Alors qu’en ce mois de mai nous célébrerons, dans des commémorations dont l’ampleur pourrait être plus importante, l’abolition de l’esclavage colonial et les victimes de la traite négrière les 10 et 23 mai prochain, juste après la fin de la Seconde guerre mondiale qui fut le moment où la haine raciale produisit son pire effet, nul ne peut nier que le racisme, dans ses expressions – verbales ou létales, demeure, bien présent dans nos sociétés, malgré l’Histoire et la mémoire.
La « nouveauté » de cette année, c’est le silence d’Emmanuel Macron qui, après ses mots sur Maurras, Pétain ou son discours sur Napoléon, n’a pas su trouver les mots pour évoquer, à l’occasion du vingtième anniversaire de la loi Taubira sur la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’Humanité et l’instauration d’une journée nationale de commémoration. Ce silence présidentiel ne provoque que peu de réactions, signe qu’il y a encore du travail à faire…
Un tel silence n’aide pas un combat antiraciste qui disparaît dans « les discriminations » où on prend soin de ne pas se prendre les pieds dans, la « victimisation » d’un côté, de l’autre le « communautarisme » de l’autre, sans oublier les « tenailles identitaires » ni le soupçon de « séparatisme ». Erreur aussi parler de « multiculturalisme » ou de « statistiques ethniques »… La liste est longue des mots « interdits » qui limitent les moyens de surmonter ce qui divise la société, surtout quand certains voudraient que nous nous indignions convenablement, avec des mots autorisés.
Simone Veil, qu’on ne peut soupçonner d’avoir été ambigüe dans ses engagements disait « au fond ce sont toujours aux faibles qu’on fait la morale tandis qu’on finit toujours par blanchir les puissants ». Voilà pourquoi, il faut, comme l’aurait dit Aimé Césaire, que « nos bouches soient la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche » car si devant l’injustice, la colère est légitime pour éveiller les consciences, il faut savoir la dépasser, pour passer de la passion à l’action.
Il n’existe pas dans notre langue d’antonyme à « racisme » autre que « antiracisme ». Depuis longtemps on se contente de ce mot qui désigne le combat contre la haine et la discrimination fondée sur une appartenance ethnique, une culture, voire une religion.
Un antiracisme qui n’est pas unitaire face aux partisans des séparations ethniques, culturelles ou religieuses – qu’on traduirait par « apartheid » en afrikaans – ne peut faire de la République l’outil de l’émancipation qu’elle a toujours été.
Si le temps des plantations, de la ségrégation légale version sud des Etats-Unis ou Afrique du Sud est derrière nous, nous vivons un temps où la mémoire de l’esclavage ou de la colonisation ne doivent ni inquiéter ni inspirer la revanche.
Au passage, la question n’est pas de choisir entre Rokhaya Diallo et Rachel Khan : entre la dérangeante et la rassurante, entre la militante d’antiracisme conflictuel et la militante d’un antiracisme consensuel. Si la première ne dessine pas une voie qui rassemble, La seconde a raison de refuser une vision de l’identité qui enchaîne, mais elle sous-estime ces « nouveaux réacs », qui se déchaînenet face aux « minorités » qui ne se tiennent pas tranquilles.
Faire reculer le racisme, résoudre la guerre des mémoires et renforcer l’émancipation, consiste à trouver la juste voie entre les trois tendances dominantes : le repli identitaire, l’assimilation ou la revendication de l’égalité des droits dans le cadre de la République.
L’antiracisme c’est plus qu’aller à un dîner de potes par bonté d'âme en étant, pour certains, à l’abri des préjugés ou des discriminations que trop de Français rencontrent dans l’emploi ou le logement. L’antiracisme « universaliste » consiste à agir et à partager le fardeau des victimes de la « lutte des races ». C’est ce qu’a toujours fait le mouvement ouvrier en combattant toutes les oppressions par l’unité d’action au nom de l’émancipation.
C’est du côté de ces anciennes colonies anciennes terres d’esclaves, qu’on trouve quelques réponses. Pour survivre aux cales des bateaux négriers, aux plantations et évoluer dans la société postcoloniale, penseurs de la négritude, de la créolité et du Tout Monde ont bâti une pensée qui contient les clés pour faire sauter beaucoup de verrous.
Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau écrivaient en 2007 « chaque fois qu’une culture ou qu’une civilisation n’a pas réussi à penser l’autre, à se penser avec l’autre, à penser l’autre en soi, ces raides préservations de pierre, de fer, de barbelés, de grillages électrifiés ou d’idéologies closes se sont élevées, effondrées en nous reviennent encore avec de nouvelles stridences ». C’est là, quand l’universalisme échoue, que commence la barbarie.
Retrouvons donc la promesse républicaine en laquelle croyaient Toussaint Louverture - le bien nommé - et Victor Schoelcher ! Celle d’une libération que chantait Bob Marley, disparu il y a exactement quarante ans, quand il invitait dans Redemption song à s’émanciper de cet esclavage mental que sont le racisme, la division, la peur et les obsessions identitaires. Chacun de nous a encore beaucoup des chaînes secouer, il n’est que temps de le faire il en fait de la paix sociale et de la démocratie.
Puisque l’antiracisme n’a pas de synonyme « positif », on pourrait peut-être tout simplement envisager « fraternité » ? Essayons pour voir.
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