Il y a dix ans j’écrivais ce billet pour évoquer l’un des courants les plus importants de l’histoire du Parti socialiste des années 90 et du début des années 2000, même si je n’en fus jamais membre et plutôt un adversaire politique.
Dix ans après l’écriture de ce billet et vingt ans la scission de la Gauche socialiste (GS), ce courant qui fut toujours minoritaire disparu dans une scission qui occupa les esprits à la fin de l’été 2002, on note que plusieurs de ses dirigeants ou militants d’alors occupent toujours une place importante dans l’animation du débat dans l’ensemble de la gauche et des écologistes.
Voici donc, dix ans après, une actualisation subjective, mais respectueuse du parcours de camarades dont beaucoup de celles et ceux qui militent encore aujourd’hui gardent évidemment un bon souvenir, mais gardent surtout la même insatisfaction à l’égard de l’ordre des choses…
Le temps des courants
Le degré de libertés de débats et de vitalité démocratique au sein Parti socialiste a longtemps été un sujet de fascination pour les observateurs. En son sein, depuis toujours, il y a eu des courants. Et pour cause, le PS est la fusion de cinq partis.
L’existence de tendances, courants, sensibilités, fractions, est une constante dans les grands partis ouvriers, même si, et on le constate de façon si fréquente à l’extrême gauche que c’est devenu un sujet de moquerie, leurs affrontements débouchent plus souvent sur des scissions ou des exclusions que des synthèses. Contradictoire avec la volonté de rassembler l’ensemble des travailleurs !
Donc, au PS, il y a longtemps eu des courants ou des sensibilités : soit du fait d’une interprétation particulière du projet, soit pour organiser et accroître l’influence ou défendre les intérêts de telle ou telle personnalité.
Dans beaucoup de cas, il s’agissait d’une démarche intellectuelle sincère, même si, cela a dérivé trop souvent dans des querelles d’égos, ce que l’Histoire a retenu par exemple avec le Congrès de Rennes du printemps 1990 qui a traumatisé beaucoup des socialistes qui l’ont vécu.
Dans la suite de François Hollande, Olivier Faure décréta la fin des courants dans son discours d’Aubervilliers en 2018. Ceux-ci avaient cessé d’exister depuis longtemps, s’éteignant d’eux-mêmes. Il n’en demeurait qu’une mémoire rarement entretenue sauf par quelques évocations.
Le club Inventer à gauche reste probablement la seule structure qui perpétue la tradition rocardienne autour de Michel Destot.
Mais il y eu des courants qui jouèrent un rôle à l’époque. Les Poperénistes qui durèrent encore après la mort de Jean Poperen en 1997, au sein desquels on croisait des historiques comme Jean-Marc Ayrault, Colette Audry, Alain Vidalies, Michel Debout, Philippe Bassinet, mais aussi la jeune garde emmenée par le brillant Emmanuel Maurel dans les rangs de laquelle Céline Pina fit ses premières armes politiques. Les poperénistes se situaient à l’aile gauche du PS, réformiste, intellectuels marxisants, pro-européens critiques et partisans eux aussi d’un grand parti de toute la gauche.
Il y avait eu dans les années 70 et 80, le CERES, lui aussi très à gauche, force d’appoint des majorités de François Mitterrand. Il fut une véritable école de formation politique autour de son leader Jean-Pierre Chevènement et ses lieutenants, Didier Motchane ou encore Pierre Guidoni où écoutait Georges Sarre.
Les amis d’Henri Emmanuelli complétaient cette « aile gauche » du parti d’Epinay.
Le CERES – devenu Socialisme et République fut le moins europhile des courants du PS et en 1993, le départ vers le Mouvement des Citoyens (MDC), ancêtre du MRC marqua la fin d’une époque.
Après le 21 avril 2002, orages d’été au Parti socialiste
Le choc de l’élimination de Lionel Jospin au premier tour de l’élection présidentielle résonne encore aujourd’hui. C’est dire s’il était évidemment violent alors. Beaucoup de socialistes renièrent ce qui avait été réalisé pendant cinq ans, un record de longévité pour un Premier ministre depuis 1969. Le remords du pouvoir fonctionnait à plein après une défaite que l’hebdomadaire Marianne avait prédit en titrant quelques mois auparavant « Pourquoi la gauche va perdre ».
Les documentaires sur la campagne de Lionel Jospin que l’on vit à la télévision après, insistait sur cette confiance que les socialistes avaient en eux-mêmes, même si certains étaient prudents. Ainsi, ce passage où, quelques dizaines de minutes avant que les chiffres de tombe, un Julien Dray sûr de lui : « on est au deuxième tour, je suis prêt à prendre les paris ! » devait une caméra qui immortalisa le moment. C’était l’expression d’un optimisme partagé par beaucoup.
L’été 2002 fut donc occupé à analyser, à penser les plaies et à les panser. Mais, ce qui existait alors – on n’était pas encore aux temps des réseaux sociaux où s’expriment avec indécence ceux qui veulent parler sans qu’ils soient bien certains qu’ils ont quelque chose à dire - le "délais de décence" fut bravé par Marie-Noëlle Lienemann, ancienne ministre du logement dans le gouvernement. Elle avait commis un ouvrage réquisitoire, imputant la défaite à une deuxième moitié de législature insuffisamment à gauche et à une campagne ratée... La violence de la bronca contre elle fut inouïe, mais quelques mois plus tard, ses analyses furent reprises pour l'essentiel par la plupart des militants qui rejoignirent le courant Nouveau Parti Socialiste au congrès de Dijon du printemps 2003 avec Arnaud Montebourg, Christian Paul, Vincent Peillon ou encore Benoît Hamon.
Des campagnes ratées il y en aurait d’autres, probablement parce que le travail d’inventaire après une élection, qu’elle soit gagnée ou perdue n’est jamais mené sérieusement, sauf pour peut-être, quand il s’agit de régler des comptes, ce qui ne règle aucun problème… Mais c’est un autre débat.
Si l’attention des participants était concentrée sur les débats, les rencontres et les discours de l’Université d’été, dans cette ère pré-Twitter, ce qui intéressait c’était ce qui se déroulait parallèlement plus au nord, à Nantes où se déroulait l'université d'été de la GS. Un psychodrame qui marquerait la fin d'une aventure collective qui avait marqué le PS et la gauche militante pendant plus de dix ans.
« leur morale et la nôtre »
Entre 1990 et 2002, il y eut entre la GS et les autres, une inimitié qui s’explique certes par le sectarisme, la fascination répulsion que provoquait un style un peu « bad boy » provocateur ou gauchisant qui jurait avec un réformisme pépère. Un conflit entre adultes assagis et ados attardés, une tension entre « aspirations révolutionnaires » et réalisme de gauche… Bref, deux cultures, pour reprendre la formule de Michel Rocard à la fin des années soixante-dix…
Il y avait aussi l’importation ou la prolongation des querelles de chapelles entre ex trotskystes qui avaient poursuivi leurs joutes dans les AG de l’Unef-ID et quelques mouvements étudiants.
Méfiance collective, paranoïa, affrontements vifs et pour cause, tous les fondateurs de la GS venaient de l'extrême gauche. Soit la branche lambertiste comme Jean-Luc Mélenchon, soit le pablisme comme Marie-Noëlle Lienemann ou bien sûr la LCR comme Julien Dray, Laurence Rossignol ou Gérard Filoche non fondateur mais qui les rejoignit en 1994 et qui revendique, depuis la fin de cette aventure, le nom pour continuer la sienne, avec ses proches.
La GS prolongeait au PS, la culture radicale des années 70-80, dans une synthèse assez particulière : une relation filiale avec François Mitterrand qui leur pardonnait plus qu’à d’autres, une intransigeance juvénile qui tranchait avec le sérieux d’un parti qui gouvernait alors la France depuis longtemps.
Le style de la GS "des éclats de voix, une intransigeance doctrinale sans faille et des embardées tactiques à tout-va" selon la description de Renaud Dély (Libération du 22 novembre 2000), s’accompagnait des classiques de la fraction politique. Un esprit de clan qui nourrisait chez certains un sectarisme sans bornes – cela dit cela dépendait des territoires et des personnes – des réputations qui collaient à la peau, bref, chaque congrès promettait d’être « sportif ». Avec le recul, cela donnait de la gravité et de l’intérêt à l’enjeu.
A cette époque, la GS faisait partie du décor : aucun orateur de la GS ne prenait à la légère le moment de son « l’interv ». Surtout pas les dirigeants du courant. Julien Dray était souvent indigné et sa voix montait vite dans les aigus. Certains moquaient les envolées enflammées de Marie-Noëlle semblant au bord des larmes, mais même les plus hostiles à la GS, ne rataient pas un discours de Jean-Luc Mélenchon, probablement un des meilleurs tribuns du PS, même si son style « Troisième République » donnait l’impression d’un homme qui vivait mal son époque.
Un courant-maison
Recyclant ce qu’ils avaient appris dans leurs engagements de jeunesse, les fondateurs bâtirent un réseau qui leur permettait de "prendre en charge" la jeunesse dès le berceau de la prise conscience politique avec le principal syndicat lycéen, la Fédération indépendante lycéenne (Fidl) qui eût pour présidents de militants à l’avenir prometteur comme Delphine Batho, Frédéric Hocquard, François Delapierre ou encore Nasser Ramdane. Il y avait aussi les tendances dans l'Unef-id, le club - on ne disait pas encore think tank - "République sociale" qui disposait d'une branche allemande dont l'une des représentantes était Andrea Nahles, qui devint plus tard une dirigeante de premier plan du SPD. Sans oublier bien sûr le mouvement antiraciste avec SOS Racisme qui exista avant le courant, qui lui survécut, gagnant son émancipation complètement tout en demeurant fidèle à un engagement de départ : la politisation de la jeunesse.
La GS avait ses publications comme"A Gauche" et ses temps forts, notamment et ses journées annuelles à Niort à la fin du mois d’août. Tout cela ajouté à d’innombrables réunions de courant avant les grands rendez-vous du PS, obligatoires et un courant très structuré, donnait un sentiment d'appartenance très fort quitte à donner aux militants les plus « novices » un espace de socialisation milité qui donnait une impression de vase clos. C’est certainement ce qui survit aujourd’hui pour une partie de ceux qui ont suivi Jean-Luc Mélenchon, notamment au sein du très fermé et discret Parti de gauche.
Plusieurs générations de cadres sont passés par la GS. Outre les dirigeants historiques que nous avons cité plus haut Malek Boutih, Pascal Cherki, Isabelle Thomas, Yann Galut, Daniel Goldberg, Sébastien Pietrasanta, Pascale Boistard, Jérôme Guedj, Olivier Leonhardt, Harlem Désir, Olivier Thomas, Bernard Pignerol, Patrick Mennucci, Alexis Corbière et Raquel Garrido, François Carbonnel, Eric Benzekri, David Roizen, Nicolas Nordmann, Colombe Brossel, Léa Filoche ou encore Loubna Meliane… La liste est longue d’hommes et de femmes qui y ont puisé une solide formation militante. Certains ont continué l’engagement politique, d’autres ont choisi d’autres voies. Parmi eux, trois auraient encore des choses à apporter à la réflexion…
La quasi-totalité des « ex » de la GS qui sont restés militants, l’ont été à la gauche ou dans l’écologie politique et ils conservent une solide connaissance des mouvements sociaux, une sensibilité aux nouvelles formes de mobilisations ou aux questions qui peuvent faire bouger la société. Bien sûr la GS n’en avait pas le monopole, mais c’est elle qui, indéniablement, fut la plus durablement organisée des ailes gauche historiques du Parti socialiste.
Des thèses
Si la GS fut toujours mitterrandiste, elle n’en était pas moins culturellement trotskyste. Il fallait lire Bilan et Perspectives et familier des "thèses" adoptées par le courant quand il s’agissait de définir une position politique. Dans la rhétorique, parce qu’en politique la sémantique cela compte toujours, la phraséologie était résolument branchée et moderne, souci d’attractivité oblige.
La jonction entre Dray, Filoche et Lienemann se fit dans la fédération de l'Essonne, fief historique de ce courant dans les années 90-2000. Lienemann avait présenté une motion "néo-rocardienne" au congrès de Bourg en Bresse en 1983 avec Alain Richard, mais à la suite de la réélection de Mitterrand en 1988, alors que Michel Rocard avait choisi "l'ouverture" en faisant entrer des ministres issus du centre droit dans son gouvernement, fut créé la Nouvelle école socialiste (NES).
Les amis Dray étaient mitterrandistes. Ceux de Cambadélis, résolument jospinistes, ce qui n'était évidemment pas contradictoire puisqu'à cette époque, le clivage essentiel dans le PS passait par le rapport au rocardisme. Dray avait une dent contre Jospin qu'il soupçonnait d'avoir bloqué son entrée dans un ministère après les élections législatives de 1988 au cours desquels il était devenu député de l'Essonne. Jospin devenu ministre de l’Education nationale vit en Dray l’instigateur des mouvements lycéen et étudiants et il lui en tint rigueur…
A la même époque, le duo Dray-Mélenchon joua les parlementaires frondeurs au moment de la première guerre du Golfe.
La NES céda la place à la GS en 1990-1991 et leur première grande bataille politique eut le Congrès de Rennes en mars 1990 au cours duquel la tendance Dray Mélenchon recueille un peu plus d’un % et des poussières, avant de se rallier à Laurent Fabius.
En 1994, la branche étudiante de la GS met la main sur l'Unef-id qui était contrôlée depuis la réunification de 1980 par les amis de Jean-Christophe Cambadélis. Quelques années plus tard, la présidente Carine Seiler va achever le travail engagé par Cambadélis en réalisant l'unification des deux Unef.
Lors du congrès de l'Arche en 1991, qui devait résoudre les questions idéologiques qui n'avaient pas été tranchées à Rennes, la motion unique fut adoptée après un vote sur les amendements déposés par la GS qui recueillirent 6 %.
En 1992, la GS déposa une motion prônant une alliance "rouge, rose, verte" qui obtint plus de 7 %.
Deux ans plus tard, alors que le Parti socialiste a subi les terribles défaites de 1993 aux législatives et de 1994 aux européennes, - Dray est un des quelques députés socialistes réélus, la GS fait cause commune avec Emmanuelli au congrès de Liévin et le député de l'Essonne est chargé du programme.
Après la victoire de la Gauche plurielle aux élections législatives de 1997 – la consécration d’une démarche unitaire conduite par Jean-Christophe Cambadélis pendant plus de deux ans - le congrès de Brest fut l'occasion pour la GS de passer la barre des 10 %. Jean-Luc Mélenchon se présenta au poste de premier secrétaire contre François Hollande. Il fut battu.
Lionel Jospin devenu Premier ministre, fit appel lors remaniement de 2000 à Jean-Luc Mélenchon et Marie-Noëlle Lienemann à rejoindre son gouvernement.
Lors du congrès de Grenoble en 2000, la GS présenta une motion sous forme de nouvelle, éditée sous le titre Sept jours dans la vie d'Attika. Cette motion a recueilli 13 % des votes des militants, devancée par celle d'Henri Emmanuelli de quelques dizaines de voix.
A ce moment-là, la fusion des gauches est une possibilité, mais pas encore une réalité. Pour Dray elle est une nécessité face à l'hétérogénéité de la "majo" et une opportunité alors que "le PCF est entré dans une phase d'agonie active".
Dans le parcours intellectuel de Julien Dray, la question sécuritaire gagne en ampleur. On passe de la voix des quartiers à travers les thèmes antiracistes et sociaux, à la nécessité de "casser les ghettos" et de briser les caïds. Depuis Questions socialistes, la première structure politique de Dray dans le PS, la pensée a évolué : les banlieues étaient le nouveau lieu de la reformulation de la question sociale mais la montée du Front national, l’irruption de l’islam comme élément d’une différence visible, le chômage de masse, la violence ou les trafics obligeaient à revoir l’approche et à penser l’ordre, un choc culturel pour des militants peu friands de frayer avec la police.
On le voit, le débat était déjà posé dans la gauche entre 2000 et 2002 et ses évolutions récentes n’ont rien de nouveau.
La scission
La scission de la GS fut rapide et elle laissa des traces parce que, comme nous l’avons dit plus haut, l’appartenance à « la bande » était structurante.
La crise du Parti socialiste impliquait une crise au sein de la GS qui aurait pu tirer profit de l’échec de Lionel Jospin et de l’affaiblissement de François Hollande sur le thème de « On vous l’avait bien dit », mais pour des dirigeants politiques qui allait passer le cap des 50 ans, l’envie de passer de la protestation à l’influence plus nette sur le cours des choses était largement partagée.
Julien Dray était un ami de longue date de François Hollande et il voulait rejoindre la majorité du PS. Jean-Luc Mélenchon, qui reprochait au Premier secrétaire du PS de le mépriser et d’avoir tripatouillé le résultat du vote de Brest avec la volonté de l’humiler, il s’agissait de renforcer le pôle de gauche qui allait bientôt s'organiser avec Henri Emmanuelli dans le courant Nouveau monde à Argelès-sur-Mer. Avec le Nouveau parti socialiste (NPS) emmené par Arnaud Montebourg, Vincent Peillon et Benoît Hamon, la GS n'avait plus le monopole de l'aile gauche du PS et la recomposition politique ne se ferait pas autour d'elle, mais plutôt à ses dépens. Elle se fit sur ses décombres.
Dans les cultures trotskystes, les scissions sont fréquentes, rarement innocentes. Il y a les désaccords sur la ligne, les anathèmes sur les intentions réelles ou supposées et les tensions entre partisans des uns et des autres.
Si Dray et Mélenchon venaient tous les deux de tendances rivales du trotskysme français, même après plus de vingt ans passés au PS, ils perpétuaient les réflexes de clans, exigeant de leurs proches, moins une adhésion à la ligne qu’une relation filiale, pardonnant peu ou très tardivement à celles et ceux sur lesquels ils avaient fondé des espoirs et qui s’étaient émancipés.
La conséquence fut que personne ne sortit vainqueur de la crise.
Que sont-ils devenus ?
Il ne va pas de soi de vivre « l’après » d’une aventure humaine de cette nature. Certains l’ont vécu comme un moment de leur jeunesse et ils ont tourné la page. D’autres ont cherché à mettre leur savoir-faire au service d’autres causes, en épousant d’autres engagements, comme Malek Boutih auprès de Manuel Valls ou de Delphine Batho quand elle décida de briguer la présidence de Génération écologie et d’incarner une écologie radicale au sein de la famille écologiste.
Certains, comme Pascal Cherki et Isabelle Thomas ont vu apporter à Henri Emmanuelli les effectifs de jeunes venus de l’Unef et, plus tard, la fusion avec les amis de Benoît Hamon – qui pourfendaient la GS dans les années 90, devait donner un courant assez similaire dans son apparence : effervescence juvénile dopée par les cadres venus du syndicat lycéen UNL, de l’Unef ou encore du Mouvement des jeunes socialistes, ce courant empruntait à la GS, son intransigeance et son goût pour les jeux d’appareil quitte à confondre l’Assemblée nationale avec un amphi de fac. Cela conduisit en partie à la tension entre la majorité des députés socialistes et les frondeurs après 2012 et à l’étrange campagne présidentielle de Benoît Hamon.
En 2017, la solution la plus commode fut de fonder une autre organisation. Ce serait Génération.s. Un nom curieux qui disait beaucoup : à la fois la fascination de certains cadres historiques pour les deux tomes d’Hervé Hamon et Patrick Rotman qui racontaient comme une épopée, et avec un air d’autocélébration, les trajectoires militantes de quelques figures issues de l’UEC et de l’Unef, entrée en politique au début des années 60, certains devenant guerilleros, d’autres gauchistes, les troisièmes intellectuels ou avocats engagés…
Les initiales du nouveau parti, « G.s » étaient probablement un acte manqué, en tout cas, dans la fragmentation à gauche, il n’y avait pas d’espace entre le PS où ils avaient tout appris et EELV où certains se comportaient comme s’il y avait tout à prendre.
Julien Dray a rejoint la majorité du PS, contribué à l’aventure de Ségolène Royal en jouant le rôle dans lequel il est l’un des meilleurs, celui qui scrute et recrute, invente et fomente.
Jamais ministre, il fut partenaire de son rival préféré Jean-Christophe Cambadélis avec lequel il créa les conditions de la Belle Alliance Populaire qui permettait une coalition de la gauche et des écologistes pour l’élection présidentielle de 2017, mais elle échoua face au bilan de la gauche au pouvoir et à la volonté de la plupart des partis de punir le Parti socialiste.
Aujourd’hui, à la tête d’un nouveau mouvement, « Réinventez », Dray ne renonce pas au travail de réarmement idéologique d’une gauche qu’il connaît par cœur.
Marie-Noëlle Lienemann a fait un bout de chemin avec Laurent Fabius et surtout Paul Quilès dans une orientation de gauche unitaire avant de quitter le Parti socialiste en 2018 pour fonder avec Emmanuel Maurel la Gauche républicaine et sociale, un groupe qui refuse le gauchisme et les dérives clientélistes d’une gauche radicale trop mouvementiste.
Harlem Désir s’est fortement impliqué comme député en faveur d’une « mondialisation solidaire » où, avec Henri Weber, il a contribué à la théorisation du « Juste échange – une voie praticable entre le protectionnisme et le libre échange sans limites.
Entre 2012 et 2014 il a été Premier secrétaire du Parti socialiste. Après avoir été ministre des Affaires européennes et en charge de la liberté de la presse à l’OSCE, il travaille avec des ONG.
Laurence Rossignol qui fut ministre sous François Hollande, a soutenu Arnaud Montebourg au début de la campagne présidentielle. Elle n’a pas quitté le PS, continuant son engagement comme sénatrice.
Eric Benzekri qui fut un des responsables étudiants et un des jeunes intellectuels en devenir, a bifurqué vers la télévision pour laquelle il a écrit des séries de qualité et qui ont rencontré un grand succès populaire comme Maison close. Mais sa grande œuvre qui lui a valu une consécration, ce sont les trois saisons de Baron Noir, la plus aboutie des séries politiques françaises, mettant en scène une figure controversée du Parti socialiste aux prises avec les jeux de pouvoir, la division de la gauche, les problèmes du pays et la quête permanente de sa propre rédemption.
Quant à Jean-Luc Mélenchon, c’est celui qui eut la trajectoire la plus notable puisque celui qui avait été formé dans l’organisation de Pierre Lambert, qui admirait François Mitterrand et qui disait que Lionel Jospin avait dirigé le gouvernement le plus à gauche du monde, il devint la figure dominante de la gauche.
Un des animateurs du « non » de gauche au référendum sur le Traité constitutionnel en 2005, Mélenchon fonda son courant, « Pour la République sociale » (PRS) avant de quitter le Parti socialiste au lendemain du congrès de Reims, où il prit acte de la "réalité militante" de Ségolène Royal.
En fondant le Parti de gauche (PG), Mélenchon disposait enfin de « son » organisation, discrète, dont le fonctionnement ne serait pas perturbé par un développement trop rapide.
Tirant les conséquences de l’échec de produire une candidature unique à la présidentielle de 2007, Mélenchon, copia Die Linke qui rassemblait pour l’essentiel des anciens sociaux-démocrates et des cadres de l’ancien parti communiste de RDA.
Cela aboutit à la formation du Front de gauche (PG, PCF, anciens écologistes comme Martine Billard, anciens socialistes comme Marc Dolez, ex de la LCR comme le courant Gauche unitaire) dont Mélenchon sera le candidat à l’élection présidentielle de 2012.
La suite est connue.
***
Depuis, tous les leaders historiques de la GS ont quitté le parti ou ont pris des distances. Seuls Jérôme Guedj et Laurence Rossignol ou encore Stéphane Troussel, demeurent des cadres écoutés, mais, à l’image de beaucoup d’autres, ils n’animent aucun courant ou réseau, même informel.
A l’inverse, une direction héritière de l’aile social-démocrate des années 80-90 a rapidement accepté l’alliance avec Jean-Luc Mélenchon sans trop chercher à peser sur une orientation trop radicale pour durer.
Si la GS était l’improbable synthèse entre une culture venue de l’extrême gauche et le mitterrandisme, le mélenchonisme c’est une tout autre histoire, faite d’intransigeance, d’un retour au mouvementisme.
Entre souvenirs militants et débats d’antan, il reste de la GS ce qu’il reste des autres courants du PS, le vide qu’aucune structure n’a comblé, même si la masse des tweets chaque jour remplis probablement plus de pages que les revues, contributions et thèses de militants qui ne confondaient pas analyse et commentaire.
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