Le prochain congrès du Parti socialiste est probablement aussi incertain et aussi crucial que le Congrès de Reims en 2008. Reims était le moment du bilan des dix ans de François Hollande comme Premier secrétaire dont on garde un souvenir : celui de beaucoup de victoires dans les élections locales, mais aussi trop de réformes remises à plus tard, de clarifications ajournées au nom de l’unité.
Reims était aussi ce moment où on tirait les leçons d’une élection présidentielle dans laquelle les socialistes ne firent pas bloc derrière une candidate qui se méfiait de son propre parti.
Marseille sera le bilan des années Faure tant le Premier secrétaire a « tenu » les rênes d’un Parti usé et fracturé sans parvenir, au bout de deux mandats à recréer un élan qui redonne au parti qui a si longtemps dominé la gauche, un semblant de foi en lui-même.
Disons tout de suite, que je sais d’expérience, que lorsqu’on dirige un parti, rien ne vous est donné. Au contraire, tout vous est imputé. L’isolement arrive et les désillusions avec. C’est un travail ingrat, un boulot de chien. Mais associer le plus grand nombre, écouter toutes les voix, maintenir les liens avec les uns et les autres, maîtriser l’expression publique ou encore faire travailler l’organisation et exiger des résultats, ce sont des choix libres qu’on peut faire ou ne pas faire.
Où va le PS ?
Le Parti socialiste, je le connais bien. Pour y militer depuis plus de 25 ans maintenant, pour y avoir travaillé pendant 20 ans, pour y avoir côtoyé dans diverses fonctions des figures qui ont marqué son histoire.
Attaché à l’importance sacrée de la transmission, je n’ai jamais cru à l’efficacité de « jeter le bébé avec l’eau du bain », ni à l’idée qu’amnésie valait amnistie. Si la chanson dit « du passé faisons table rase », ça s’applique à ce que nous combattons, jamais à ce qui nous permet d’être là où nous sommes.
Quand Olivier Faure rétorque à ceux qui lui reprochent de tourner le dos à l’Histoire du PS « je ne suis pas un gardien de musée », il a raison car personne n’avance les pieds dans le marbre des statues. Il a tort car pour savoir où on va, il faut savoir d’où on vient.
Tant qu’il y aura des socialistes, il y aura un parti pour les accueillir, mais le problème du moment est que le PS ne rassemble plus celles et ceux qui se réclament du socialisme démocratique, de la social-démocratie, cet équivalent français du PSOE ou du SPD, ceux qui se reconnaissaient dans Jaurès, Blum ou encore Mitterrand, qui se réclament de Willy Brandt ou, plus près de nous, de Pedro Sánchez, Paul Magnette ou António Costa…
Le PS a un passé, fait de succès et de conquêtes. Il a aussi un passif, fait de renoncements ou d’échec. C’est la rançon de l’action dans la durée et aussi de l’exercice du pouvoir dans un cadre démocratique.
Mais aujourd’hui, trop de socialistes doutent d’eux-mêmes et s’ils ne s’aiment pas, s’ils ne croient pas en eux-mêmes, pourquoi un pays et des électeurs croiraient en eux ?
On nous parle de nous échecs et d’un bilan négatif et le procès en trahison est suffisamment fréquent pour que l’on n’ignore rien de nos défaites. C’est que nous ne travaillons pas assez à répondre aux exigences des nôtres.
Il ne s’agit pas simplement d’avoir un bon projet, il s’agit aussi de tenir le cap, malgré le gros temps et de tenir notre rang dans un contexte politique où le danger pour la démocratie existe : ni la radicalité, ni la verticalité ne sont compatibles dans la durée avec les exigences d’une gauche qui veut changer la société sans la fracturer.
D’ailleurs, nulle part en Europe, la gauche qui gagne et qui parvient à incarner le camp de l’efficacité économique au service de la justice sociale et des urgences environnementales est celle des coups de mentons ou celle qui ne trouve rien à redire aux conservatismes néo-libéraux.
Voilà pourquoi le Congrès de Marseille est important.
Rester ou partir
Dans l’histoire du PS, la très grande majorité des gens qui sont partis, l’ont quitté sur la pointe des pieds. Plus d’envie, plus de « jus ». Il n’est pas anormal qu’à un moment, un militant qui a donné du temps à son organisation ne parvienne plus à surmonter ou à relativiser un désaccord. Nous vivons aussi une époque marquée par la crise de l’engagement pour des causes globales et qui demandent une implication sur le temps long.
Depuis quelques années, les ruptures se font bruyamment comme s’il y avait un désir de faire mal avec parfois des formules pompeuses du genre « ça n’est plus ma gauche, ça n’est pas moi qui quitte le PS, c’est le PS qui me quitte ». En réalité, cela révèle une difficulté ou une incapacité à se battre pour faire valoir une orientation. Si dans son histoire, cette forme d’intransigeance avait dominé dans les esprits de nos prédécesseurs, dans les combats pour l’unité en 1905 ou bien lorsque les courants s’affrontaient sur les questions économiques, alors le PS aurait disparu depuis longtemps.
Aucun de ceux qui ont quitté le PS depuis 2017 pour faire autre chose politique n’a réussi son entreprise. Les amis de Benoît Hamon ont fini pour l’essentiel par rejoindre les écologistes où ils ne pèsent pas et ceux qui ont rejoint Emmanuel Macron sont empêchés de déployer une aile « progressiste » influente, capable de contre l’orientation néo-libérale de Le Maire, le cours sécuritaire de Darmanin et, comme ils furent impuissants à contrer la politique éducative rétrograde de Blanquer.
Autour du PS, des clubs, des initiatives existent pour bâtir une gauche de gouvernement qui ne renonce pas, mais cela n’existera pas sans un Parti socialiste « curieux et ouvert » comme disent les travaillistes norvégiens.
Pas sûr que dans la situation actuelle, le pays ait besoin que la gauche ne soit qu’une agglomération de groupuscules !
L’Union oui, la mélenchonisation non !
Aujourd’hui, le PS est divisé en deux tendances : les légitimistes qui pensent que la direction sortante, parce que rien ne lui a été épargné, a fait le sale boulot et qu’elle a préservé l’essentiel : le groupe socialiste à l’Assemblée nationale. En face, deux courants qui croient que le maintien de ce groupe a eu un coût démesuré puisque le PS a sacrifié, à leurs yeux, non seulement des circonscriptions gagnables, mais son identité carrément. En d’autres termes, quand la direction sortante parlait de dépassement, son action menait à l’effacement.
Ca n’est pas entièrement faux. Le dépassement du PS n’était possible que s’il avait une attractivité suffisante quant à son effacement, c’est le désir commun de ceux qui croient, à gauche, qu’il fallait en finir avec l’hégémonie du PS et en faire, au mieux, une force d’appoint car, quand même, dans les territoires, sans le PS à Paris, Nantes, Lille, Rouen, Clermont-Ferrand ou encore en Occitanie, en Nouvelle-Aquitaine ou en Région Bourgogne-Franche Comté, pas de majorité de gauche possible.
Qu’on le veuille ou non, l’unité était indispensable pour « sauver » des sièges de députés en 2022, mais la faiblesse structurelle de la Nupes réside aussi bien dans la prononciation que dans sa gestation qui était pour autrui, c’est-à-dire Jean-Luc Mélenchon.
Passer des années à se haïr pour surjouer l’unité pose un problème tellement évident de sincérité qu’il n’y a pas une semaine sans couac dans la Nupes.
Le Parti communiste affirme son autonomie, les écologistes ont fait un choix de congrès qui n’est pas celui de la radicalité et la tactique parlementaire de la France Insoumise qui a conduit à la complaisance avec l’extrême droite sont autant d’indicateurs que le Parti socialiste, en fidélité avec son histoire, ne doit pas confondre le fait d’être allié avec le fait d’être aligné.
Toute l’histoire du Front populaire, du Programme commun et de la Gauche plurielle c’est l’histoire de mois, parfois d’années d’échanges, de confrontation, de discussion pour avancer ensemble.
La France Insoumise se voit comme une gauche « sûre d’elle et dominatrice » clanique et sectaire qui peut fasciner les esprits un peu jeunes, comme jadis ces militants d’extrême gauche qui en imposaient dans les assemblées générales par leur savoir-faire et leur verve. Ajoutant à cela l’intransigeance de certains écologistes et la centralité de la question du climat – ce qui a conduit trop de socialistes à commettre l’erreur de reléguer la question sociale à une place secondaire, après les sujets sociaux et environnementaux, on a envie de relire Blum qui en 1946 fustigeait la peur du Parti socialiste :
« Je crois que, dans son ensemble, le Parti a peur. Il a peur des communistes. Il a peur du qu'en-dira-t-on communiste. C'est avec anxiété que vous vous demandez à tout instant : “ Mais que feront les communistes ? Et si les communistes ne votaient pas comme nous ?... ” La polémique communiste, le dénigrement communiste, agissent sur vous, vous gagnent à votre insu et vous désagrègent.
Vous avez peur des électeurs, peur des camarades qui vous désigneront ou ne vous désigneront pas comme candidats, peur de l'opinion, peur de l'échec. Et s'il y a eu altération de la doctrine, déviation, affaissement, ils sont là, ils sont dans la façon timorée, hésitante dont notre doctrine a été présentée dans les programmes électoraux, dans la propagande électorale.
Il y a un an, ici, je vous suppliais de vous montrer aux élections avec votre visage. Je vous disais : “ je vous en supplie, effrayez plutôt que de duper. Ne dissimulez pas le véritable visage du socialisme. Exagérez-le encore, plutôt que de le masquer. ” […]. »
En 2022, ce ne sont plus les communistes qui produisent cet effet, mais les Insoumis et les écologistes.
Etre soi-même et s’affirmer n’est pas affaire de fierté, c’est une question d’identité. Nul à gauche n’a l’expérience qu’ont les socialistes de la gestion des affaires du pays, aussi bien au niveau de l’Etat qu’au niveau local. On peut moquer les anciens ministres, les tenir à distance, croire que quarante ans dans le désert purgeront une génération « compromise » avec le pouvoir, condition nécessaire à l’entrée dans la terre promise, mais c’est oublier que dans l’équipe aux commandes du PS depuis 2017, l’essentiel des hommes et des femmes qui la compose a soutenu les gouvernements qu’ils renient aujourd’hui, soit comme parlementaires, soit comme collaborateurs. Opportunisme au sens noble, cynisme ou zèle de nouveaux convertis, la direction du PS cède à ce que Laurent Baumel, alors proche de Dominique Strauss-Kahn dénonçait fort justement « le surmoi marxiste avec lequel il faut rompre ».
La mélenchonisation c’est quoi ? c’est d’abord le sectarisme et l’anathème. Le fameux « partez » qui fut lancé lors d’une réunion du Bureau national à l’égard de la minorité fut une faute grave, révélatrice de beaucoup de choses.
Ensuite c’est cette façon de mettre en scène un homme, seul. Il est intéressant de noter dans la communication du PS comme celle des soutiens de la direction sortante, une personnalisation constante. Quelque chose qui n’a jamais existé, même dans le PS de François Mitterrand. Comme si le projet c’était Olivier Faure. Comme s’il s’agissait de se préparer pour l’après-Mélenchon ou l’avant 2027…
Enfin, la mélenchonisation c’est la radicalité comme posture et la confrontation comme culture.
Beaucoup de socialistes disent aujourd’hui qu’il y a un besoin de radicalité, mais personne n’a jamais dit le contraire. Aucun socialiste n’accepte l’ordre établi, par contre, aucun socialiste ne peut renoncer à la recherche du meilleur compromis pour bâtir une société où l’égalité serait une réalité.
Pour gagner, il faut d’abord refonder
Dans les figures imposées des congrès ou des crises qui suivent une défaite électorale, il y a des rénovateurs, des reconstructeurs, des réinventeurs ou encore des refondateurs.
Des reconstructeurs, il en a eu au PS : ils ont gagné leur congrès, engagé le parti sur des réformes programmatiques et doctrinales suffisamment fortes pour qu’à l’issue, le parti soit en situation pour gagner et gouverner. De cette période : 2007-2012, ceux qui s’en souviennent gardent en mémoire un parti ouvert et au travail. Cela veut dire que cette méthode est la seule qui vaille.
La refondation supposerait, si on s’en tient au mot, à une révision totale et à une réinitialisation de la machine. Il y a en effet un grand besoin de tout revisiter, de garder ce qui marche et de changer ce qui ne marche pas. D’interroger les traditions et les habitudes et de stimuler les esprits, mais on sait aussi par l’expérience que lorsqu’on prétend tout changer, en réalité, rien ne change.
Le Parti socialiste a affaibli sa capacité de travail et de rigueur. Les épisodes des casquettes de Blois et, plus récemment du clip retiré ne sont pas des anecdotes, elles disent beaucoup de l’état de l’organisation. Henri Weber, citant Lénine, aimait à répéter « les questions d’organisation sont des questions politiques à 100 % ».
Si donc, on ne peut continuer ainsi, deux choix s’offrent aux militants qui doivent être nombreux à aller voter dans quelques jours.
Les amis d’Hélène Geoffroy mènent ce combat depuis longtemps. Attachés au parti d’avant, ils sont convaincus qu’il est possible de bâtir un parti nouveau, en phase avec les exigences populaires. Un parti qui ne fantasme pas le pouvoir sans se lasser corrompre par lui.
Une nouvelle force s’est constituée, tirant les conséquences des choix stratégiques de juin dernier. Son premier signataire, Nicolas Mayer-Rossignol a su rassembler autour de lui des profils variés qui cumulent l’expérience, l’enracinement dans un territoire et des générations mêlées reliant plusieurs époques. En l’écoutant, j’ai été séduit par sa rigueur, mais cela ne suffisait pas.
Il fallait dire qu’une autre façon de faire fonctionner le PS était possible et autrement que dans une logique d’influence au sein d’une majorité trop large pour être mobile.
Le PS a besoin d’une nouvelle majorité, d’un nouveau leadership, d’une nouvelle énergie. Il faut retrouver une force propulsive et une dynamique attractive : redonner à la formation politique sa centralité dans les parcours militants. Des militants qui doivent se réimplanter plus fortement dans le mouvement social, les réseaux associatifs, les entreprises, le monde de la culture, de l’innovation et les syndicats.
Refondation selon moi rime avec reconnection avec ce mouvement social dont les Gilets jaunes ont illustré à quel point il traversait lui aussi une crise de la représentation.
Une promesse avait été faite en 2008 de donner plus de pouvoir, d’initiative ou d’espace aux fédérations du PS. Rien a été fait en ce sens, pourtant, les responsables locaux comme les élus sont les voix des territoires et des relais utiles pour tisser ces réseaux qui font que rien ne se qui se passe dans le pays, dans tel ou tel secteur n’est étranger aux yeux ou aux oreilles d’un parti qui doit être celui de toute la société.
Refonder le PS c’est repenser ses ressources humaines aussi bien militantes que salariées. Celles et ceux qui vendent leur force de travail au Parti, ce qu’on appelle les « permanents », n’ont jamais été aussi peu nombreux et en si grande détresse, or sans collaborateurs salariés, aucun parti ne peut penser, s’organiser et atteindre ses buts.
Refonder le PS c’est en refaire un acteur exigeant des combats idéologiques en se méfiant des modes, des raccourcis ou des indignations consensuelles. Le combat contre le racisme et l’antisémitisme pour prendre un exemple a besoin d’un parti qui n’instrumentalise pas ces questions et qui cherche sincèrement des réponses face à ceux qui expriment avec de moins en moins de réserve leur haine des musulmans, des juifs ou de tout ce que n’est pas comme eux.
Refonder le PS c’est renouer avec les intellectuels, le monde de la culture, des savoirs et de l’éducation : tout socialiste est animé d’une sorte de foi républicaine : liberté ordonnée, égalité réelle, fraternité laïque. Cela s’apprend, cela s’inculque, cela se transmet.
Refonder le PS c’est penser le féminisme sans jamais verser dans l’essentialisation ce qui est contraire à l’universalisme et en cela, il faut assumer une approche socialiste ou social-démocrate qui ne cherche pas à se faire bien voir de tel ou tel courant radical.
Dans son projet pour l’outremer, Anne Hidalgo alors candidate à l’élection présidentielle, a employé un mot qui résume bien l’état d’esprit qu’il faut avoir aussi bien pour les questions ultramarines – trop délaissées par la plupart des formations politiques et par le gouvernement – la considération. Sans condescendance, il est nécessaire d’écouter et de trouver les réponses que posent les nôtres.
Qui s’intéresse à Mayotte autrement que lorsqu’il y a des explosions de violence ? Personne.
La refondation ne s’arrêtera pas à l’issue du congrès de Marseille. Quoiqu’il arrive d’ailleurs, elle devra s’engager. Soit dans la majorité, soit dans la minorité en tâchant de bâtir un mouvement exemplaire, rigoureux et respectueux, inventif et aussi attractif.
Pour ces raisons, j’ai décidé de soutenir Refondation sans réserve.
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.