Que chaque année, dans les onze premiers jours de janvier, on commémore la mémoire des victimes des attentats contre Charlie Hebdo, Montrouge et l'hypercacher de la Porte de Vincennes fait sens. C'est un événement marquant dont il faut se souvenir de chaque épisode car à chaque évocation, ces événements prennent une signification ou une dimension nouvelles.
A l'aune d'un contexte qui change, d'événements nouveaux qui s'intercalent, ces trois jours qui ébranlèrent la France nous enseignent chaque année une leçon qui s'adaptent à notre temps.
En même temps, la façon dont le pays se souvient en dit long sur l'œuvre du temps. La vie continue, elle est plus sacrée que tout le reste, l'oublie menace, comme la banalisation ou l'indifférence aussi Et pourtant, ça s'est produit donc ça peut se reproduire.
Cette année, à l'invitation de mes amis à Sarcelles, j'ai bravé le froid pour assister à l'hommage qui s'est tenu dans cette ville d'où venait une des victimes de l'assassin de Clarissa Jean-Philippe qui avait poursuivi son équipée sauvage trente six heures plus tard dans ce magasin où, veille de Shabbat, des Français de confession juive venaient comme chaque semaine, faire leur courses pour ce jour de repos. Dans cette ville où est aussi élue ma collègue à la Région Ile-de-France, Isabelle Beressi, la violence antisémite est connue.
L'année qui a précédé les attentats, une manifestation anti-israélienne avait eu lieu et avait donné lieu à l'attaque de commerces tenus par des juifs.
Si la pandémie interdit les rassemblements populaires massifs et que le froid n'incite pas à sortir de chez soi, être là voulait dire quelque chose et, au delà du souvenir, de l'engagement renouvelé d'un "plus jamais çà", une question se pose à chacun de nous, élus ou non sur la façon de rendre vrai ce "plus jamais ça".
Le fanatisme fait reculer tous les tabous. On l'a vu avec l'insurrection du 6 janvier 2021 sur le Capitole à Washington. On l'a vu avec l'assassinat de Samuel Paty, premier enseignant mort en France à cause de son métier et de ses idées depuis l'Occupation.
Cette manière qu'a Histoire de nous rappeler qu'elle est tragique, il ne faut pas la prendre à la légère quand on sait qu'à tout moment, un ennemi contaminé par une idéologie de mort peut nous prendre nos êtres les plus chers.
D'ailleurs, quand on rappelle les noms des morts de janvier 2015, qui ont été ciblés - à la différence d'attentats de masse comme Nice, le jour de la Fête nationale en 2016 par exemple, on constate comme pour l'attentat de Nice, que les assassins n'ont pas fait dans le détail, mais que tout ce qui fait la France a payé. On l'a déjà dit. C'est ce que nous sommes qui n'a pas été "interpellé" ou "questionné", mais "attaqué" avec la volonté de détruire.
En revenant sur le parcours de Yohan Cohen, le maire de Sarcelles Patrick Haddad a retracé un parcours similaire en beaucoup de points :même quartier d'origine, mêmes établissements scolaires, même club de sport à vingt ans près. " Ca aurait pu être moi " dit-il.
Ca aurait pu être en effet chacun de nous. Quand on pense aux attentats, on se souvient ce qu'on faisait, où on était et avec qui lorsque l'horreur se produit. C'est aussi ce temps personnel qu'il ne faut pas oublier.
En cette année 2021, on "célébrera" le 20e anniversaire des attentats de septembre 2001. Ces attaques qui ont fait entrer le monde dans le 21e siècle, comme l'assassinat de l'archiduc d'Autriche à Sarajevo le 28 juin 1914 avait fait être l'Europe dans le 20e siècle.
On regardera, et c'est logique, beaucoup, ces événements sous la couche sédimentaire des années qui ont suivi notamment sur le plan militaire et diplomatique. Mais avant de tirer des bilans sur la guerre qu'il ne fallait pas faire en Irak ou la guerre qu'on ne pouvait gagner en Afghanistan, on doit revenir à l'essentiel : l'Histoire ne s'est pas arrêtée avec la chute du bloc soviétique.
Le combat de notre temps est pour la défense de la démocratie contre tout ce qui la mine et qui, par manque de culture, de mémoire, et, tôt ou tard de morale, en vient à justifier le passage à l'acte violent et meurtrier que rien ne peut légitimer.
Mais la question, la plus importante et donc la plus difficile, consiste à s'engager. Il ne suffit pas de rester sur son banc de touche à commenter ou à jouer les lanceurs d'alerte - nous sommes suffisamment alertés - mais à nous attaquer au problème.
C'est ce que j'appellerais le réarmement républicain : identifier, isoler, interdire ne suffit pas. Contrer par la culture, le savoir, l'intelligence, l'emploi ce qui mine notre modèle compte mille fois plus. Imposer dans notre société un modèle qui a réussi et qui est une référence, cela compte.
Sous la Troisième République, on a imposé beaucoup de choses parce qu'il fallait installer dans les profondeurs du pays et dans le cœur des Français cette belle idée de la liberté, de l'égalité et de la fraternité. Depuis, lors, il ne s'agit pas simplement de les maintenir parce que c'est la loi, mais aussi parce que ça marche.
Pour faire triompher la République, il faut des républicains convaincus et convaincants. Il faut une volonté politique de faire de la justice une réalité. Que dans chaque école, chaque média, chaque entreprise, on donne aux jeunes et aux adultes cette foi dans une société où l'origine, le patronyme, la religion ou la culture ne sont ni des handicaps, ni des privilèges car seul compte le talent et le travail et la capacité de chacun à donner le meilleur de lui-même, pour lui-même et son entourage et le pays tout entier.
L'issue n'est ni dans repli ni dans le conflit, mais dans le mouvement vers l'Autre. Pas dans la coexistence - fusse-t-elle pacifique, mais dans le vivre ensemble. Comme chantait Bob Marley, disparu il y aura quarante ans cette année... " Let's get together and feel alright ".
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