Dans l’histoire, certains mots sont chargés de sens, alourdis par le poids des malheurs qu’ils décrivent.
Ainsi des mots « rafle » ou « Vel d’Hiv ».
Le haut lieu du sport français, comme le Parc des Princes aujourd’hui, a disparu des mémoires comme lieu d’accueil de compétitions sportives prestigieuses. Le bâtiment lui-même a vite disparu après la guerre, sans pour autant enfouir sous les décombres les terribles journées de juillet 1942.
Une rafle désigne une arrestation massive à l’improviste à l’initiative de la police. Chaque mot compte : la notion de masse et de soudaineté n’a pour seul but que l’efficacité. On ne fait pas dans le détail. Le motif de la rafle n’est jamais en sanction d’une infraction ou d’une contravention : c’est ce que vous êtes qui vous expose.
L’année 42 d’ailleurs fut un grand moment d’efficacité pour l’Etat vichyste car c’est l’année où la zone libre disparut, le régime pétainiste pouvant s’étendre sur l’ensemble du territoire.
Ces dernières années, cette mémoire qu’il fallait conserver et transmettre avec pédagogie à des générations menacées par l’oubli ou la relativisation, fut souillée par des commentaires visant à changer de regard sur cette tragédie en soulignant le fait qu’il ne s’agissait « que » de juifs étrangers.
Si le beau et triste documentaire de David Korn-Brzoza diffusé récemment sur France 3 rappelle ce que furent les faits, il faut rajouter que dans l’Histoire de la Shoah, si on peut employer ce mot, les nazi n’ont pas fait dans le détail.
Dans l’horreur du système raciste d’Etat, de hiérarchisation des gens selon leur religion, leur ethnie, leur état de santé, leur orientation sexuelle ou leurs opinions politiques, ceux qui étaient considérés comme impurs se retrouvèrent, quand ils ne purent s’échapper ou quand ils ne furent pas assassinés, dans des camps de concentration ou d’extermination.
Des rafles, il n’y en eut pas à Paris seulement, même si évoque le Vel d’Hiv régulièrement.
La première, c’est celle qu’on a appelé la Rafle du billet vert, le 14 mai 1941, à Paris, parce que les personnes raflées, venues d’Europe centrale et orientales, devaient présenter un billet vert.
La deuxième a lieu le 20 août, notamment dans le onzième arrondissement de Paris toujours.
La troisième, le 12 décembre. Les Français juifs ne sont pas épargnés par ces premières rafles. Ce même mois, une grande rafle a lieu à Tunis.
Si la demande est allemande, ce sont bien des policiers et des gendarmes français qui obéissent au gouvernement de Laval qui donne les ordres.
Quand la Rafle du Vel d’Hiv est décidée, les nazis ont déjà décidé d’appliquer la sinistre « Solution finale » et il n’est pas permis de douter qu’au sein des autorités françaises, « on savait » où allaient les trains.
A l’été 42, même en zone libre, il y a des rafles.
1942 fut l’année la plus sombre car ce fut le moment où il eut le plus de rafles.
Avant le Vel d’Hiv, l’indifférence des Français domine. Après le Vel d’Hiv, elle décline et les actes pour sauver des familles se multiplient.
80 ans après, on est entré dans une phase, depuis longtemps, dans laquelle, les derniers témoins disparaissent et où la répétition de la tragédie, indispensable dans la transmission, ne suffit pas.
Oui, il y a des sujets sur lesquels, le but n’est pas d’être « original », « décalé » ou transgressif à moins qu’on prouve que cela apporte quelque chose de plus au travail qui consiste à honorer les victimes et à maintenir vivante la vigilance face à la barbarie.
Si les nazis qui ont théorisé l’antisémitisme d’Etat étaient des fanatiques, il y eut des juristes rigoureux pour traduire dans le droit allemand, cet antisémitisme avec les Lois de Nuremberg, comme il y eut en France, des parlementaires, conscients des idées de Pétain et de ses soutiens pour lui voter les pleins pouvoir en 1940.
Dans les rangs de la police française qui fit cette sale besogne, il se trouva des gens honnêtes, qui n’étaient pas tous antisémites, et qui croyaient juste de faire leur devoir en fermant les yeux. On imagine que parmi eux, il se trouva des résistants, après 42 ou juste en 44, des fonctionnaires qui ne comprirent pas tous, sur le moment ce que représentait cette rafle.
Nous sommes aujourd’hui instruits de l’Histoire, des archives, des témoignages, des interprétations des faits et surtout des conséquences de ces terribles décisions.
Nous savons aujourd’hui combien de petits gestes eurent des suites heureuses ou fâcheuses.
Habitant du 19e arrondissement de Paris, je me suis toujours posé cette question : nous vivons avec des gens de tous origines. Serions-nous, par temps d’épreuves, les gardiens de nos frères ? Ou bien, pour notre tranquillité, nous préférerions tourner la tête ?
En cet 80e anniversaire, nous nous souvenons, nous honorons, mais dans nos actes, notre rapport à l’Autre et nos choix, notamment politiques, quels enseignements en tirons-nous ?
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