La structuration, en fin de quinquennat d’un parti de la gauche macroniste, qui revendique « en même temps », son appartenance à la majorité présidentielle et à la social-démocratie, nous interroge sur le parcours de ces hommes et de ces femmes qui, comme ceux qui ont déserté le PS pour aller à Génération.s, la France Insoumise ou Europe écologie les Verts, ont basculé vers La République en Marche, tout en proclamant, qu’ils demeuraient de gauche.
En se tournant vers Macron, ils n’ont pas seulement tourné le dos au PS, ils ont aussi tourné le dos à la gauche.
Du quinquennat de François Hollande, il ne faudrait pas retenir que le bilan du gouvernement et n’en fait une lecture unique, sous la pression d’une presse qui n’a jamais aimé la gauche au pouvoir, d’une droite qui a toujours considéré la gauche illégitime à gouverner ou de gauches radicales et écologistes qui considèrent toujours que le PS trahit dès le premier jour. Il faudrait aussi retenir cette propension extraordinaire qu’ont eu les socialistes à tirer contre leur camp chaque fois qu’il fallait faire preuve de solidarité.
Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, Benoît Hamon avait une excellente formule disait « il y a toujours un socialiste pour être d’accord avec Sarkozy », mais il ignorait qu’à partir de 2012, il se trouverait toujours un socialiste prêt à aller sur un plateau de télévision ou sur les réseaux sociaux pour cogner contre son propre camp, même sans raison.
Se distinguer c’était cogner, au point que les adversaires politiques du PS n’avait plus à se donner tant de peine.
Frondeurs et aile droite du PS étaient devenus des alliés objectifs : deux trains lancés à folle allure l’un contre l’autre sur la même voie. Ligoté sur les rails, le Parti socialiste, la gauche et la France, devenus des paillassons et les victimes collatérales de cette guerre imbécile des égos dont la violence n’avait d’égal que la médiocrité de beaucoup des protagonistes, véritables enfants gâtés de la gauche au pouvoir.
Passé la primaire de 2016, François de Rugy et Manuel Valls ne tinrent pas leurs engagements et beaucoup, prirent prétexte de la victoire de Benoît Hamon pour filer chez Macron. L’un nourrissant l’autre, Hamon se repliait sur lui-même, ses amis confondant la France avec une coordination étudiante, tenant à distance ceux qu’ils avaient la responsabilité de rassembler. En face, vexés d’avoir été battus dans une primaire où ils n’avaient pas tant combattu que cela, refusant d’être minoritaires, refusant même de peser pour montrer qu’ils pouvaient être utiles, voire indispensables, du fait de leur expérience, beaucoup, crânement, jetèrent le bébé avec l’eau du bain, punirent le PS en voulant punir Hamon.
Mais l’arrivée de troupes importantes dans la Macronie ne pouvait passer inaperçu. Certains croyaient sincèrement pouvoir revivre l’aventure Strauss-Kahn par procuration, oubliant que l’Histoire ne repasse pas les plats ou que lorsqu’elle se répète, c’est d’abord une tragédie, puis une farce.
De plus, il n’était pas question non plus de laisser se reconstituer les classiques du PS : un courant, des logiques d’appareil et l’intention de peser sur Emmanuel Macron afin que le progressisme proclamé dans les mots soit un progressisme appliqué dans les faits.
D’ailleurs, l’expression tardive d’une aile gauche organisée en est la preuve, alors que dès le début, Macron avait assumé son ancrage à droite. D’abord par le choix de ses ministres les plus importants, Edouard Philippe, Bruno Le Maire, Jean-Michel Blanquer, Gérald Darmanin. Ensuite dans ses arbitrages : tant sur les personnes que sur les mesures, Macron a toujours tranché à droite.
Dans des textes précédents, nous avions dit que la clarification de LREM sur l’échiquier politique se ferait par l’Europe et c’est ce qui s’est passé. Le groupe Re New, ex ALDE regroupe bien le centre droit européen, avec les populistes tchèques ou le parti de Charles Michel qui dirigea la coalition gouvernementale la plus à droite et la plus antisociale qu’a connue la Belgique.
Par mauvaise conscience, les gens de Territoires de Progrès affirment qu’ils sont sociaux-démocrates. Probablement, mais alors, plutôt à la portugaise ou à la brésilienne !
Quelles sont leurs victoires depuis 2017 ? L’assurance chômage ? La loi « asile immigration » ? La casse de l’école ? L’affirmation du nucléaire ? Le non-respect des engagements pris lors de l’accord de Paris sur le Climat ?
La social-démocratie, ça n’est pas « une gauche allégée » qui passe plus de temps à lutter contre la gauche radicale que contre la droite, confondant « modernisation » et « droitisation », soucieuse de cliver le moins possible avec les libéraux conservateurs.
Ce n’est pas non plus une gauche qui renonce par nonchalance, par esprit blasé, par paresse à ce qu’elle considèrerait comme de vieilles lunes.
Ne pas se tromper d’adversaire ni de combat
La crise sanitaire a replacé au centre du débat la question sociale au cas où on l’aurait oublié. Le mouvement des Gilets jaunes posait la question du pouvoir d’achat et l’opposition entre écologie et social. Une partie de la droite a trouvé des diversions en mettant le paquet sur l’immigration, faisant, comme toujours, de l’immigré – de préférence musulman – le bouc émissaire de tous les maux de la société.
Les plus riches se sont enrichis, les plus pauvres se sont appauvris, la culpabilisation des chômeurs demeure une vieille habitude et le projet éducatif n’est plus inclusif.
C’est là que se situe le combat car on voit bien que tout courant « de gauche » dans la majorité présidentielle sera soucieux à la fois de peser à l’intérieur d’une structure qui subit depuis toujours l’hégémonie des conservateurs libéraux et à l’extérieur où s’agira de se substituer au Parti socialiste…
Or le Parti socialiste, par les succès remportés dans les territoires, a enregistré plus de progrès électoraux que l’aile gauche de la macronie sur le plan de la politique gouvernementale…
S’il a fallu attendre quasiment la fin du mandat d’Emmanuel Macron pour tenter l’affirmation d’une aile gauche, c’est bien qu’avant, les illusions demeuraient tenaces.
Mais ils sont nombreux les déçus de la Macronie qui regrettent que le Président de la République les ait contraints à un centralisme technocratique, refusant le développement de LREM en vrai parti où les militants débattent et votent.
LREM ne remplit pas la fonction dévolue aux partis d’être des espaces d’élaboration collective d’une doctrine, d’un réseau d’élus qui propose formation et animation.
En voulant bâtir un « nouveau monde » y compris s’agissant des organisations politiques et de la façon de militer, Emmanuel Macron n’a pas voulu s’intéresser à cette partie essentielle de la démocratie et, parce que le pouvoir isole et que la nouveauté ne dure pas, LREM fut confronté très tôt aux contradictions de la régulation démocratique de toute structure humaine.
Lors des élections municipales de 2020, l’aventure de Cédric Villani illustra bien ce refus de militants macronistes sincèrement désireux de « faire de la politique autrement » de céder aux injonctions d’un appareil plus enclin à verrouiller qu’à organiser démocratiquement le débat et la régulation.
Au final, depuis les élections législatives de 2017, on ne compte plus les départs du groupe majoritaire et, il y a rarement eu autant de groupes parlementaires à l’Assemblée nationale ! C
La social-démocratie sans parti n’est pas la social-démocratie
Il n’était pas question de laisser se développer au sein de LREM des courants qui rassembleraient ceux qui avaient une lecture commune du projet macroniste ou qui voulaient le faire évoluer vers la gauche ou vers la droite.
Cela a débouché sur une organisation – le groupe parlementaire comme le gouvernement – dont les expressions mises bout à bout ne permet en rien d’y trouver une quelconque ressemblance avec l’idée qu’on se fait de la social-démocratie, réelle ou rêvée.
Pourtant, dans la marche aux élections européennes, LREM a fait une tournée des partis sociaux-démocrates pour tenter un débauchage continental qui a échoué.
Les amis d’Emmanuel Macron ont mesuré qu’en Europe, la notion de parti demeure essentielle, quoiqu’on en pense et que les seuls cas où des partis-entreprises articulés autour d’une personnalisation assumée existent, ils sont populistes ou éphémères.
Les socialistes défroqués partis à En Marche ! ont donc mis quatre ans avant d’atterrir. Les intentions de quelques uns avant cela ne débouchaient pas. Probablement pour des questions de leadership, de crainte d’être « sanctionnés » et d’être coincés dans une impasse : celle de leur espace entre LREM et un Parti socialiste qui refuse de disparaître.
Aurélien Taché a rompu très tôt en franchissant, avec plus de courage que les autres, un cap. Mais son parti, les Nouveaux démocrates ne pouvait être cet espace social-démocrate car il est trop faible pour représenter autre chose qu’un ralliement personnel au PS. A trop chercher à peser, il aura, en à peine deux ans, godillé dans des contradictions trop lourdes pour demeurer crédible : renouer avec le PS, défiler avec Mélenchon pour finalement soutenir Jadot à l’élection présidentielle. Evidemment, le sectarisme de ses anciens camarades n’aide pas, pas plus que l’empressement.
La social-démocratie a toujours besoin d’un parti pour la porter. Elle s’est toujours organisée autour d’un parti structuré, appuyé sur un mouvement organisé des travailleurs. Ainsi, elle s’enracine dans la société, le secteur productif, les milieux intellectuels, les forces sociales et les territoires.
Cette précision permet d’assumer une dimension « de gauche » et « socialiste » au lieu d’un vague « progressisme » qui est aussi bien une manière d’être de gauche sans être socialiste, que ne de pas assumer qu’on est de droite…
Les dirigeants de Territoires de Progrès sont donc dans une contradiction dont ils sont condamnés à sortir pour être crédibles et avoir un avenir et pour que leur trajectoire ne se termine pas par des regrets. Ce qui ne trompe personne non plus c’est l’idée qu’aux ralliements individuels des années 2016-2017, succéderaient, cette fois dans la tête de certains, des ralliements collectifs en prévision d’une réélection annoncée de Macron en 2022, mais alors, TDP verrait son noyau fondateur submergé…
En attendant, les fondateurs et animateurs de TDP doivent répondre à des questions idéologiques et stratégiques essentielles : celle de la définition politique et celle des alliances car face au bonapartisme macronien qui impose un parti lié à la personne du Président, il n’y a d’espace social-démocrate possible autrement que dans un parti croupion qui ne peut que servir de caution sans tromper personne et dont les membres ne peuvent être que des faire-valoir.
C’est quoi une aile gauche dans un système présidentiel dont l’idéologie tire à droite ? N’y a-t-il pas un peu trop de couleuvres à avaler dans un environnement qui s’est finalement mué en nid de vipères ?
En bons sociaux-démocrates, ne doivent-ils pas prendre appui sur un syndicalisme réformiste donc on a constaté plusieurs fois qu’il avait été ignoré puis trahi par le pouvoir depuis 2017 ?
Comment appréhender la question de l’unité avec le Parti socialiste – sauf si ces personnes ont décidé de rompre avec l’héritage de Jaurès, de Blum, de Rocard et de Mitterrand ?
C’est à eux d’apporter les réponses. Pendant ce temps, ceux qui ont décidé de garder « la vieille maison » ont l’obligation politique et morale de relever le drapeau par l’apport de réponses utiles au Français. Pour cela ils peuvent compter sur la détermination d’hommes et de femmes qui n’ont cédé ni au cynisme ni à la résignation.
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