si le projet c’était Olivier Faure. Comme s’il s’agissait de se préparer pour l’après-Mélenchon ou l’avant 2027…
Enfin, la mélenchonisation c’est la radicalité comme posture et la confrontation comme culture.
Beaucoup de socialistes disent aujourd’hui qu’il y a un besoin de radicalité, mais personne n’a jamais dit le contraire. Aucun socialiste n’accepte l’ordre établi, par contre, aucun socialiste ne peut renoncer à la recherche du meilleur compromis pour bâtir une société où l’égalité serait une réalité.
Pour gagner, il faut d’abord refonder
Dans les figures imposées des congrès ou des crises qui suivent une défaite électorale, il y a des rénovateurs, des reconstructeurs, des réinventeurs ou encore des refondateurs.
Des reconstructeurs, il en a eu au PS : ils ont gagné leur congrès, engagé le parti sur des réformes programmatiques et doctrinales suffisamment fortes pour qu’à l’issue, le parti soit en situation pour gagner et gouverner. De cette période : 2007-2012, ceux qui s’en souviennent gardent en mémoire un parti ouvert et au travail. Cela veut dire que cette méthode est la seule qui vaille.
La refondation supposerait, si on s’en tient au mot, à une révision totale et à une réinitialisation de la machine. Il y a en effet un grand besoin de tout revisiter, de garder ce qui marche et de changer ce qui ne marche pas. D’interroger les traditions et les habitudes et de stimuler les esprits, mais on sait aussi par l’expérience que lorsqu’on prétend tout changer, en réalité, rien ne change.
Le Parti socialiste a affaibli sa capacité de travail et de rigueur. Les épisodes des casquettes de Blois et, plus récemment du clip retiré ne sont pas des anecdotes, elles disent beaucoup de l’état de l’organisation. Henri Weber, citant Lénine, aimait à répéter « les questions d’organisation sont des questions politiques à 100 % ».
Si donc, on ne peut continuer ainsi, deux choix s’offrent aux militants qui doivent être nombreux à aller voter dans quelques jours.
Les amis d’Hélène Geoffroy mènent ce combat depuis longtemps. Attachés au parti d’avant, ils sont convaincus qu’il est possible de bâtir un parti nouveau, en phase avec les exigences populaires. Un parti qui ne fantasme pas le pouvoir sans se lasser corrompre par lui.
Une nouvelle force s’est constituée, tirant les conséquences des choix stratégiques de juin dernier. Son premier signataire, Nicolas Mayer-Rossignol a su rassembler autour de lui des profils variés qui cumulent l’expérience, l’enracinement dans un territoire et des générations mêlées reliant plusieurs époques. En l’écoutant, j’ai été séduit par sa rigueur, mais cela ne suffisait pas.
Il fallait dire qu’une autre façon de faire fonctionner le PS était possible et autrement que dans une logique d’influence au sein d’une majorité trop large pour être mobile.
Le PS a besoin d’une nouvelle majorité, d’un nouveau leadership, d’une nouvelle énergie. Il faut retrouver une force propulsive et une dynamique attractive : redonner à la formation politique sa centralité dans les parcours militants. Des militants qui doivent se réimplanter plus fortement dans le mouvement social, les réseaux associatifs, les entreprises, le monde de la culture, de l’innovation et les syndicats.
Refondation selon moi rime avec reconnection avec ce mouvement social dont les Gilets jaunes ont illustré à quel point il traversait lui aussi une crise de la représentation.
Une promesse avait été faite en 2008 de donner plus de pouvoir, d’initiative ou d’espace aux fédérations du PS. Rien a été fait en ce sens, pourtant, les responsables locaux comme les élus sont les voix des territoires et des relais utiles pour tisser ces réseaux qui font que rien ne se qui se passe dans le pays, dans tel ou tel secteur n’est étranger aux yeux ou aux oreilles d’un parti qui doit être celui de toute la société.
Refonder le PS c’est repenser ses ressources humaines aussi bien militantes que salariées. Celles et ceux qui vendent leur force de travail au Parti, ce qu’on appelle les « permanents », n’ont jamais été aussi peu nombreux et en si grande détresse, or sans collaborateurs salariés, aucun parti ne peut penser, s’organiser et atteindre ses buts.
Refonder le PS c’est en refaire un acteur exigeant des combats idéologiques en se méfiant des modes, des raccourcis ou des indignations consensuelles. Le combat contre le racisme et l’antisémitisme pour prendre un exemple a besoin d’un parti qui n’instrumentalise pas ces questions et qui cherche sincèrement des réponses face à ceux qui expriment avec de moins en moins de réserve leur haine des musulmans, des juifs ou de tout ce que n’est pas comme eux.
Refonder le PS c’est renouer avec les intellectuels, le monde de la culture, des savoirs et de l’éducation : tout socialiste est animé d’une sorte de foi républicaine : liberté ordonnée, égalité réelle, fraternité laïque. Cela s’apprend, cela s’inculque, cela se transmet.
Refonder le PS c’est penser le féminisme sans jamais verser dans l’essentialisation ce qui est contraire à l’universalisme et en cela, il faut assumer une approche socialiste ou social-démocrate qui ne cherche pas à se faire bien voir de tel ou tel courant radical.
Dans son projet pour l’outremer, Anne Hidalgo alors candidate à l’élection présidentielle, a employé un mot qui résume bien l’état d’esprit qu’il faut avoir aussi bien pour les questions ultramarines – trop délaissées par la plupart des formations politiques et par le gouvernement – la considération. Sans condescendance, il est nécessaire d’écouter et de trouver les réponses que posent les nôtres.
Qui s’intéresse à Mayotte autrement que lorsqu’il y a des explosions de violence ? Personne.
La refondation ne s’arrêtera pas à l’issue du congrès de Marseille. Quoiqu’il arrive d’ailleurs, elle devra s’engager. Soit dans la majorité, soit dans la minorité en tâchant de bâtir un mouvement exemplaire, rigoureux et respectueux, inventif et aussi attractif.
Pour ces raisons, j’ai décidé de soutenir Refondation sans réserve.
Comme beaucoup de militants sans concession dans le combat contre l’extrême droite, le racisme et l’antisémitisme, j’ai cru à une intox lorsque j’ai vu que Serge et Beate Klarsfeld recevaient la médaille de la ville de Perpignan des mains du maire, une figure de l’extrême droite, militant depuis 30 ans du FN puis du RN, dont il brigue la présidence.
Mais l’information fut confirmée.
Comme quelques amis, j’avais prévu d’assister au débat auquel ces deux héros du combat contre l’oubli, qui ont consacré leur vie à chasser les nazis et à restituer et entretenir la mémoire de la déportation des juifs de France et il allait de soi que l’actualité allait donner une coloration différente à la soirée.
Adolescent dans ma lointaine Martinique, j’avais découvert Beate Klarsfeld sous les traits – excusez du peu – de Farah Fawcett Majors, la blonde de la série Drôles de Dames, qui incarnait l’activiste franco-allemande dans un téléfilm qu’on peut encore voir d’ailleurs sur YouTube.
Depuis, les combats des époux Klarsfeld allaient devenir un parcours de combattants forçant l’admiration, mais qui avait surtout une forte valeur pédagogique. Dans leur mode opératoire, il y avait une radicalité qui correspondait à l’air du temps dans cette fin des années 60 par ailleurs, quand le fond de l’air était rouge.
Sur la collusion avec le maire RN de Perpignan, plusieurs expressions ces derniers jours ont donné l’essentiel, auquel, il n’y a pas grand’ chose à rajouter. Cela tient en quelques phrases :
On ne peut pas avoir appelé à voter contre l’extrême droite et devenir, sciemment ou pas la caution de cette même extrême droite au motif qu’elle a envoyé des signaux positifs.
On peut d’autant moins le faire lorsque ledit maire inaugurait récemment un lieu en mémoire d’une figure de l’OAS.
Le débat auquel participait le couple, accompagné de son fils, permit évidemment d’évoquer leur parcours qui force le respect et de les écouter expliquer, difficilement, il faut le dire, l’affaire perpignanaise.
L’idée consiste, pour eux – c’est Arno Klarsfeld qui fut le plus virulent – à dire que l’extrême droite pouvait changer et que dans le débat qui occupait le RN pour la désignation de son prochain président, il fallait aider la ligne modérée.
Enfin, l’argument classique fut évoqué par Arno Klarsfeld, qui, à la différence de ses parents, s’est engagé politiquement, notamment à l’UMP, de l’extrême gauche « antisémite » qui, si elle arrivait au pouvoir, « les juifs devraient baisser la tête dans la rue ».
J’assistais à ce débat quelques jours après être allé voir le film très poignant d’Olivier Dahan sur Simone Veil qui restitue bien la droiture de cette grande dame. Récemment, j’évoquais avec une amie de Marseille, la figure de Robert Badinter, et nous sommes cette semaine dans le quarantième anniversaire de la disparition de Pierre Mendès France… On s’imagine bien qu’il n’y aurait jamais eu de leur part ces errements.
Les Klarsfeld ont eu tort, mais ils sont dans l’air du temps. Le temps de la confusion, de la dépolitisation, des détournements.
Le temps d’un certain oubli : l’extrême droite est par nature xénophobe. Elle hait l’étranger. Or, pour peu que les textes aient un sens, il y avait un commandement qui disait sans détour « Si un étranger vient séjourner avec toi, dans votre pays, ne le molestez point. Il sera pour vous comme un de vos compatriotes, l’étranger qui séjourne avec vous, et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers dans le pays d’Egypte ». Une fois n’est pas coutume, ça se passe de commentaire.
Ce fut moins une surprise qu’un choc que voir l’extrême droite en tête dans beaucoup de territoires ultramarins lors de l’élection présidentielle. Ce fut moins une surprise que la prise de conscience d’un changement inquiétant de voir beaucoup de Français de culture ou de confession juive voter pour Eric Zemmour… Après tout, le fond de l’air, depuis bien longtemps maintenant, est plus brun que rouge. La mithridatisation fait son œuvre. Chaque le constate, mais il semble impossible d’inverser la machine.
Bolsonaro au Brésil, va perdre très certainement l’élection présidentielle, mais il aura gagné des voix. Trump lui-même n’a pas essuyé de défaite cuisante et son retour en 2024 n’est pas exclu sauf si la justice passe par là.
Quant à Netanyahu – qui fait plus penser lui-même à Trump qu’à Trumpeldor – on a vu dans le jeu des alliances, la radicalisation toujours plus à droite.
Aujourd’hui, le racisme anti-arabe, l’obsession anti-musulmane conduit à tout mélanger et ceux qui travaillent au dialogue sont souvent isolés. L’argument qui justifie la complaisance à l’égard de l’extrême droite est simple : « tous les actes meurtriers antijuifs depuis 40 ans sont perpétrés par des musulmans alors que l’extrême droite ne tue plus de juifs ». Sauf qu’on tue aussi par les mots et l’antisémitisme est à l’extrême droite française ce que le rhum est au ti-punch.
L’extrême droite a besoin de cautions, d’alibis pour se purifier. Même si chez nous les Antillais, la sensibilité au racisme est très forte, à fleur de peau, nous voyons facilement dans le Blanc un raciste qui sommeille et qui peut se réveiller à tout moment, et nous n’excluons jamais totalement d’un raisonnement ou d’une discussion, tôt ou tard, le fait colonial. Cela ne nous empêche pas de nourrir des sentiments peu fraternels pour les Antillais venus d’îles plus pauvres et d’évoluer dans des sociétés où on prend en compte aussi bien le taux de croissance que le taux de mélanine. Je noircis un peu le trait… Mais ça existe. Tout cela fonctionnant évidemment avec le triptyque cher au FN depuis longtemps : identité immigration insécurité. Comme ces questions peuvent toucher les plus bas instincts, il n’y plus ni morale ni « charité chrétienne » ni mémoire…
En effet, l’époque est aux replis identitaires et s’il y a un élément sur lequel l’extrême droite ne change pas, c’est qu’elle essentialise tout. On a même vu dans une certaine presse, la diabolisation de "l'antiracisme"... L’infanticide dans le 19e devient un « francocide » tandis qu’après avoir fait campagne en affectant un discours « social », les députés RN votent les mesures antisociales du gouvernement par exemple.
Enfin, en octobre dernier, lors du 50e anniversaire de la création du Front national, le RN était attendu au tournant. Soit il boudait l’événement en disant « nous avons changé de nom, ça n’est pas notre histoire », soit il assumait la filiation et l’héritage. C’est ce qu’ils ont fait. Voilà pourquoi, pour les Français juifs comme pour ceux qui sont épris de liberté, de fraternité d’égalité, hostiles à toutes discriminations, l’extrême droite est un parti de faux prophètes.
C’est par l’obsession de l’identité, par la caractérisation de l’Autre, par la volonté de marquer une différence, par le désir aussi de « nettoyer » pourtant que, de fil en aiguille, certains des grands crimes de l’Histoire commencent.
Il y a dix ans j’écrivais ce billet pour évoquer l’un des courants les plus importants de l’histoire du Parti socialiste des années 90 et du début des années 2000, même si je n’en fus jamais membre et plutôt un adversaire politique.
Dix ans après l’écriture de ce billet et vingt ans la scission de la Gauche socialiste (GS), ce courant qui fut toujours minoritaire disparu dans une scission qui occupa les esprits à la fin de l’été 2002, on note que plusieurs de ses dirigeants ou militants d’alors occupent toujours une place importante dans l’animation du débat dans l’ensemble de la gauche et des écologistes.
Voici donc, dix ans après, une actualisation subjective, mais respectueuse du parcours de camarades dont beaucoup de celles et ceux qui militent encore aujourd’hui gardent évidemment un bon souvenir, mais gardent surtout la même insatisfaction à l’égard de l’ordre des choses…
Le temps des courants
Le degré de libertés de débats et de vitalité démocratique au sein Parti socialiste a longtemps été un sujet de fascination pour les observateurs. En son sein, depuis toujours, il y a eu des courants. Et pour cause, le PS est la fusion de cinq partis.
L’existence de tendances, courants, sensibilités, fractions, est une constante dans les grands partis ouvriers, même si, et on le constate de façon si fréquente à l’extrême gauche que c’est devenu un sujet de moquerie, leurs affrontements débouchent plus souvent sur des scissions ou des exclusions que des synthèses. Contradictoire avec la volonté de rassembler l’ensemble des travailleurs !
Donc, au PS, il y a longtemps eu des courants ou des sensibilités : soit du fait d’une interprétation particulière du projet, soit pour organiser et accroître l’influence ou défendre les intérêts de telle ou telle personnalité.
Dans beaucoup de cas, il s’agissait d’une démarche intellectuelle sincère, même si, cela a dérivé trop souvent dans des querelles d’égos, ce que l’Histoire a retenu par exemple avec le Congrès de Rennes du printemps 1990 qui a traumatisé beaucoup des socialistes qui l’ont vécu.
Dans la suite de François Hollande, Olivier Faure décréta la fin des courants dans son discours d’Aubervilliers en 2018. Ceux-ci avaient cessé d’exister depuis longtemps, s’éteignant d’eux-mêmes. Il n’en demeurait qu’une mémoire rarement entretenue sauf par quelques évocations.
Le club Inventer à gauche reste probablement la seule structure qui perpétue la tradition rocardienne autour de Michel Destot.
Mais il y eu des courants qui jouèrent un rôle à l’époque. Les Poperénistes qui durèrent encore après la mort de Jean Poperen en 1997, au sein desquels on croisait des historiques comme Jean-Marc Ayrault, Colette Audry, Alain Vidalies, Michel Debout, Philippe Bassinet, mais aussi la jeune garde emmenée par le brillant Emmanuel Maurel dans les rangs de laquelle Céline Pina fit ses premières armes politiques. Les poperénistes se situaient à l’aile gauche du PS, réformiste, intellectuels marxisants, pro-européens critiques et partisans eux aussi d’un grand parti de toute la gauche.
Il y avait eu dans les années 70 et 80, le CERES, lui aussi très à gauche, force d’appoint des majorités de François Mitterrand. Il fut une véritable école de formation politique autour de son leader Jean-Pierre Chevènement et ses lieutenants, Didier Motchane ou encore Pierre Guidoni où écoutait Georges Sarre.
Les amis d’Henri Emmanuelli complétaient cette « aile gauche » du parti d’Epinay.
Le CERES – devenu Socialisme et République fut le moins europhile des courants du PS et en 1993, le départ vers le Mouvement des Citoyens (MDC), ancêtre du MRC marqua la fin d’une époque.
Après le 21 avril 2002, orages d’été au Parti socialiste
Le choc de l’élimination de Lionel Jospin au premier tour de l’élection présidentielle résonne encore aujourd’hui. C’est dire s’il était évidemment violent alors. Beaucoup de socialistes renièrent ce qui avait été réalisé pendant cinq ans, un record de longévité pour un Premier ministre depuis 1969. Le remords du pouvoir fonctionnait à plein après une défaite que l’hebdomadaire Marianne avait prédit en titrant quelques mois auparavant « Pourquoi la gauche va perdre ».
Les documentaires sur la campagne de Lionel Jospin que l’on vit à la télévision après, insistait sur cette confiance que les socialistes avaient en eux-mêmes, même si certains étaient prudents. Ainsi, ce passage où, quelques dizaines de minutes avant que les chiffres de tombe, un Julien Dray sûr de lui : « on est au deuxième tour, je suis prêt à prendre les paris ! » devait une caméra qui immortalisa le moment. C’était l’expression d’un optimisme partagé par beaucoup.
L’été 2002 fut donc occupé à analyser, à penser les plaies et à les panser. Mais, ce qui existait alors – on n’était pas encore aux temps des réseaux sociaux où s’expriment avec indécence ceux qui veulent parler sans qu’ils soient bien certains qu’ils ont quelque chose à dire - le "délais de décence" fut bravé par Marie-Noëlle Lienemann, ancienne ministre du logement dans le gouvernement. Elle avait commis un ouvrage réquisitoire, imputant la défaite à une deuxième moitié de législature insuffisamment à gauche et à une campagne ratée... La violence de la bronca contre elle fut inouïe, mais quelques mois plus tard, ses analyses furent reprises pour l'essentiel par la plupart des militants qui rejoignirent le courant Nouveau Parti Socialiste au congrès de Dijon du printemps 2003 avec Arnaud Montebourg, Christian Paul, Vincent Peillon ou encore Benoît Hamon.
Des campagnes ratées il y en aurait d’autres, probablement parce que le travail d’inventaire après une élection, qu’elle soit gagnée ou perdue n’est jamais mené sérieusement, sauf pour peut-être, quand il s’agit de régler des comptes, ce qui ne règle aucun problème… Mais c’est un autre débat.
Si l’attention des participants était concentrée sur les débats, les rencontres et les discours de l’Université d’été, dans cette ère pré-Twitter, ce qui intéressait c’était ce qui se déroulait parallèlement plus au nord, à Nantes où se déroulait l'université d'été de la GS. Un psychodrame qui marquerait la fin d'une aventure collective qui avait marqué le PS et la gauche militante pendant plus de dix ans.
« leur morale et la nôtre »
Entre 1990 et 2002, il y eut entre la GS et les autres, une inimitié qui s’explique certes par le sectarisme, la fascination répulsion que provoquait un style un peu « bad boy » provocateur ou gauchisant qui jurait avec un réformisme pépère. Un conflit entre adultes assagis et ados attardés, une tension entre « aspirations révolutionnaires » et réalisme de gauche… Bref, deux cultures, pour reprendre la formule de Michel Rocard à la fin des années soixante-dix…
Il y avait aussi l’importation ou la prolongation des querelles de chapelles entre ex trotskystes qui avaient poursuivi leurs joutes dans les AG de l’Unef-ID et quelques mouvements étudiants.
Méfiance collective, paranoïa, affrontements vifs et pour cause, tous les fondateurs de la GS venaient de l'extrême gauche. Soit la branche lambertiste comme Jean-Luc Mélenchon, soit le pablisme comme Marie-Noëlle Lienemann ou bien sûr la LCR comme Julien Dray, Laurence Rossignol ou Gérard Filoche non fondateur mais qui les rejoignit en 1994 et qui revendique, depuis la fin de cette aventure, le nom pour continuer la sienne, avec ses proches.
La GS prolongeait au PS, la culture radicale des années 70-80, dans une synthèse assez particulière : une relation filiale avec François Mitterrand qui leur pardonnait plus qu’à d’autres, une intransigeance juvénile qui tranchait avec le sérieux d’un parti qui gouvernait alors la France depuis longtemps.
Le style de la GS "des éclats de voix, une intransigeance doctrinale sans faille et des embardées tactiques à tout-va" selon la description de Renaud Dély (Libération du 22 novembre 2000), s’accompagnait des classiques de la fraction politique. Un esprit de clan qui nourrisait chez certains un sectarisme sans bornes – cela dit cela dépendait des territoires et des personnes – des réputations qui collaient à la peau, bref, chaque congrès promettait d’être « sportif ». Avec le recul, cela donnait de la gravité et de l’intérêt à l’enjeu.
A cette époque, la GS faisait partie du décor : aucun orateur de la GS ne prenait à la légère le moment de son « l’interv ». Surtout pas les dirigeants du courant. Julien Dray était souvent indigné et sa voix montait vite dans les aigus. Certains moquaient les envolées enflammées de Marie-Noëlle semblant au bord des larmes, mais même les plus hostiles à la GS, ne rataient pas un discours de Jean-Luc Mélenchon, probablement un des meilleurs tribuns du PS, même si son style « Troisième République » donnait l’impression d’un homme qui vivait mal son époque.
Un courant-maison
Recyclant ce qu’ils avaient appris dans leurs engagements de jeunesse, les fondateurs bâtirent un réseau qui leur permettait de "prendre en charge" la jeunesse dès le berceau de la prise conscience politique avec le principal syndicat lycéen, la Fédération indépendante lycéenne (Fidl) qui eût pour présidents de militants à l’avenir prometteur comme Delphine Batho, Frédéric Hocquard, François Delapierre ou encore Nasser Ramdane. Il y avait aussi les tendances dans l'Unef-id, le club - on ne disait pas encore think tank - "République sociale" qui disposait d'une branche allemande dont l'une des représentantes était Andrea Nahles, qui devint plus tard une dirigeante de premier plan du SPD. Sans oublier bien sûr le mouvement antiraciste avec SOS Racisme qui exista avant le courant, qui lui survécut, gagnant son émancipation complètement tout en demeurant fidèle à un engagement de départ : la politisation de la jeunesse.
La GS avait ses publications comme"A Gauche" et ses temps forts, notamment et ses journées annuelles à Niort à la fin du mois d’août. Tout cela ajouté à d’innombrables réunions de courant avant les grands rendez-vous du PS, obligatoires et un courant très structuré, donnait un sentiment d'appartenance très fort quitte à donner aux militants les plus « novices » un espace de socialisation milité qui donnait une impression de vase clos. C’est certainement ce qui survit aujourd’hui pour une partie de ceux qui ont suivi Jean-Luc Mélenchon, notamment au sein du très fermé et discret Parti de gauche.
Plusieurs générations de cadres sont passés par la GS. Outre les dirigeants historiques que nous avons cité plus haut Malek Boutih, Pascal Cherki, Isabelle Thomas, Yann Galut, Daniel Goldberg, Sébastien Pietrasanta, Pascale Boistard, Jérôme Guedj, Olivier Leonhardt, Harlem Désir, Olivier Thomas, Bernard Pignerol, Patrick Mennucci, Alexis Corbière et Raquel Garrido, François Carbonnel, Eric Benzekri, David Roizen, Nicolas Nordmann, Colombe Brossel, Léa Filoche ou encore Loubna Meliane… La liste est longue d’hommes et de femmes qui y ont puisé une solide formation militante. Certains ont continué l’engagement politique, d’autres ont choisi d’autres voies. Parmi eux, trois auraient encore des choses à apporter à la réflexion…
La quasi-totalité des « ex » de la GS qui sont restés militants, l’ont été à la gauche ou dans l’écologie politique et ils conservent une solide connaissance des mouvements sociaux, une sensibilité aux nouvelles formes de mobilisations ou aux questions qui peuvent faire bouger la société. Bien sûr la GS n’en avait pas le monopole, mais c’est elle qui, indéniablement, fut la plus durablement organisée des ailes gauche historiques du Parti socialiste.
Des thèses
Si la GS fut toujours mitterrandiste, elle n’en était pas moins culturellement trotskyste. Il fallait lire Bilan et Perspectives et familier des "thèses" adoptées par le courant quand il s’agissait de définir une position politique. Dans la rhétorique, parce qu’en politique la sémantique cela compte toujours, la phraséologie était résolument branchée et moderne, souci d’attractivité oblige.
La jonction entre Dray, Filoche et Lienemann se fit dans la fédération de l'Essonne, fief historique de ce courant dans les années 90-2000. Lienemann avait présenté une motion "néo-rocardienne" au congrès de Bourg en Bresse en 1983 avec Alain Richard, mais à la suite de la réélection de Mitterrand en 1988, alors que Michel Rocard avait choisi "l'ouverture" en faisant entrer des ministres issus du centre droit dans son gouvernement, fut créé la Nouvelle école socialiste (NES).
Les amis Dray étaient mitterrandistes. Ceux de Cambadélis, résolument jospinistes, ce qui n'était évidemment pas contradictoire puisqu'à cette époque, le clivage essentiel dans le PS passait par le rapport au rocardisme. Dray avait une dent contre Jospin qu'il soupçonnait d'avoir bloqué son entrée dans un ministère après les élections législatives de 1988 au cours desquels il était devenu député de l'Essonne. Jospin devenu ministre de l’Education nationale vit en Dray l’instigateur des mouvements lycéen et étudiants et il lui en tint rigueur…
A la même époque, le duo Dray-Mélenchon joua les parlementaires frondeurs au moment de la première guerre du Golfe.
La NES céda la place à la GS en 1990-1991 et leur première grande bataille politique eut le Congrès de Rennes en mars 1990 au cours duquel la tendance Dray Mélenchon recueille un peu plus d’un % et des poussières, avant de se rallier à Laurent Fabius.
En 1994, la branche étudiante de la GS met la main sur l'Unef-id qui était contrôlée depuis la réunification de 1980 par les amis de Jean-Christophe Cambadélis. Quelques années plus tard, la présidente Carine Seiler va achever le travail engagé par Cambadélis en réalisant l'unification des deux Unef.
Lors du congrès de l'Arche en 1991, qui devait résoudre les questions idéologiques qui n'avaient pas été tranchées à Rennes, la motion unique fut adoptée après un vote sur les amendements déposés par la GS qui recueillirent 6 %.
En 1992, la GS déposa une motion prônant une alliance "rouge, rose, verte" qui obtint plus de 7 %.
Deux ans plus tard, alors que le Parti socialiste a subi les terribles défaites de 1993 aux législatives et de 1994 aux européennes, - Dray est un des quelques députés socialistes réélus, la GS fait cause commune avec Emmanuelli au congrès de Liévin et le député de l'Essonne est chargé du programme.
Après la victoire de la Gauche plurielle aux élections législatives de 1997 – la consécration d’une démarche unitaire conduite par Jean-Christophe Cambadélis pendant plus de deux ans - le congrès de Brest fut l'occasion pour la GS de passer la barre des 10 %. Jean-Luc Mélenchon se présenta au poste de premier secrétaire contre François Hollande. Il fut battu.
Lionel Jospin devenu Premier ministre, fit appel lors remaniement de 2000 à Jean-Luc Mélenchon et Marie-Noëlle Lienemann à rejoindre son gouvernement.
Lors du congrès de Grenoble en 2000, la GS présenta une motion sous forme de nouvelle, éditée sous le titre Sept jours dans la vie d'Attika. Cette motion a recueilli 13 % des votes des militants, devancée par celle d'Henri Emmanuelli de quelques dizaines de voix.
A ce moment-là, la fusion des gauches est une possibilité, mais pas encore une réalité. Pour Dray elle est une nécessité face à l'hétérogénéité de la "majo" et une opportunité alors que "le PCF est entré dans une phase d'agonie active".
Dans le parcours intellectuel de Julien Dray, la question sécuritaire gagne en ampleur. On passe de la voix des quartiers à travers les thèmes antiracistes et sociaux, à la nécessité de "casser les ghettos" et de briser les caïds. Depuis Questions socialistes, la première structure politique de Dray dans le PS, la pensée a évolué : les banlieues étaient le nouveau lieu de la reformulation de la question sociale mais la montée du Front national, l’irruption de l’islam comme élément d’une différence visible, le chômage de masse, la violence ou les trafics obligeaient à revoir l’approche et à penser l’ordre, un choc culturel pour des militants peu friands de frayer avec la police.
On le voit, le débat était déjà posé dans la gauche entre 2000 et 2002 et ses évolutions récentes n’ont rien de nouveau.
La scission
La scission de la GS fut rapide et elle laissa des traces parce que, comme nous l’avons dit plus haut, l’appartenance à « la bande » était structurante.
La crise du Parti socialiste impliquait une crise au sein de la GS qui aurait pu tirer profit de l’échec de Lionel Jospin et de l’affaiblissement de François Hollande sur le thème de « On vous l’avait bien dit », mais pour des dirigeants politiques qui allait passer le cap des 50 ans, l’envie de passer de la protestation à l’influence plus nette sur le cours des choses était largement partagée.
Julien Dray était un ami de longue date de François Hollande et il voulait rejoindre la majorité du PS. Jean-Luc Mélenchon, qui reprochait au Premier secrétaire du PS de le mépriser et d’avoir tripatouillé le résultat du vote de Brest avec la volonté de l’humiler, il s’agissait de renforcer le pôle de gauche qui allait bientôt s'organiser avec Henri Emmanuelli dans le courant Nouveau monde à Argelès-sur-Mer. Avec le Nouveau parti socialiste (NPS) emmené par Arnaud Montebourg, Vincent Peillon et Benoît Hamon, la GS n'avait plus le monopole de l'aile gauche du PS et la recomposition politique ne se ferait pas autour d'elle, mais plutôt à ses dépens. Elle se fit sur ses décombres.
Dans les cultures trotskystes, les scissions sont fréquentes, rarement innocentes. Il y a les désaccords sur la ligne, les anathèmes sur les intentions réelles ou supposées et les tensions entre partisans des uns et des autres.
Si Dray et Mélenchon venaient tous les deux de tendances rivales du trotskysme français, même après plus de vingt ans passés au PS, ils perpétuaient les réflexes de clans, exigeant de leurs proches, moins une adhésion à la ligne qu’une relation filiale, pardonnant peu ou très tardivement à celles et ceux sur lesquels ils avaient fondé des espoirs et qui s’étaient émancipés.
La conséquence fut que personne ne sortit vainqueur de la crise.
Que sont-ils devenus ?
Il ne va pas de soi de vivre « l’après » d’une aventure humaine de cette nature. Certains l’ont vécu comme un moment de leur jeunesse et ils ont tourné la page. D’autres ont cherché à mettre leur savoir-faire au service d’autres causes, en épousant d’autres engagements, comme Malek Boutih auprès de Manuel Valls ou de Delphine Batho quand elle décida de briguer la présidence de Génération écologie et d’incarner une écologie radicale au sein de la famille écologiste.
Certains, comme Pascal Cherki et Isabelle Thomas ont vu apporter à Henri Emmanuelli les effectifs de jeunes venus de l’Unef et, plus tard, la fusion avec les amis de Benoît Hamon – qui pourfendaient la GS dans les années 90, devait donner un courant assez similaire dans son apparence : effervescence juvénile dopée par les cadres venus du syndicat lycéen UNL, de l’Unef ou encore du Mouvement des jeunes socialistes, ce courant empruntait à la GS, son intransigeance et son goût pour les jeux d’appareil quitte à confondre l’Assemblée nationale avec un amphi de fac. Cela conduisit en partie à la tension entre la majorité des députés socialistes et les frondeurs après 2012 et à l’étrange campagne présidentielle de Benoît Hamon.
En 2017, la solution la plus commode fut de fonder une autre organisation. Ce serait Génération.s. Un nom curieux qui disait beaucoup : à la fois la fascination de certains cadres historiques pour les deux tomes d’Hervé Hamon et Patrick Rotman qui racontaient comme une épopée, et avec un air d’autocélébration, les trajectoires militantes de quelques figures issues de l’UEC et de l’Unef, entrée en politique au début des années 60, certains devenant guerilleros, d’autres gauchistes, les troisièmes intellectuels ou avocats engagés…
Les initiales du nouveau parti, « G.s » étaient probablement un acte manqué, en tout cas, dans la fragmentation à gauche, il n’y avait pas d’espace entre le PS où ils avaient tout appris et EELV où certains se comportaient comme s’il y avait tout à prendre.
Julien Dray a rejoint la majorité du PS, contribué à l’aventure de Ségolène Royal en jouant le rôle dans lequel il est l’un des meilleurs, celui qui scrute et recrute, invente et fomente.
Jamais ministre, il fut partenaire de son rival préféré Jean-Christophe Cambadélis avec lequel il créa les conditions de la Belle Alliance Populaire qui permettait une coalition de la gauche et des écologistes pour l’élection présidentielle de 2017, mais elle échoua face au bilan de la gauche au pouvoir et à la volonté de la plupart des partis de punir le Parti socialiste.
Aujourd’hui, à la tête d’un nouveau mouvement, « Réinventez », Dray ne renonce pas au travail de réarmement idéologique d’une gauche qu’il connaît par cœur.
Marie-Noëlle Lienemann a fait un bout de chemin avec Laurent Fabius et surtout Paul Quilès dans une orientation de gauche unitaire avant de quitter le Parti socialiste en 2018 pour fonder avec Emmanuel Maurel la Gauche républicaine et sociale, un groupe qui refuse le gauchisme et les dérives clientélistes d’une gauche radicale trop mouvementiste.
Harlem Désir s’est fortement impliqué comme député en faveur d’une « mondialisation solidaire » où, avec Henri Weber, il a contribué à la théorisation du « Juste échange – une voie praticable entre le protectionnisme et le libre échange sans limites.
Entre 2012 et 2014 il a été Premier secrétaire du Parti socialiste. Après avoir été ministre des Affaires européennes et en charge de la liberté de la presse à l’OSCE, il travaille avec des ONG.
Laurence Rossignol qui fut ministre sous François Hollande, a soutenu Arnaud Montebourg au début de la campagne présidentielle. Elle n’a pas quitté le PS, continuant son engagement comme sénatrice.
Eric Benzekri qui fut un des responsables étudiants et un des jeunes intellectuels en devenir, a bifurqué vers la télévision pour laquelle il a écrit des séries de qualité et qui ont rencontré un grand succès populaire comme Maison close. Mais sa grande œuvre qui lui a valu une consécration, ce sont les trois saisons de Baron Noir, la plus aboutie des séries politiques françaises, mettant en scène une figure controversée du Parti socialiste aux prises avec les jeux de pouvoir, la division de la gauche, les problèmes du pays et la quête permanente de sa propre rédemption.
Quant à Jean-Luc Mélenchon, c’est celui qui eut la trajectoire la plus notable puisque celui qui avait été formé dans l’organisation de Pierre Lambert, qui admirait François Mitterrand et qui disait que Lionel Jospin avait dirigé le gouvernement le plus à gauche du monde, il devint la figure dominante de la gauche.
Un des animateurs du « non » de gauche au référendum sur le Traité constitutionnel en 2005, Mélenchon fonda son courant, « Pour la République sociale » (PRS) avant de quitter le Parti socialiste au lendemain du congrès de Reims, où il prit acte de la "réalité militante" de Ségolène Royal.
En fondant le Parti de gauche (PG), Mélenchon disposait enfin de « son » organisation, discrète, dont le fonctionnement ne serait pas perturbé par un développement trop rapide.
Tirant les conséquences de l’échec de produire une candidature unique à la présidentielle de 2007, Mélenchon, copia Die Linke qui rassemblait pour l’essentiel des anciens sociaux-démocrates et des cadres de l’ancien parti communiste de RDA.
Cela aboutit à la formation du Front de gauche (PG, PCF, anciens écologistes comme Martine Billard, anciens socialistes comme Marc Dolez, ex de la LCR comme le courant Gauche unitaire) dont Mélenchon sera le candidat à l’élection présidentielle de 2012.
La suite est connue.
***
Depuis, tous les leaders historiques de la GS ont quitté le parti ou ont pris des distances. Seuls Jérôme Guedj et Laurence Rossignol ou encore Stéphane Troussel, demeurent des cadres écoutés, mais, à l’image de beaucoup d’autres, ils n’animent aucun courant ou réseau, même informel.
A l’inverse, une direction héritière de l’aile social-démocrate des années 80-90 a rapidement accepté l’alliance avec Jean-Luc Mélenchon sans trop chercher à peser sur une orientation trop radicale pour durer.
Si la GS était l’improbable synthèse entre une culture venue de l’extrême gauche et le mitterrandisme, le mélenchonisme c’est une tout autre histoire, faite d’intransigeance, d’un retour au mouvementisme.
Entre souvenirs militants et débats d’antan, il reste de la GS ce qu’il reste des autres courants du PS, le vide qu’aucune structure n’a comblé, même si la masse des tweets chaque jour remplis probablement plus de pages que les revues, contributions et thèses de militants qui ne confondaient pas analyse et commentaire.
Ce mois de juillet, Marcel Manville aurait eu cent ans. Un nom très connu en Martinique et dans les parmi les compagnons de lutte de la cause algérienne, peut-être moins de nos jours.
Pourtant, quiconque s’intéresse aux débats sur la décolonisation, l’indépendance algérienne et à des figures comme Frantz Fanon, croisera mille fois le parcours de cet avocat qui comme lui, vit le jour en Martinique, comme lui, s’engagea dans les troupes françaises au cours de la Seconde guerre mondiale, au terme de quoi d’ailleurs, il reçut la médaille de…
Rendu à la vie civile, Manville ne cessa pas pour autant de combattre, cette fois contre le colonialisme sous toutes ses formes.
Formation
Marcel Manville voit le jour le 19 juillet 1922 dans la ville de Trinité, sur la côte atlantique de la Martinique dans une famille socialiste. Son père travaille à la mairie dont un des maires, Fernand Clerc, un mulâtre, a accepté de s’allier au leader socialiste Joseph Lagrosillière dans une coalition qu’on qualifierait aujourd’hui de « progressiste ».
Le père de famille fut aussi conseiller général socialiste du canton, mais il mourut très jeune, ce qui fit que le jeune Marcel fut élevé par sa mère, « potomitan » d’une famille nombreuse.
Comme beaucoup de jeunes à l’avenir prometteur, le jeune Marcel effectue ses études secondaires au Lycée Schoelcher qui accueille, depuis sa création en 1937, des élèves comme Edouard Glissant ou Frantz Fanon et des enseignants comme Aimé Césaire.
Héros de guerre
L’année de ses 17 ans, la colonie accueille comme gouverneur l’amiral Robert qui fait allégeance au régime de Vichy, ce qui a pour conséquence un durcissement des conditions de vie des Martiniquais. Cette époque qui est restée dans les mémoires sous le nom de « An temps Robè » est un temps sombre.
Certains Martiniquais partent à leurs risques et péril en « Dissidence » pour rejoindre les forces alliées qui luttent contre l’Allemagne nazie.
C’est d’ailleurs des colonies que viennent les ressources sur lesquelles la France peut s’appuyer. A la fois parce qu’il y a une adhésion massive à la cause menée par le général de Gaulle et aussi parce que Vichy n’a pas les moyens de maintenir sa loi dans tout l’Empire.
Dès le 18 juin 1940, le gouverneur du Tchad, Félix Eboué qui fut aussi gouverneur de la Guadeloupe, est l’un des premiers hauts dirigeants français en poste à rallier De Gaulle.
En 1943, à 21 ans, le jeune Manville, après le départ de l’amiral Robert, rejoint à son tour les FFL avec Frantz Fanon.
Les deux hommes, étaient condisciples, ils deviennent frères d’armes, ralliant, par le Maroc les forces françaises, débarquant avec elles en Provence en août 1944, au sein de la Iere armée, commandée par De Lattre.
Manville combat en Provence, jusqu’en Alsace où il fut décoré de la Croix de guerre.
Avocat militant
Après-guerre, Manville poursuit des études de droit et il prête serment en 1947. L’année d’avant, il a adhéré au Parti communiste, le « parti des fusillés », sorti auréolé de la guerre, dont Aimé Césaire est aussi membre.
Alors la principale formation de gauche, le parti, bien que stalinien séduit par son intransigeance et, malgré son lien avec l’Union soviétique qui s’engage dans la guerre froide, convainc par ses initiatives pour la paix. C’est ainsi que Marcel Manville participe à la fondation du Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et pour la Paix (Mrap) (aujourd’hui le Mrap signifie « mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) avec d’autres anciens combattants, des anciens résistants, des membres de la Lica, (future Licra), des FTP-MOI etc.
Parmi les fondateurs, le peintre Marc Chagall.
Manville devient alors un « avocat militant » qui défend principalement les causes des militants antillais, anticolonialistes dans un moment où, malgré la loi de départementalisation de 1946 qui a transformé les quatre vieilles colonies que sont la Guyane, la Martinique, la Réunion et la Guadeloupe en départements, les rapports de domination et d’exploitation ne changent pas et les abus de pouvoir, répressions violentes ou actes de mépris nourrissent la réalité des travailleurs et des citoyens ultramarins de ces années d’après-guerre.
En compagnie de Georges Gratiant (1907-1992), figure du communisme martiniquais, intellectuel, premier président du Conseil général puis par la suite, maire du Lamantin, la deuxième ville de l’île pendant trente ans - et de Gerty Archimède (1909-1980), première femme inscrite au barreau de Guadeloupe, militante communiste et une des premières députées des Antilles françaises, Manville défend avec succès les Seize de Basse-Pointe, des coupeurs de canne accusés du meurtre d’un béké qui les supervisait.
Un procès qui illustre l’engagement de l’avocat contre le colonialisme, ce qui le conduit naturellement à soutenir les indépendances indochinoise en algérienne et à soutenir les appelés du contingent antillais qui refusaient de combattre le FLN.
Un combat dans lequel il retrouve son ami Frantz Fanon plusieurs fois en Algérie. A cette époque, il fut l’un des avocats du FLN.
Cet engagement expose Manville assez naturellement aux menaces de l’extrême droite et notamment l’OAS qui, en 1961, fait exploser une bombe dans l’appartement parisien de l’avocat. Heureusement, personne n’est blessé dans l’attentat terroriste.
Manville défendit les militants de la cause algérienne chaque fois que cela lui était possible et, il était tout à fait cohérent qu’il défendit les intérêts des personnes issues des Antilles françaises.
Toujours en 1961, il participe à la fondation du Front antillo-guyanais pour l’autonomie avec Edouard Glissant et d’autres figures comme le militant guadeloupéen Georges Beville ou encore député socialiste guyanais Justin Catayé, Une organisation dissoute immédiatement par le pouvoir et qui lui vaut une interdiction de séjour pendant cinq ans.
L’année suivante le 22 juin, Beville et Catayé meurent dans le crash du vol Air France 117 qui heurte un morne en Guadeloupe dans des circonstances qui n’ont jamais été élucidées.
Dans les années 50-60, la départementalisation n’apporte pas la prospérité aux populations ultramarines. Dans beaucoup de cas, le départ constitue une option pour ceux qui peuvent. Mais surtout, en pleine ébullition des mouvements de libération nationale dans le monde, qui sont à l’origine et la conséquence de la décolonisation, les Antilles françaises, entre Cuba et le continent sud-américain, en face de l’Afrique, ne sont pas épargnées par ces soubresauts.
Le refus de la guerre d’Algérie, la circulation des discours sur l’autonomie, comme la prise de conscience qu’il faut secouer le joug qui maintient les inégalités sont de puissants facteurs de politisation pour une partie de la jeunesse.
Elle s’organise, malgré la censure et les intimidations du pouvoir, en outremer comme dans l’hexagone par exemple dans le Regroupement de l’émigration antillaise, L’Organisation de la jeunesse anticolonialiste martiniquaise (Ojam) ou encore le Groupe d’organisation nationale de la Guadeloupe (Gong), pour citer les plus connues de cette période.
En effet, malgré la départementalisation, le sentiment d’une persistance de la domination coloniale est conforté par la violence de la répression des mouvements sociaux : les morts lors de la grève du Carbet en Martinique en 1948, le massacre de la Saint-Valentin lors de la grève du Moule en Guadeloupe en 1952, les émeutes de décembre 1959 en Martinique, bientôt les « événements » de Mai 67 en Guadeloupe ou la grève de Chalvet dans la commune de Basse-Pointe en Martinique en 1974.
A chaque fois, une revendication sociale, sous forme de manifestation pacifique dégénère du fait de la brutalité des forces de l’ordre. A chaque fois, il faut déplorer des morts.
Durant ces années de plomb, les militants jugés « subversifs » sont souvent mutés dans l’hexagone par leur hiérarchie s’ils sont fonctionnaires et ceux qui militants dans l’hexagone sont interdits de séjour dans leurs îles natales. Ce fut le cas de Manville.
Les quatre départements d’outremer ne bénéficient pas de la décolonisation, bien au contraire. Le pouvoir gaulliste entend maintenir là ce qu’il a perdu ailleurs, mais au lieu d’y renforcer la République, il y renforce une approche autoritaire qui ne peut que nourrir les tensions.
Le contexte antillais c’est aussi ce que Césaire a nommé le « génocide par substitution » que fut le Bumidom.
Pour faire face à l’explosion démographique, le désœuvrement de la jeunesse qui a peu de débouchés et qui peut, du fait de ce qu’elle vit la rend perméable aux idées révolutionnaires, le gouvernement s’engage dans l’application d’une politique de migration à vocation économique via le bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer.
Des dizaines de milliers de jeunes partent grossir les cohortes de travailleurs employés à des tâches subalternes, en particulier dans la fonction publique, secteur où on n’embauche pas les immigrés.
Contre l’oppression partout dans le monde
Après l’indépendance de l’Algérie, et parallèlement à au combat qu’il mène pour les Antilles, Marcel Manville s’implique dans les luttes de libération nationale en participant par exemple à la Tricontinentale qui se tient à la Havane en 1966 et pour la cause palestinienne dès la même année.
Pour lui, la réponse au colonialisme ne peut se satisfaire de l’autonomie. La solution passe par l’indépendance. C’est ce qui marque une distance avec le Parti communiste qui, au lieu de l’exclure, lui demande de ne pas renouveler son adhésion.
Il s’engage contre la guerre civile qui divise le Nigéria entre 1966 et 1970 du fait de la sécession de la région du Biafra qui fit plus d’un million de morts, notamment à cause la famine.
La guerre du Biafra frappa l’opinion publique car c’est une des premières guerres civiles de l’après-guerre dans laquelle fut pratiqué le nettoyage ethnique. La division de la communauté internationale conduit à l’exacerbation du conflit au détriment des populations qui se retrouvent au cœur et en ligne de mire des jeux de mercenaires et de géopolitiques comme les connaissent plusieurs Etats d’Afrique minés par les sécessions territoriales après la décolonisation.
Manville s’implique aussi dans le soutien aux les prisonniers politiques tunisiens alors que le régime de Bourguiba, réformateur et progressiste au moment de l’indépendance, s’est durci.
La Palestine est aussi au cœur de son engagement.
Pour les Antillais, la cause palestinienne compte pour plusieurs raisons. D’abord du fait d’une importante communauté palestinienne et intégrée dans ces territoires depuis plus de cent ans qui est solidaire de son pays d’origine. Ensuite parce que l’occupation des territoires est perçue comme une politique coloniale qui porte avec elle une suite logique de violences. Mais il s’agit de territoires éloignés de la Caraïbe qui a déjà fort à faire avec ses propres défis, à quelques encâblures du puissant voisin nord-américain.
Les Etats-Unis veillent d’ailleurs sur l’ensemble du continent américain et la Caraïbe, soutenant toutes les actions de déstabilisation ou de renversement des dirigeants ou des régimes de gauche au nom de la « lutte contre le communisme », même quand leurs cibles ne sont que des démocrates.
Washington intervient ainsi en République dominicaine à plusieurs reprises dans ces années, au Guatemala, à Cuba (le fiasco de la Baie des Cochons), en soutien aux dictatures militaires en Amérique latine (Brésil, Chili, Argentine, Uruguay, Bolivie, Paraguay, etc.) au Salvador, au Nicaragua ou encore à la Grenade.
Tout cela constitue autant d’arguments contre l’impérialisme nord-américain qui s’embourbe au Vietnam.
Marcel Manville continue aussi de défendre des Antillais ou des travailleurs immigrés en France, notamment pour le compte de la CGT par exemple. Parmi les collaborateurs qu’il forme à son cabinet, une jeune avocate qui prendra la présidence du Mrap et qui deviendra députée de Paris, dirigeante du Parti socialiste puis ministre, George Paul-Langevin.
Retour au pays natal
Manville, âgé de 55 ans, revient en Martinique en 1977. L’île s’est beaucoup modernisée depuis les années 50. La gauche communiste à laquelle il appartenait en France, a connu une importance scission en 1956 avec le départ d’Aimé Césaire et la fondation en 1958 du Parti progressiste martiniquais (PPM). La critique envers le communisme français porte sur le fait qu’il ne soutient pas assez les courants indépendantistes ultramarins. D’ailleurs, Manville lui-même, rompt avec la branche martiniquaise du PC au moment des lois sur la décentralisation qu’il refuse au nom de l’indépendantisme qui a commencé à se structurer politiquement au cours des années 70 en Martinique.
Après l’Ojam dont beaucoup de militants structurent par la suite le courant autonomiste. L’extrême gauche agit aussi dans le cadre syndical et politique. C’est ainsi que de l’union départementale de la CGT-Force ouvrière émerge le premier syndicat autonome martiniquais, la Confédération syndicale des travailleurs martiniquais, CSTM dont le discours intransigeant et les méthodes d’action en font un acteur des tensions sociales de l’île.
Si la départementalisation de 1946 était une promesse d’égalité, le bilan tiré par Manville était que le Parti communiste n’était pas assez intransigeant sur les réponses à apporter aux problèmes des Martiniquais car, pour lui, la solution était dans une souveraineté totale.
En 1984, il participe à la fondation du PKLS (Parti communiste pour l’indépendance et le socialisme).
Le PKLS se revendique marxiste-léniniste. Il rejette la constitution de la Cinquième République et, au nom de l’indépendance, il appelle systématiquement au boycott des élections.
Pour préserver l’héritage politique de son ami Frantz Fanon, Marcel Manville fonde le Cercle Frantz Fanon en 1982. Ce sera son activité principale désormais.
Il s’agit diffuser la pensée de cet intellectuel natif de la Martinique qui est un auteur essentiel de la pensée anticolonialiste. En effet, même si Fanon a peu agi directement dans les débats intellectuels antillais à l’instar de de Césaire ou de Glissant, en deux textes, Peaux noires masques blancs et les Damnés de la terre, il a résumé l’essentiel des termes de l’aliénation des peuples colonisés et fixé, en psychiatre qu’il était, comme le fit aussi Césaire dans son Discours sur le colonialisme. Dans la Martinique des années 80, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir qui a mis fin au Bumidom, mais qui est très vite confrontée à la crise en Nouvelle-Calédonie, la question indépendantiste demeure vive.
En effet, dans la Guadeloupe voisine, fait très rare dans l’histoire du courant nationaliste, une tendance s’est radicalisée, donnant naissance à l’Alliance révolutionnaire caraïbe (ARC) qui va perpétrer quelques actions terroristes aux Antilles et dans l’hexagone. L’expérience est un échec car d’une part, elle ne recueille aucune adhésion politique ou populaire déterminante et aussi parce qu’elle intervient à un moment où le bilan de la « lutte armée » dans l’environnement français est tiré et il est négatif : le groupe Action directe n’a recueilli aucun bénéfice de ses actions.
Maître Manville participe en 1992 à un procès symbolique à l’occasion du cinq-centième anniversaire de la découverte par Christophe Colomb de l’Amérique. Le degré de conscience atteint depuis longtemps par les habitants de la Caraïbe et des trois Amériques de leur trajectoire depuis 1492 ne leur permet pas de lire cet événement avec la même optique que les Européens qui s’en tiennent au récit « officiel ».
En effet, de la « découverte » pour les Européens et de la « rencontre » pour les peuples précolombiens, découlent un cycle qui va durer plusieurs siècles de massacre, d’oppression, d’esclavagisme et de colonisation qui conduit à la destruction de cultures anciennes et à la déportation massive d’esclaves capturés en Afrique.
Christophe Colomb symbolise, parce qu’il fut le premier et le plus connus des Européens à mettre le pied dans ce que les Européens appellent le Nouveau monde l’exploitation déshumanisante que fut la colonisation quand bien même il n’en fut ni l’instigateur ni le théoricien.
C’est ainsi que du 9 au 11 décembre 1993, à l’initiative du Cercle Frantz Fanon, le Théâtre municipal de Fort-de-France, qui abrita l’hôtel de ville jusqu’aux années quatre-vingt, devient le prétoire d’un procès symbolique dont l’accusé était Christophe Colomb.
Y participent entre autres Pierre Aliker, le bras droit historique d’Aimé Césaire, Christiane Taubira, alors députée de Guyane, l’ancien directeur de l’Unesco Amadou Mahtar M’Bow ou encore le philosophe Louis Sala-Molins.
Ce tribunal symbolique est présidé par Thérèse Yoyo Likao, une figure féministe qui fut la première déléguée aux droits de la femme, nommée par le Président François Mitterrand.
Manville explique sa démarche en expliquant qu’il était « obscène » de demander aux peuples colonisés de célébrer un événement qui fut une des raisons de leurs malheurs – à commencer par l’extermination de milliers d’Amérindiens et la traite négrière.
La date de la « découverte » de Christophe Colomb correspondant à l’expulsion des juifs d’Espagne, Manville justifie le procès posthume en rappelant la pratique des consistoires cadavériques qui, du temps de l’Inquisition médiévale, consistait à juger quelqu’un, même après sa mort.
Il s’inspire aussi du Tribunal de Nuremberg.
L’unique témoin de la défense fut Michel Lequenne, un spécialiste de Christophe Colomb, également connu comme militant anticolonialiste de la première heure et figure du trotskysme français.
Lequenne écrivit par la suite une longue critique de ce procès.
Manville a passé les cinquante dernières années à mesurer l’ampleur des drames causés par le colonialisme qui furent un prix bien trop élevé par rapport aux bénéfices de la colonisation.
Cette initiative lance un débat qui débouchera sur la qualification de la traite négrière et de l’esclavage colonial comme crime contre l’humanité par l’Assemblée nationale et le vote de la Loi Taubira.
Derniers jours
Manville est partisan d’une action en faveur de réparations pour les victimes de la traite. D’abord pour Haïti qui fut contrainte de dédommager les colons français après son indépendance en 1804.
Même les conditions de son décès sont dans un temps militant. L’avocat septuagénaire, toujours lié au Mrap accompagne l’organisation alors dirigée par celui qui en a le plus profondément marqué l’histoire, Mouloud Aounit, dans un combat judiciaire compliqué : déposer plainte pour faire la lumière sur le massacre du 17 octobre 1961 au cours duquel, la police aux ordres de Maurice Papon a tabassé et tué plus d’une centaine d’Algériens à Paris et dans certaines communes limitrophes.
Le 2 décembre 1998, Manville décède en plein Palais de Justice, loin de son lit… D’une certaine façon, il n’avait jamais quitté le front.
***
Homme de son temps, l’avocat Marcel Manville était un anticolonialiste d’un seul bloc. Du colonialisme il critiquait la dimension aliénante dont Fanon a parlé. Il en critiquait la dimension asservissante, avec l’esclavage et la dimension oppressante ce qui le conduisait à s’engager pour la cause palestinienne.
Sur ce dernier point, Manville qui avait défendu toutes les causes de libération nationale ou presque, ne pouvait ignorer la question palestinienne, non réglée depuis 1967 si on prend la question des frontières, ou 1948 si on prend la question des réfugiés.
La présence d’une communauté moyen-orientale aux Antilles (Palestiniens, Libanais et Syriens) donne à cette cause un écho plus concret malgré l’importante distance.
Manville fait partie de ces intellectuels et de ces hommes d’action qui n’ont pas vécu les Trente Glorieuses autrement qu’à travers le combat pour l’émancipation.
Il ne cherchait pas à plaire aux dominants, mais à être utile aux dominés.
La France perdit son âme dans l’affaire algérienne qui divisa aussi la gauche. Elle ne sut pas faire le deuil de l’Empire et ce qu’elle ne pouvait « imposer » aux colonies d’Afrique, elle l’imposa, par d’autres moyens parfois à l’outremer, créant les conditions d’une forme d’atonie ou d’aliénation qui produit, tel un volcan, parfois, des explosions, pour retomber ensuite en sommeil.
Mais à l’inverse de l’Algérie, nul vrai mouvement national de masse n’émergea suffisamment aux Antilles pour imposer un rapport de force avec la France. Puisque l’indépendance n’était qu’un projet politique minoritaire et que l’assimilation était enfin rejetée, restait une autonomie qui méritait, par-delà l’intention, un projet cohérent et des perspectives. On en est encore là aujourd’hui…
Sans polémiques, la France ne serait plus la France, mais il y a des moments où il faut savoir faire silence.
Pour moi, les souvenirs de la commémoration de ce tragique événement ne se limitent pas à l’expression bienvenue du Président Jacques Chirac ou la clarification apportée par François Hollande.
Je reste glacé par la colère de Robert Badinter lorsqu’il voulut que ce jour-là, ceux qui critiquaient François Mitterrand pour son amitié avec René Bousquet, qui joua un rôle déterminant dans la rafle, se taisent devant les morts.
Il me semblait sain et juste d’observer la même attitude alors que nous avons tous le nez sur Twitter, autant à relayer d’autres hommages qu’à surveiller, sous pour être confortés dans nos préjugés ou nos convictions, qui dit quoi et comment.
Qu’il s’agisse des tweets maladroits du Premier secrétaire du Parti socialiste que de ceux de la Présidente du groupe France Insoumise à l’Assemblée nationale ou d’une députée écologiste de Paris, ceux qui se sont persuadés que la gauche radicale était antisémite et qu’elle avait phagocyté le PS ont pu être grandement servis.
Face à de tels événements, il ne faut pas chercher à être original ni se précipiter parce qu’on veut être repris et faire partie des « tendances ». Cette attitude de courtiers en bourse ne sied ni à l’événement ni à la gauche telle qu’on se l’imagine.
Outre l’obligation de prudence, il y a une nécessité dans la précision et pour cela, soit on est un expert du sujet, soit on s’appuie sur des collaborateurs payés pour être prudents et cultivés, soit on se renseigne.
Quand je travaillais pour des responsables politiques socialistes, nous anticipions les événements, nous préparions ces expressions et chaque mot était pesé afin de ne pas laisser de prise aux interprétations malveillantes. Nous ne considérions jamais qu’il ne fallait pas en tenir compte. Plus on est précis, plus la mauvaise foi des détracteurs est évidente.
Le fait qu’une députée LFI fasse venir Jeremy Corbyn sur une campagne électorale à Paris, sachant pertinemment ce qui lui était reproché et comment une partie de la gauche réagirait relevait d’un choix assumé ou d’une provocation.
Corbyn, par son attitude qui mêlait indifférence, complaisance ou mollesse face aux dérives antisémites dans le Labour commettait une faute politique et morale car l’hostilité résolue à l’antisémitisme et au racisme ne va pas de soi et il ne faut pas que des postures, il faut aussi des actes.
L’événement pouvait sembler isolé, jusqu’au discours de la Présidente de son groupe qui lançait à la Première ministre qu’elle était une « rescapée ». On imagine bien de quoi, c’est-à-dire de la bérézina politique qu’avait subie la Macronie, mais en ne finissant pas sa phrase elle s’exposait évidemment à de mauvais procès d’intention.
Là encore, ses plumes et ses collaborateurs, pour un discours si important puisqu’il était une réponse à une déclaration de politique générale, auraient dû redoubler de rigueur et, elle-même, aurait dû les écouter. Parler fort et parler n'est pas forcément parler juste et le confusionnisme c'est précisément ce que les démocrates conséquents ne peuvent pas pratiquer.
A l’inverse, le discours ciselé de Boris Vallaud, notamment, la salve contre l’extrême droite, restera et fera date, tout à l’honneur de la gauche républicaine.
Il ne fallait donc pas se tromper ce jour du 80e anniversaire.
La légèreté, l’imprécision et les mots choisis révèlent beaucoup de choses.
C’est bien le fait qu’elles étaient juives qui condamna les familles aux yeux de la police de Vichy et des Français, il y en eu puisqu’il y avait des enfants nés en France.
Quoiqu’on pense d’Emmanuel Macron et de ses erreurs d’expression notamment à l’égard de Pétain des calculs politiques qui ont conduit à l’élection du plus grand groupe parlementaire d’extrême droite de la Cinquième République, dans un tel moment, on ne manipule pas l’Histoire.
Sauf à être au premier rang des mobilisations contre l’antisémitisme, notamment quand celui-ci se niche dans certains discours anti-israéliens car, ça existe qu’on le veuille ou non.
De même, affirmer que « nous nous étions tant habitués à l’extrême-droite, au nationalisme, au fascisme et à l’antisémitisme, que la rafle du Vel d’Hiv a pu avoir lieu, organisée par la police française. Au vu et su de tous » apporte de la confusion dans la compréhension des faits.
Ce « nous » qui suppose une responsabilité collective française dont la nature a pourtant été maintes fois analysées par les historiens.
Il y a un donneur d’ordre, l’Occupant nazi. Un décisionnaire, le régime de Vichy qui pouvait ne pas collaborer et des exécutants. Tout mettre sur le dos de la police dans un registre évidemment « anti-flic » suinte évidemment le « toute ressemblance avec des faits actuels ou récents est tout sauf fortuite ».
Ainsi on dédouane Laval et ses complices, on met de côté le régime totalitaire qui s’était abattu sur le pays.
Bref, si les parlementaires ont pour mission d’écrire la loi, leur obligation c’est la précision dans les termes, la justesse dans le propos et la pédagogie pour bien se faire comprendre.
Il n’était pas possible qu’en hommage aux victimes, toute la gauche soit à l’unisson de la Nation ?
Il y a 80 ans pourtant, nous aurions tous été, malgré les maladresses dans les expressions, dans le viseur des nazis et de leurs collabos…
Encore une fois, commémorer la rafle du Vel d’Hiv n’est pas un acte « politiquement correct », cela doit avoir une signification tout sauf banal dans nos engagements militants, à gauche comme à droite.
Dans l’histoire, certains mots sont chargés de sens, alourdis par le poids des malheurs qu’ils décrivent.
Ainsi des mots « rafle » ou « Vel d’Hiv ».
Le haut lieu du sport français, comme le Parc des Princes aujourd’hui, a disparu des mémoires comme lieu d’accueil de compétitions sportives prestigieuses. Le bâtiment lui-même a vite disparu après la guerre, sans pour autant enfouir sous les décombres les terribles journées de juillet 1942.
Une rafle désigne une arrestation massive à l’improviste à l’initiative de la police. Chaque mot compte : la notion de masse et de soudaineté n’a pour seul but que l’efficacité. On ne fait pas dans le détail. Le motif de la rafle n’est jamais en sanction d’une infraction ou d’une contravention : c’est ce que vous êtes qui vous expose.
L’année 42 d’ailleurs fut un grand moment d’efficacité pour l’Etat vichyste car c’est l’année où la zone libre disparut, le régime pétainiste pouvant s’étendre sur l’ensemble du territoire.
Ces dernières années, cette mémoire qu’il fallait conserver et transmettre avec pédagogie à des générations menacées par l’oubli ou la relativisation, fut souillée par des commentaires visant à changer de regard sur cette tragédie en soulignant le fait qu’il ne s’agissait « que » de juifs étrangers.
Si le beau et triste documentaire de David Korn-Brzoza diffusé récemment sur France 3 rappelle ce que furent les faits, il faut rajouter que dans l’Histoire de la Shoah, si on peut employer ce mot, les nazi n’ont pas fait dans le détail.
Dans l’horreur du système raciste d’Etat, de hiérarchisation des gens selon leur religion, leur ethnie, leur état de santé, leur orientation sexuelle ou leurs opinions politiques, ceux qui étaient considérés comme impurs se retrouvèrent, quand ils ne purent s’échapper ou quand ils ne furent pas assassinés, dans des camps de concentration ou d’extermination.
Des rafles, il n’y en eut pas à Paris seulement, même si évoque le Vel d’Hiv régulièrement.
La première, c’est celle qu’on a appelé la Rafle du billet vert, le 14 mai 1941, à Paris, parce que les personnes raflées, venues d’Europe centrale et orientales, devaient présenter un billet vert.
La deuxième a lieu le 20 août, notamment dans le onzième arrondissement de Paris toujours.
La troisième, le 12 décembre. Les Français juifs ne sont pas épargnés par ces premières rafles. Ce même mois, une grande rafle a lieu à Tunis.
Si la demande est allemande, ce sont bien des policiers et des gendarmes français qui obéissent au gouvernement de Laval qui donne les ordres.
Quand la Rafle du Vel d’Hiv est décidée, les nazis ont déjà décidé d’appliquer la sinistre « Solution finale » et il n’est pas permis de douter qu’au sein des autorités françaises, « on savait » où allaient les trains.
A l’été 42, même en zone libre, il y a des rafles.
1942 fut l’année la plus sombre car ce fut le moment où il eut le plus de rafles.
Avant le Vel d’Hiv, l’indifférence des Français domine. Après le Vel d’Hiv, elle décline et les actes pour sauver des familles se multiplient.
80 ans après, on est entré dans une phase, depuis longtemps, dans laquelle, les derniers témoins disparaissent et où la répétition de la tragédie, indispensable dans la transmission, ne suffit pas.
Oui, il y a des sujets sur lesquels, le but n’est pas d’être « original », « décalé » ou transgressif à moins qu’on prouve que cela apporte quelque chose de plus au travail qui consiste à honorer les victimes et à maintenir vivante la vigilance face à la barbarie.
Si les nazis qui ont théorisé l’antisémitisme d’Etat étaient des fanatiques, il y eut des juristes rigoureux pour traduire dans le droit allemand, cet antisémitisme avec les Lois de Nuremberg, comme il y eut en France, des parlementaires, conscients des idées de Pétain et de ses soutiens pour lui voter les pleins pouvoir en 1940.
Dans les rangs de la police française qui fit cette sale besogne, il se trouva des gens honnêtes, qui n’étaient pas tous antisémites, et qui croyaient juste de faire leur devoir en fermant les yeux. On imagine que parmi eux, il se trouva des résistants, après 42 ou juste en 44, des fonctionnaires qui ne comprirent pas tous, sur le moment ce que représentait cette rafle.
Nous sommes aujourd’hui instruits de l’Histoire, des archives, des témoignages, des interprétations des faits et surtout des conséquences de ces terribles décisions.
Nous savons aujourd’hui combien de petits gestes eurent des suites heureuses ou fâcheuses.
Habitant du 19e arrondissement de Paris, je me suis toujours posé cette question : nous vivons avec des gens de tous origines. Serions-nous, par temps d’épreuves, les gardiens de nos frères ? Ou bien, pour notre tranquillité, nous préférerions tourner la tête ?
En cet 80e anniversaire, nous nous souvenons, nous honorons, mais dans nos actes, notre rapport à l’Autre et nos choix, notamment politiques, quels enseignements en tirons-nous ?
La nomination de Pap Ndiaye comme ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse a soulevé très rapidement des commentaires violents du côté de l’extrême droite et, d’une tonalité différente, même s’il s’agit des mêmes arguments du camp qui revendique de lutter contre le « wokisme » et « l’indigénisme ».
Comme le dit Ian Brossat, la virulence des attaques venues de l’extrême droite a donné raison à Pap Ndiaye quand il notait qu’il y avait un racisme structurel en France.
Alors que le nouveau ministre avait rendu hommage, dans sa première déclaration publique à Samuel Paty, signalant par là même, le profond traumatisme qu’avait causé l’assassinat d’un enseignant dans l’exercice de son métier, il fut la cible d’attaques virulentes.
Evidemment, le successeur de Jean-Michel Blanquer attirerait l’attention après les cinq ans – un record de longévité – de ce dernier comme ministre de l’Education nationale.
Le choix de Pap Ndiaye est un virage à 180° sur les questions liées à l’identité et à la possibilité de faire mémoire commune au point qu’on se demande ce que tout cela cache.
Mais ce qui est vraiment important, c’est de savoir si, avec ce nouveau ministre, l’école et la jeunesse disposeront de moyens en faveur du savoir : pourra-t-on imaginer plus de moyens, une meilleure formation, de meilleurs salaires, des conditions de travail décentes, des remplacement plus systématiques ? Moins de discriminations selon les territoires ou les origines…
Dans les attaques comme Pap Ndiaye, il y a, au fond, l’idée qu’on ne peut pas parler de racisme, de discriminations ou du fait colonial autrement que de la façon la plus conservatrice qui soit.
Jean-Michel Blanquer était un conservateur assumé dans sa vision de l’école, en phase avec toute une catégorie de personnes qui, face aux bouleversements du monde contemporain où tout est bousculé : de l’Histoire aux questions d’identité et de genre, de la sexualité à la place des femmes ou encore le rapport à la domination masculine, tout est questionné parce qu’il s’agit de traquer les discriminations et les inégalités.
Le fait qu’il faille prendre en compte les minorités dans une dimension universaliste signifie bien qu’il faut que majorité et minorité se rejoignent dans une relation d’égalité, c’est-à-dire dans un rapport qui n’est pas celui où un groupe supérieur s’impose à un groupe inférieur.
Cela produit une peur, une forme d’insécurité comme si ce qui était donné aux uns était pris aux autres. C’est ne rien comprendre à la République.
On peut s’interroger sur les raisons qui ont conduit Emmanuel Macron à opérer un tel virage, mais c’est secondaire par rapport à des questions bien plus importantes :
Le pays n’a pas besoin d’une nouvelle guerre scolaire qui serait provoqué par les fatwas lancées par des élites paniquées à l’idée que le nouveau ministre, pur produit du meilleur de ce que fait l’école républicaine, ne fasse pas de l’égalité des chances un slogan, mais un programme d’action.
Dans l’Ecole où Samuel Paty ne peut plus enseigner, il ne s’agit pas uniquement de prétendre ramener un ordre qui protégerait contre la violence et le meurtre, mais s’en donner les moyens avec sincérité et constance.
Cela veut dire évidemment de mettre « quoi qu’il en coûte » des moyens dans l’éducation. Plus d’enseignants, mieux formés, mieux payés, mieux affectés, mieux considérés et plus respectés.
Cela signifie aussi une nouvelle relation avec les parents d’élèves dont certains doivent comprendre qu’ils forment un ensemble dont la ligne ne peut être « mon enfant contre le reste du monde », mais plutôt « nos enfants mieux préparés pour affronter le monde ».
De nos jours les mentors de la jeunesse ne sont pas uniquement le prof, un père ou un grand frère, il y a aussi ce flot ininterrompu sur les réseaux sociaux qui sont autant de cours magistraux qu’on ne peut interrompre par des questions.
Il faut protéger l’école du marché et aussi de la haine. Elle déroge à sa mission si en éduquant elle ne libère pas, voilà pourquoi elle est un bien commun, précieux qu’il faut défendre contre les idéologies de l’oppression qui, n’en doutons pas, feront tout pour faire échouer le ministre dont la mission compte pour le pays.
Le 24 avril prochain (la veille on vote déjà en outremer et dans certaines parties de l’étranger), le choix sera entre un candidat républicain et une candidate héritière des traditions anti-républicaines.
Marine Le Pen n’a jamais renié son héritage politique. Elle a simplement cessé d’y faire référence pour mieux séduire et mieux attirer un électorat qui n’est évidemment plus réductible aux partisans de l’extrême droite, raciste, antisémite et violente.
La caractérisation du RN et l’attitude à son égard aujourd’hui voient se répéter les mêmes erreurs qu’au temps du Front national de Jean-Marie Le Pen.
La diabolisation a des effets limités car la morale n’agit pas indéfiniment en politique. Mobiliser la mémoire de l’extrême droite, convoquer le fascisme ou évoquer l’Histoire des régimes autoritaires de droite en 2022 a peu d’effet d’autant que l’extrême droite, marqué par son « péché originel » du 6 février 1934 et plombée par le nazisme, a su, depuis les années 60, réaliser un formidable travail de reformulation de son vocabulaire et de ses tactiques de conquête du pouvoir. Par la ruse et la dissimulation, elle échappe à ce qu’elle appelle des caricatures.
La banalisation qui consiste à considérer que les idées de l’extrême droite en valent d’autres, qu’il est moralement et politiquement acceptable de les considérer comme « vraies ». En d’autres termes, cela revient à valider leur approche de la réalité. Une fois qu’on a franchi ce cap, il est impossible d’imposer un autre récit.
Le mimétisme qu’a tenté une partie de la droite, loin d’affaiblir l’extrême droite, la conforte dans l’idée que son discours sur les trois I - identité, immigration, insécurité - est le bon et, comme on dit, les électeurs préfèrent toujours l’original à la copie.
Le Front républicain permanent conforte l’extrême droite dans l’idée que gauche et droite c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Cette mesure d’urgence ne peut être qu’exceptionnelle. Sa répétition comme pour les présidentielles de 2017 et 2022 l’affaiblit et elle conforte les électeurs dans l’idée qu’il ne produit aucun sursaut.
L’ignorance, c’est-à-dire ne pas parler de l’extrême droite « pour ne pas lui faire de la pub » comme on l’entend souvent est aussi une erreur car on ne répond pas à une question en ne la posant pas ou par le silence. Cela revient évidemment à nier une réalité politique.
L’extrême droite a profité du temps long de l’Histoire, de la dépolitisation, des basses eaux idéologiques, de l’amnésie pour avancer en ringardisant les récits se fondant sur l’Histoire et en considérant comme caricatural les caractérisations idéologiques.
Le RN a même tenté un coup judiciaire en attaquant celles et ceux qui le traitaient de « fasciste ». Ce fut sans succès, mais si la justice leur avait donné raison, on aurait franchi un cap.
« Le fascisme ne passera pas »
L’argument ne porte plus d’autant qu’il n’est pas nécessairement pertinent. Galvaudé depuis des lustres, c’est l’insulte politique la plus infâmante depuis l’après-guerre, mais elle banalise le fascisme lui-même qui, comme on l’a dit, a appris de son histoire, se dérobant justement à ses vieux démons.
On emploi de façon plus « soft », « national-populisme ou « souverainisme » - ce dernier terme trop doux ne reflète pas la dureté du nationalisme, ce qu’est véritablement le RN.
On n’a pas besoin de « nazifier » l’extrême droite pour souligne combien elle est antidémocratique, violente, raciste et réactionnaire.
Il faut par contre contester son récit sur l’invasion, la peur de l’autre et raconter en termes simples, ce que serait une société sous leur emprise. On en a déjà un aperçu avec les obsessions anti musulmanes ou les attaques contre l’Histoire nationale et le lot de discriminations qu’elles charrient. C’est cela qu’il faut combattre d’autant que la zemmourisation est une « relepénisation » c’est-à-dire un discours décomplexé qui parie sur l’ignorance et la nostalgie. C’est-à-dire tourné vers un passé réécrit par une poignée quand il faudrait écrire l’avenir avec tous.
La tâche historique de la gauche d’après sera, non pas de se diviser, mais de réinventer un projet social et un nouveau récit émancipateur pour renvoyer l’extrême droit là d’où elle n’aurait jamais dû sortir.
Comme chaque année, la mémoire des combattants du ghetto de Varsovie est honorée à Paris.
Et depuis deux ans, nous partageons ce moment avec à l’esprit notre amie Danièle Hoffman-Rispal qui n’est plus des nôtres.
Cette année, le 79e anniversaire ne s’inscrit pas dans n’importe quel contexte.
La guerre en Ukraine et le second tour de l’élection présidentielle en France rappellent le danger du nationalisme, les conséquences de la baisse de la vigilance et où mène la haine.
La diffusion sur Arte de l’excellente série documentaire de Jonathan Hayoun et Judith Cohen-Solal sur l’antisémitisme la semaine dernière rappelle comment la Pologne avait accueilli d’importantes communautés juives et qu’avant que ce pays soit associé dans nos mémoires à un antisémitisme violent – avant, pendant et après la Shoah.
En 1942, les déportations massives de populations issues du ghetto débutent ce qui conduit à la formation de la ZOB, l’Organisation juive de combat et le rassemblement de tous les forces pour résister à l’ennemi commun.
« Pourquoi cette date est plus importante que d’autres ? » pourrait demander un enfant comme ça se fait traditionnellement le premier soir de la Pâque juive.
Les nazis avaient décidé d’attaquer le soir du premier seder de Pessah, 19 avril 1943. La riposte les surprit et l’insurrection commença. Ironie du sort, le lendemain, 20 avril, c’était l’anniversaire d’Adolf Hitler.
Paris n’a pas oublié cet événement. Une place porte depuis quelques temps le nom de Marek Edelman dans le onzième arrondissement de Paris et le dixième arrondissement organise depuis de nombreuses années une cérémonie d’hommage.
C’est une page d’histoire qui a aussi un sens politique pour notre temps car elle nous enseigne combien racisme, antisémitisme et nationalisme sont liés ensemble à la violence et combien cet ensemble menace directement la démocratie.
Voilà pourquoi il ne faut jamais s’endormir, au contraire, il faut toujours se souvenir et s’engager.