C’était Jean-Michel. Un personnage qui vous accueillait.
Chaque année je lui souhaitais son anniversaire, le 5 mars, cette année, non. Et pour cause...
Les socialistes perdent une des dernières figures une génération qui s’éteint. Celle issue du Yiddishland et qui s’engage, toujours à gauche, parce qu'elle croit dans la force de l'émancipation.
Une partie de la famille de Jean-Michel Rosenfeld venait de Lublin, un des centres du judaïsme polonais. La région où naquirent Rosa Luxemburg ou encore Alter Goldman, le père de Pierre et Jean-Jacques Goldman.
Lui-même né dans le 10e arrondissement, a vécu dans le Pletzl, le quartier du Marais au cœur de Paris un mois après le 6 février 34.
Il échappe à la rafle du Vel d’hiv mais il n’a jamais oublié au lieu de l'insouciance de l'enfance, il a dû porter l’étoile jaune, au point de toujours la garder sans sa poche.
Enfant caché, comme quelques chanceux - car la police de Vichy raflait aussi les enfants et les nazis ne furent jamais dans le détail, Jean-Michel devait revivre la haine quand, sur un marché du 20e il se fit traiter de « sale youpin » il y a encore quelques années par des militants du Front national…
Comme il arriva souvent à ceux de sa génération, la vie active commença bien avant 20 ans. Comme l’engagement politique, dans les rangs du Parti socialiste que jamais il ne quitta.
Élu dans le Val de Marne puis dans le 20e arrondissement de Paris, c’était notre lien avec le Nord : collaborateur de Michel Delebarre lorsque celui-ci fut ministre, il fut inséparable de Pierre Mauroy qu’il accompagna jusqu’au bout.
Jean-Michel Rosenfeld assumait de correspondre à un vieux cliché : juif, de gauche et franc-maçon ! L'homme était passionné de débat et il avait sais l'importance de la culture.
Son judaïsme été laïque et culturel : il était un des dirigeants du Cercle Bernard Lazare, chroniqueur à Radio J et toujours présent aux cérémonies d’hommage aux victimes de la Shoah, lui qui perdit plusieurs dizaine de membres de sa famille dans la nuit et le brouillard au cours du génocide des juifs commis par les nazis et leurs supplétifs.
Il était un des derniers témoins de cette histoire, entonnant un chant en yiddish avec sa complice de toujours Danièle Hoffmann aux obsèques d’Henri Malberg au Père Lachaise.
Nous savions qu’une génération était en train de partir et avoir côtoyé ces personnes dont l’humilité et la foi militante forçait le respect au vu de ce qu’ils portaient comme héritage, nous imposait une exigence dans nos engagements.
Pour autant, Jean-Michel n’était pas simplement un témoin du passé. Une statue de marbre au contact de laquelle nous méditation sur les heures les plus sombres de siècle. C'était un militant actif ancré dans le présent. Au point d'être raisonnablement actif sur les réseaux sociaux.
Ami de Shimon Peres, également de Colette Avital, une diplomate israélienne, grande amie de la France et dirigeante de l'Internationale socialiste, Jean-Michel regrettait dans nos discussions l'affaiblissement progressif de la gauche en Israël, se demandant comment on pouvait les aider. Il avait accompagné Pierre Mauroy, alors Président de l'Internationale socialiste aux obsèques d'Yittzhak Rabin et, chaque année, il assistait à la commémoration parisienne de l'assassinat de l'homme de paix qu'était devenu Rabin.
S'il avait été un témoin, il était aussi un passeur de témoin, bienveillant auprès de la jeune génération de militants socialistes.
A son contact, on se rendait compte que l’engagement est une question de grandeur. Et aussi de mémoire. Comprendre l'importance des combats du passé, que rien n'est jamais acquis à vie et qu'on ne peut regarder d'un air blasé la résurgence de l'antisémitisme, la banalisation du racisme et la notabilisation de l'extrême droite.
Même en politique, « zakhor ! » est un commandement. Se souvenir est un devoir militant.
Jean-Michel est resté viscéralement attaché à un socialisme démocratique qui devait changer la vie, en France comme en Israël où il entrerait évidemment des liens avec la gauche qui, comme en France a atteint aujourd’hui un niveau de faiblesse inédit.
Comme disait Edmond Fleg, être juif c’est refuser d’être insensible à la misère des autres et Jean-Michel fit sienne toutes les mémoires. Celle du groupe Manouchian dans le 20e par exemple.
Jean-Michel était le contraire de l’homme replié sur lui-même, enfermé dans la nostalgie. De lui se dégageait un amour simple de la vie et de l'Autre. A méditer son histoire et sa vie, la méchanceté, le cynisme ou l'indifférence ne peuvent avoir de place dans nos vies et nous ne pouvons pas ne pas consacrer notre énergie à rendre le monde meilleur...
Ce militant qui ne s’est jamais mis, et qu’on n’a jamais mis au premier plan et plus lumineux que ceux qui cherchent la lumière.
Il faisait partie du quotidien de beaucoup de militants socialistes du 20e arrondissement.
Bras droit de toujours de George Pau-Langevin, on ne le verra plus attablé avec quelques militants de la nouvelle génération, ni à la synagogue de la Victoire ou lors des cérémonies d’hommage aux victimes de la Rafle du Vel d’Hiv.
Jean-Michel était évidemment attaché à la Fondation Jean Jaurès dont le premier président avait été son ami Pierre Mauroy tout comme à une certaine idée du Parti socialiste dont il défendait l’identité sans jamais céder aux sirènes de ceux qui confondent modernisation et droitisation, ou ceux qui confondent authenticité et radicalité.
Tous les hommages évoquent la fidélité d’un homme qui ne quitta jamais le PS.
L’enfant qui portait l’étoile jaune, passa sa vie à brandir le drapeau rouge du mouvement ouvrier, faisant sien le commandement que rappelait Pierre Mauroy pour toute la gauche : vous mettrez du bleu au ciel.
Avec lui nous somme devenus meilleurs. Puissions nous ne jamais dévier de la route qu’il suivie. Comme tu l’aurais dit : « Zay Gezunt, mayn freynd ».
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