La semaine sanglante de janvier 2015 a marqué à vie des familles de nos compatriotes. Des familles de journalistes, de policiers, des familles juives directement meurtries, et également toutes ces familles des proches, collègues, voisins, amis d’enfance. Il faut aussi y associer ces personnes qui n’auraient pas imaginer qu’un jour, un de leur enfant ou copain dérive vers cette barbarie et devienne un meurtrier.
Ce dimanche-là, plusieurs millions de Français ont défilé dans plusieurs villes du pays dans un esprit de concorde pour dire à quel point ils étaient déterminés à démontrer aux terroristes et aux dingues de tout poil que la France, pays des libertés, en avait connu d’autres et que rien ne la ferait changer, surtout pas la peur ou le fanatisme religieux.
Jamais la France – même au moment de la Libération – n’avait vu une telle marée humaine.
Ce moment d’histoire, a pourtant été assez vite « dilué » dans ces polémiques qu’on affectionne dans notre pays où rien n’est jamais sacré bien longtemps.
D’abord quand certaines voix que la ferveur nationale ne convainquait pas, ont voulu absolument donner une importance capitale à ceux qui n’était « pas Charlie » ou qui étaient absents. Mathématiquement, cela fait une majorité de Français… Mais cette volonté de ne pas se satisfaire du consensus ne s’accompagnait pas de propositions pour l’élargir et le prolonger. Comme souvent, il s’agissait de pointer du doigts les déviants ou les indifférents.
Ce type d’attitude est dominant aujourd’hui et on le voit parfaitement avec les réseaux sociaux.
Dans une discussion entre amis ou au cours d’un dîner de famille, il se trouve toujours quelqu’un pour se distinguer et penser différemment de l’avis général. C’est bien normal, même quand il s’agit en réalité de faire son intéressant, de titiller, de provoquer ou de questionner les arguments de ceux qui font écho au consensus.
Depuis l’invasion des réseaux sociaux, c’est devenu une nouvelle forme de snobisme, voire de conformisme, que de pointer aussi la différence. Il y a toujours un « oui mais » qui s’invite ici et là pour relativiser, contester ou assombrir.
Qu’on ne s’y trompe pas, la question n’est pas de militer pour l’unanimisme, mais de critiquer ces penchants pour la division qui ne débouchent sur rien.
Déjà dans la marche parisienne du 11 janvier fut critiquée parfois la présence de chefs d’Etat et de gouvernement qui n’étaient pas jugés fréquentables, mais la question n’était pas là : il s’agissait de montrer que la France n’était pas seule et que des représentants d’autres peuples étaient avec nous dans cette épreuve car les citoyens de ces pays n’étaient pas indifférents à notre douleur.
Depuis, il s’est passé des événements en France qui la laissent, sept ans après, profondément divisée, plus qu’elle ne l’était avant d’ailleurs. Le moral est au plus bas et la crise sanitaire mondiale tenaille la planète depuis le début de l’année 2020. Le mouvement des Gilets jaunes illustre bien ce sentiment de défiance et d’errance et de contestation de tout par tous.
Face aux événements de 2015, il fallait avoir le sens de l’Histoire pour saisir ce qui se déroulait dans ce qui était notre 11 septembre 2001. Le débat dans le pays portait sur la façon de maintenir nos libertés et notre démocratie tout en accroissant les moyens de notre sécurité.
D’un côté il y avait ceux qui se lançaient dans un concours Lépine des mesures sécuritaires les plus tape à l’œil et les plus liberticides et de l’autre, ceux qui refusaient une société de la surveillance quitte à, quelques années plus tard, se perdre dans des déclarations ambigües à l’égard du terrorisme islamiste…
Et puis, il y avait ceux qui devenaient des défenseurs de « Charlie » sans avoir jamais été libertaires ni anarchistes, obsédés qu’ils étaient par l’islam, incapable, là encore, d’imaginer, au-delà de la dénonciation, les moyens de l’intégration.
« L’esprit Charlie » ou celui du 11 janvier consistent plus à chérir la liberté, l’égalité et la fraternité, en moquant les bigots et les réacs et en pratiquant l’ouverture que le repli sur un registre de l’entresoi parfois « petit bourgeois » qui veut se protéger alors qu’il pourrait « évangéliser » et propager les idées d’une République sociale qui émancipe.
L’universalisme dont on parle beaucoup n’a pas toujours le même sens pour celles et ceux qui doivent toujours justifier qu’ils sont de bons français du fait de leur patronyme ou de leur religion supposée. C’est un fait.
Le lepéno-zemmourisme est bien installé dans notre pays. Il n’a peut-être pas assez de signatures pour concourir à l’élection présidentielle, mais il a une chaîne de télé et une radio pour asséner aux Français ces idées dangereuses qui consistent à réhabiliter subrepticement ceux qui furent les ennemis de la République et beaucoup de média, pour faire de l’audience, pensant que « c’est l’actu » y donnent écho. Comme s’il n’y avait pas de vrais sujets comme on dit de nos jours…
Mais le but ne doit pas être de déplorer le fait que l’esprit du 11 janvier soit écorné ou affaibli. Il s’agit plutôt de se demander comment le raviver.
Evidemment dans le souvenir – il n’y aura jamais eu de rituel républicain populaire pour maintenir vivace cette journée où le pays a fait bloc, avec le temps c’est devenu une journée d’hiver comme une autre. Probablement qu’il faudra imaginer quelque chose. Dans les écoles, sur les lieux de travail, dans les médias et aussi sur les murs de nos villes, sans oublier évidemment les média.
Mais surtout dans le récit qui se construit quotidiennement. Ah bien sûr c’est très à la mode de transgresser et d’être « disruptif », à tel point d’ailleurs que c’est devenu finalement assez commun. Cependant, au lieu de donner du sens à ce qui est insensé parce qu’insignifiant, peut-être faut-il trouver comment on redonner au pays confiance en lui, en cessant ce dénigrement, ce pessimisme et ce masochisme permanents qui abiment tout et interdisent tous les espoirs.
C’est une nouvelle utopie que celle qui consiste à réactiver ce qui fait la grandeur de ce pays face aux blasés, aux cyniques et aux moqueurs !
On parle beaucoup de citoyenneté, mais dans un esprit de défiance à l’égard du monde des militants politiques ou syndicaux. On parle beaucoup de « société civile », mais dans un esprit de « pureté » par rapport au travail partisan d’organisation de la vie démocratique que rien ne peut remplacer.
Il y a beaucoup de forces déterminées à saper ce qui fait la République et d’esprits disponibles pour se laisser abuser. Le vrai patriotisme est peut-être à ressortir avec cet esprit combattant celui de 1789, de 1848, de 1936, de 45 ou de 68 : la défense de la démocratie et la conquête de nouveaux droits… L’émancipation, encore et toujours, face à l’obscurantisme et la violence.
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