Comme beaucoup de militants sans concession dans le combat contre l’extrême droite, le racisme et l’antisémitisme, j’ai cru à une intox lorsque j’ai vu que Serge et Beate Klarsfeld recevaient la médaille de la ville de Perpignan des mains du maire, une figure de l’extrême droite, militant depuis 30 ans du FN puis du RN, dont il brigue la présidence.
Mais l’information fut confirmée.
Comme quelques amis, j’avais prévu d’assister au débat auquel ces deux héros du combat contre l’oubli, qui ont consacré leur vie à chasser les nazis et à restituer et entretenir la mémoire de la déportation des juifs de France et il allait de soi que l’actualité allait donner une coloration différente à la soirée.
Adolescent dans ma lointaine Martinique, j’avais découvert Beate Klarsfeld sous les traits – excusez du peu – de Farah Fawcett Majors, la blonde de la série Drôles de Dames, qui incarnait l’activiste franco-allemande dans un téléfilm qu’on peut encore voir d’ailleurs sur YouTube.
Depuis, les combats des époux Klarsfeld allaient devenir un parcours de combattants forçant l’admiration, mais qui avait surtout une forte valeur pédagogique. Dans leur mode opératoire, il y avait une radicalité qui correspondait à l’air du temps dans cette fin des années 60 par ailleurs, quand le fond de l’air était rouge.
Sur la collusion avec le maire RN de Perpignan, plusieurs expressions ces derniers jours ont donné l’essentiel, auquel, il n’y a pas grand’ chose à rajouter. Cela tient en quelques phrases :
On ne peut pas avoir appelé à voter contre l’extrême droite et devenir, sciemment ou pas la caution de cette même extrême droite au motif qu’elle a envoyé des signaux positifs.
On peut d’autant moins le faire lorsque ledit maire inaugurait récemment un lieu en mémoire d’une figure de l’OAS.
Le débat auquel participait le couple, accompagné de son fils, permit évidemment d’évoquer leur parcours qui force le respect et de les écouter expliquer, difficilement, il faut le dire, l’affaire perpignanaise.
L’idée consiste, pour eux – c’est Arno Klarsfeld qui fut le plus virulent – à dire que l’extrême droite pouvait changer et que dans le débat qui occupait le RN pour la désignation de son prochain président, il fallait aider la ligne modérée.
Enfin, l’argument classique fut évoqué par Arno Klarsfeld, qui, à la différence de ses parents, s’est engagé politiquement, notamment à l’UMP, de l’extrême gauche « antisémite » qui, si elle arrivait au pouvoir, « les juifs devraient baisser la tête dans la rue ».
J’assistais à ce débat quelques jours après être allé voir le film très poignant d’Olivier Dahan sur Simone Veil qui restitue bien la droiture de cette grande dame. Récemment, j’évoquais avec une amie de Marseille, la figure de Robert Badinter, et nous sommes cette semaine dans le quarantième anniversaire de la disparition de Pierre Mendès France… On s’imagine bien qu’il n’y aurait jamais eu de leur part ces errements.
Les Klarsfeld ont eu tort, mais ils sont dans l’air du temps. Le temps de la confusion, de la dépolitisation, des détournements.
Le temps d’un certain oubli : l’extrême droite est par nature xénophobe. Elle hait l’étranger. Or, pour peu que les textes aient un sens, il y avait un commandement qui disait sans détour « Si un étranger vient séjourner avec toi, dans votre pays, ne le molestez point. Il sera pour vous comme un de vos compatriotes, l’étranger qui séjourne avec vous, et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers dans le pays d’Egypte ». Une fois n’est pas coutume, ça se passe de commentaire.
Ce fut moins une surprise qu’un choc que voir l’extrême droite en tête dans beaucoup de territoires ultramarins lors de l’élection présidentielle. Ce fut moins une surprise que la prise de conscience d’un changement inquiétant de voir beaucoup de Français de culture ou de confession juive voter pour Eric Zemmour… Après tout, le fond de l’air, depuis bien longtemps maintenant, est plus brun que rouge. La mithridatisation fait son œuvre. Chaque le constate, mais il semble impossible d’inverser la machine.
Bolsonaro au Brésil, va perdre très certainement l’élection présidentielle, mais il aura gagné des voix. Trump lui-même n’a pas essuyé de défaite cuisante et son retour en 2024 n’est pas exclu sauf si la justice passe par là.
Quant à Netanyahu – qui fait plus penser lui-même à Trump qu’à Trumpeldor – on a vu dans le jeu des alliances, la radicalisation toujours plus à droite.
Aujourd’hui, le racisme anti-arabe, l’obsession anti-musulmane conduit à tout mélanger et ceux qui travaillent au dialogue sont souvent isolés. L’argument qui justifie la complaisance à l’égard de l’extrême droite est simple : « tous les actes meurtriers antijuifs depuis 40 ans sont perpétrés par des musulmans alors que l’extrême droite ne tue plus de juifs ». Sauf qu’on tue aussi par les mots et l’antisémitisme est à l’extrême droite française ce que le rhum est au ti-punch.
L’extrême droite a besoin de cautions, d’alibis pour se purifier. Même si chez nous les Antillais, la sensibilité au racisme est très forte, à fleur de peau, nous voyons facilement dans le Blanc un raciste qui sommeille et qui peut se réveiller à tout moment, et nous n’excluons jamais totalement d’un raisonnement ou d’une discussion, tôt ou tard, le fait colonial. Cela ne nous empêche pas de nourrir des sentiments peu fraternels pour les Antillais venus d’îles plus pauvres et d’évoluer dans des sociétés où on prend en compte aussi bien le taux de croissance que le taux de mélanine. Je noircis un peu le trait… Mais ça existe. Tout cela fonctionnant évidemment avec le triptyque cher au FN depuis longtemps : identité immigration insécurité. Comme ces questions peuvent toucher les plus bas instincts, il n’y plus ni morale ni « charité chrétienne » ni mémoire…
En effet, l’époque est aux replis identitaires et s’il y a un élément sur lequel l’extrême droite ne change pas, c’est qu’elle essentialise tout. On a même vu dans une certaine presse, la diabolisation de "l'antiracisme"... L’infanticide dans le 19e devient un « francocide » tandis qu’après avoir fait campagne en affectant un discours « social », les députés RN votent les mesures antisociales du gouvernement par exemple.
Enfin, en octobre dernier, lors du 50e anniversaire de la création du Front national, le RN était attendu au tournant. Soit il boudait l’événement en disant « nous avons changé de nom, ça n’est pas notre histoire », soit il assumait la filiation et l’héritage. C’est ce qu’ils ont fait. Voilà pourquoi, pour les Français juifs comme pour ceux qui sont épris de liberté, de fraternité d’égalité, hostiles à toutes discriminations, l’extrême droite est un parti de faux prophètes.
C’est par l’obsession de l’identité, par la caractérisation de l’Autre, par la volonté de marquer une différence, par le désir aussi de « nettoyer » pourtant que, de fil en aiguille, certains des grands crimes de l’Histoire commencent.
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