Je livre ici une contribution aux réflexions sur les métiers du politique à un moment où ces formes d’activité ont fortement évolué, et où leur compatibilité avec le reste du monde du travail salarié est un enjeu pour tout projet de beaucoup de reconversion professionnelle.
Du militant au permanent
D'une manière générale, les métiers du politique sont mal perçus alors que en réalité ils sont essentiels au fonctionnement démocratique d'un pays car ils sont le chaînon manquant entre le travail des élus et responsables politiques choisi par les électeurs et le travail des militants politiques bénévoles qui s'implique en fonction de leurs envies et de leur disponibilité.
Cela se rapproche pas mal de ce qui s’impose de plus en plus dans le pays comme activité professionnelle, à savoir l’économie sociale et solidaire. C’est un secteur productif, d’idées, de projets d’organisation institutionnelle ou sociale qui a un impact sur l’économie du pays, la manière de produire, de penser l’éducation, la culture, les secteurs de l’innovation ou du développement durable et de la solidarité internationale, sans oublier les milieux industriel, agricole ou ceux de la santé.
Entraînés par la désaffection à l’égard du politique, les permanents sont perçus comme des privilégiés, des protégés et des personnes qui échappent aux règles élémentaires d’exigence du résultat car on ne pense qu’aux avantages de leur métiers quand il faudrait observer les inconvénients, les souffrances et les conséquences d’une règle bien connue selon laquelle, « les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés ». Rapportée au monde politique, et cela vaut aussi pour les assistants parlementaires ou collaborateurs d’élus dans les collectivités locales, l’exemplarité dans la relation de travail « patron-employé » n’est pas vérifiée partout… Mais c’est un autre débat.
Qu’est-ce qu’un « permanent » ?
Comme son nom l’indique, le permanent fournit en « permanence » du temps et ses ressources intellectuelles, techniques ou physiques à une organisation – politique, associative ou syndicales.
A la différence des entreprises, les organisations « militantes » comptent sur des masses - de moins en moins nombreuses d’ailleurs – d’hommes et de femmes qui donnent gratuitement de leur temps pour le travail de développement, d’élaboration et de diffusion du message de l’organisation. Mais ces militants n’ont pour seule contrepartie, la satisfaction de travailler pour une cause, une idée, une organisation.
A moins d’être dans une organisation révolutionnaire ou radicale, il n’est pas aisé d’exiger d’eux un temps supérieur à celui qu’ils pourraient donner de leur plein gré. Les notions de « devoir », de « tâches », voire de « discipline » ne sont plus de saison.
Dans la mesure où il y a des tâches administratives ou d’ordre logistique qui demande un soin, permanent, une organisation qui en a les moyens matériels, recrutera, contre rémunération, des militants qui seront donc lié par une relation professionnelle, en plus du lien militant.
Un permanent est donc un individu qui vend sa force de travail à l’organisation au sein de laquelle il milite.
On notera que nous établissons un lien « de facto » entre le salarié et le militant qu’il est sensé être pour être permanent. Mais ce lien n’est pas naturel et il n’est pas non plus défendable en termes juridiques : on ne peut pas, dans une offre d’emploi, exiger qu’un candidat soit au préalable ou à terme, membre de l’organisation. Mais le lien moral entre salarié et convergences de vue avec l’organisation peut être vérifié car il est toujours souhaitable que tout salarié se reconnaisse dans le projet de son employeur.
Des métiers de la polyvalence
Plus une organisation militante dispose de moyens pour recruter des permanents, plus elle peut choisir des profils spécialisés. Mais, en général, la polyvalence est une qualité recherchée chez des permanents.
Par exemple, la maîtrise de tâches « techniques » comme l’organisation d’un événement de type réunion publique ou manifestation, la capacité à travailler en équipe, dans l’urgence, sous pression. Savoir parler en public, fabriquer de toutes pièces en quelques heures des argumentaires, des articles, des tracts, des affiches ou des banderoles, bref, des techniques de communication élémentaires.
Des tâches intellectuelles également comme l’esprit de synthèse, la capacité d’analyser, de « problématisation » d’un sujet pour en tirer les outils utiles à une controverse ou une campagne d’opinion.
Un esprit de veille qui permette de suivre l’actualité, de s’informer en dehors des seuls réseaux traditionnels ou dominants…
Enfin, une bonne connaissance de l’environnement politique, social, institutionnel ou économique dans lequel on se trouve pour savoir anticiper, s’adapter et agir.
Professionnaliser sans dépolitiser
Depuis la formation des partis, pour la préparation et le déclenchement des grands bouleversements qui devaient advenir : grève générale, révolution ou insurrection, il fallait s’y préparer et l’hyperactivité militante avait donné naissance à la notion et la fonction de « révolutionnaires professionnels » qui consacraient l’essentiel de leur temps à ces tâches d’organisation et d’agitation.
Au-delà de la mythologie, il fallait bien préparer les organisations à la conquête du pouvoir ou à l’administration de celui-ci.
Si on prend le cas des syndicats, les ouvriers qui le constituent, ne pouvaient pas prendre sur leur temps de travail pour développer l’organisation.
C’est une des conquêtes importantes du XXe siècle qui permet aux syndicats de disposer de locaux quand c’est possible pour tenir des permanences dans les entreprises et un aménagement du temps de travail pour les délégués syndicaux.
La politisation est un sujet important mais limité. Autant il n’est pas légal d’exiger d’un candidat à un poste qu’il soit adhérent de l’organisation pour laquelle il désire travailler, autant il est important de maintenir, par une offre de formation, un degré de « conscience » ou un sentiment d’appartenance aux valeurs que véhicule l’organisation qui recrute.
Mais il y a évidemment eu des dérives qui ont terni ces métiers. En effet, ils ont longtemps été perçus comme des planques pour militants trop zélés qui avaient sacrifié leurs études ou leur vie professionnelle, pour des proches de dirigeants politiques qui casaient ou recasaient les leurs quand il ne s’agissait pas de faire « œuvre sociale » en faveur d’une personne que personne ne pourrait recruter…
Si l’univers des organisations militantes a connu, ou connait ces cas, il n’est nullement le seul dans ce domaine et la grande masse des permanents ne correspond pas à ces profils.
En revanche, les partis, confrontés à l’épreuve du pouvoir, les syndicats confrontés à la baisse de la syndicalisation et le milieu associatif soumis à l’exigence de résultat venu de citoyens qui s’engagent pour des causes « concrètes », ont connu à partir des années 2000, une évolution importante et qui consistent en une série de mutation qu’il fallait accompagner.
C’est aussi la fin de l’activisme militant hérité des décennies où le fond de l’air était rouge, ce temps où « tout était politique » et où tout était idéologique.
L’activisme militant désigne une implication totale en soi. Le fait de ne pas atteindre un objectif étant attribué soit à une implication insuffisante, soit à des conditions extérieures qu’un discours idéologique peut toujours justifier.
Cette tendance a diminué dans les grandes formations car la confrontation au réel était plus convaincante que la dialectique.
L’exercice du pouvoir a contraint à acquérir des compétences pour des tâches qui dépassaient les seules tâches militantes : quand il faut « gérer » une commune ou travailler au sein d’un cabinet ministériel, les compétences militantes ne suffisent pas et surtout, elles ne se substituent pas à un savoir-faire éprouvé par des années au service du public dans une collectivité ou une administration.
D’ailleurs, la convention collective adoptée par le Parti socialiste à la fin des années 70, s’inspirait très fortement du modèle d’une collectivité locale avec son système d’échelons, d’indices et la division du parti en services avec la tenue d’une commission mixte paritaire (CMP) pour les évaluations, les revalorisations et les évolutions notamment de salaires.
La montée de la technique et du poids des experts ont conduit au fil du temps à une inversion des recrutements, ici chez les dirigeants politiques : un responsable sorti de l’ENA sans culture politique ni expérience militante avait autant de chance sinon plus de devenir un dirigeant du parti qu’un militant peu diplômé mais doté d’une solide expérience et d’un carnet d’adresse qui en imposait. En termes notamment de fidélité ou de ténacité dans les difficultés, on a pu mesurer la différence…
Au début des années 2000 l’université Paris I Panthéon Sorbonne a créé un troisième cycle intitulé « administration du politique » qui permettait de donner un cadre scientifique à des métiers qui émergeaient qui étaient au croisement du droit public, de la science politique et des questions administratives.
Dans des pays comme l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, la Grande-Bretagne, l’Autriche ou les pays nordiques, ce que les partis fournissent à leurs salariés comme éléments de structuration et de formation les qualifie très facilement pour prétendre avec succès à des responsabilités dans les cabinets ministériels, si bien qu’au terme d’élections victorieuses, le renouvellement des permanents est facilité par des « débauchages » salutaires pour les carrières. C’est beaucoup moins le cas, traditionnellement en France pour des raisons liées au poids de la fonction publique vers laquelle, des passerelles pourraient exister par exemple en incitant, dans le cadre de la formation professionnelle (« tout au long de la vie », un slogan du PS depuis 25 ans), les permanents à un perfectionnement permanent. Mais pour cela, il faut des stratégies RH pensées et une vision positive de ces métiers du point de vue même des directions politiques.
La professionnalisation n’est pas contradictoire avec la politisation et la politisation d’un salarié ne peut être le prétexte d’une forme d’amateurisme. Elle entre parfaitement dans les objectifs de « formation tout au long de la vie » d’autant qu’on peut imaginer qu’un parti, un syndicat ou une association peuvent se penser, sans naïveté, comme des laboratoires d’un monde du travail où le bien être des salariés, leur motivation et leur développement sont des éléments importants de la compétitivité de l’entreprise – c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de se limiter aux seules performances économiques.
Mais pour cela, la « politisation » compte et cela passe aussi par des changements dans la direction des salariés.
Dans les partis, la direction est bicéphale.
Elle est administrative : des salariés occupent des fonctions de direction des ressources humaines, de secrétariat général, de chefferie ou de direction de cabinet.
Elle est aussi politique car il existe souvent des fonctions de responsable de l’organisation et de la coordination, du développement du parti.
Plus globalement, les responsables politiques, notamment, lorsqu’ils sont élus, sont aussi des employeurs. Ils formulent parfois des programmes pour le pays en termes de droits du travail, et quand ils sont parlementaires, ils votent les lois. Ce qui signifie qu’il y a un enjeu peu évoqué, mais de plus en plus incontournable à l’heure des réseaux sociaux et de l’exigence permanente de transparence, d’exemplarité.
La professionnalisation ne concerne pas que les « employés », elle concerne aussi les cadres dirigeants. Les questions de « burn out », de « bore out », de harcèlement, d’addictions ne sont pas absentes des formations politiques, syndicales ou associatives.
Le problème est que les cadres politiques qui, au sein de la direction des mouvements, assurent ce travail – bénévole – est que leur disponibilité dépend de leur emploi du temps. Quand on est élu et qu’on a par ailleurs un métier, c’est compliqué de passer le temps qu’il faut à la gestion du siège.
Quelques propositions
Si ces dernières années, l’offre de « coaching » s’est étoffée et mise à disposition de tous les employeurs, il reste la façon donc les « bonnes pratiques » sont utilisées dans la réforme de l’outil de travail étant entendu que la subjectivité de la relation « direction / employé » dans des organisations militantes.
Il faut reconsidérer dans son ensemble la force du travail des partis en y intégrant les permanents « centraux » et locaux et en y associant les collègues qui sont des correspondants naturels : les collaborateurs des groupes d’élus ou des think tanks.
Cela pourrait renforcer une communauté de travail.
Dans la mesure où la formation tout au long de la vie permet un perfectionnement permanent et que le déroulement de carrière est un enjeu stratégique sur lequel les salariés doivent pouvoir se projeter, on peut imaginer que, devant travailler avec des personnes qui sont par ailleurs des élus locaux, les permanents politiques, syndicaux ou associatifs acquièrent, au cours de leur carrière, des compétences en termes d’organisation, d’animation locale ou de gestion d’affaires publiques. On peut imaginer un accès facilité à l’information en ce qui concerne les cours de la fonction publique territoriale par exemple pour ouvrir des passerelles transparentes vers ces structures, pareil en ce qui concerne des formations diplômantes qui devraient être plus incontournables que par le passé.
Cette réflexion permet de lutter contre le risque ou l’accusation de « hors sol », de rétrécir l’espace entre ceux qui agissent pour changer la société et la société telle qu’elle est.
Lire aussi :
L’article de Philippe Aldrin, Si près, si loin du politique - l'univers professionnel des permanents socialistes à l'épreuve de la managérialisation dans la revue Politix 2007/3 (nº 79 ), pages 25 à 52.
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