Certaines personnalités qu'on ne connaît pas personnellement nous parlent plus que d'autres. J'aimais Jean-Pierre Bacri, ce méditerranéen ombrageux, sombre parfois, mais jamais gris. J'aimais le personnage de râleur permanent, bougon, dont l'élocution moins limpide qu'un "acteur normal", n'en était pas plus percutante. Un sérieux qui me fait penser, dans un autre style à Lino Ventura... Il avait une façon particulière de prononcer les mots qui faisaient qu'ils marquaient avec une acuité plus grande encore que l'élocution d'un éloquent au verbe facile. Exigeant, critique, délicat.
Mais si on veut retenir de Bacri son côté râleur, retenons aussi pourquoi il râlait.
Il y eu Bacri, puis Bacri-Jaoui. Mais, au commencement, il y a évidemment le Azoulai du Grand Pardon, pour le coup, flambeur à la mèche, mac en veste blanche, macho et grande gueule qui se fait avoir comme un bleu, le jeunot du Grand Carnaval ou à la même époque, le Guido de Mes meilleurs copains, homosexuel qui a joui sans entrave jusqu'à ce que le sida foute la trouille à toute une génération, décimée, qui devrait apprendre à vivre avec la mort à cause d'une saloperie de virus que, 40 ans après sa découverte, on n'a toujours pas vaincu.
Comme une image d'une époque, la nôtre. Depuis les années 80, il faisait partie du décor et de nos vies. Il était de ces acteurs dont les films pourraient passer cent fois dans l'année, qu'on les regarderait à chaque fois, rien que pour le voir et l'entendre.
Désormais, on connaît la chanson, se protéger soi-même pour protéger les autres, au risque de se protéger des autres...
Bacri c'était un habitué de Canal, du temps où la chaîne cryptée ne relayait pas la haine ou le racisme. Et puis, dans les années 90-2000, quelques pièces de théâtre et des films, comme seul la France sait les faire où il croquait la société, comme avant lui Sautet ou Chabrol, avec cette acidité et ce cynisme auquel il serait erroné de le réduire.
De Cuisine et Dépendances au Goût des autres en passant par Un air de Famille et des dizaines de chef d'œuvre, Bacri ne filmait pas nos vies, il leur donnait des coups de griffes avec sentiment, ce qui évidemment nous faisait réagir, frissonner, rire, réfléchir... Mais le sort a donné un coup ultime, cette pince du crabe qui ne libère jamais sa proie.
Jean-Pierre Bacri fait partie pour moi de ces comédiens avec lesquels on vie et on vieillit, alors forcément quand ils s'en vont, on ne s'y fait pas.
Juif pied-noir, arrivé en France en 62, homme de gauche, militant antiraciste, il y avait un air de famille pour nous les gens engagés, insatisfaits, nullement blasés par l'état du monde, métèques, les basanés, les gens de gauche, les humanistes...
Bien sûr, on regardera sans cesse ses films car à l'écran on ne meurt jamais, mais vraiment, on voulait bien que le clap de fin sur sa vie viennent bien plus tard.
J'aimais Bacri.
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