Quand une figure politique décède, chacun s’en souviens d’abord personnellement, puis le resitue politiquement pour distinguer l’homme de l’œuvre ou revisiter un héritage dont l’appréciation varie forcément avec le temps qui passe et le moment dans lequel on se trouve.
Valery Giscard d’Estaing fut le premier Président dont je me souvienne. Avec Pompidou, il domina ces années 70 dont on tend à garder un souvenir attendri où, coupes au bol pour les uns, coupes afro pour les autres, sous le même pull orange en acrylique quand on était en « métropole », on entrait dans une modernité et une société qui respirait mieux.
Un voisin en Martinique avait affiché dans son garage, la photo officielle du président, unique en son genre : un format paysage, sur fond d’un drapeau tricolore tout simplement et la première sans l’habit d’apparat.
Giscard doit sa victoire à l’élection présidentielle en 1974 au vote des ultramarins et quand on allait visiter la superbe Habitation Leyritz dans le nord est de la Martinique, l’endroit maintenait la mémoire du sommet qui s’y était tenu entre Valery Giscard d’Estaing et Gerald Ford.
On a voulu voir dans ce grand bonhomme qui avait tout d’un aristocrate, un réformateur qui fit entrer la France dans la modernité. Ce n’est pas faux, mais ce n’est pas tout.
Giscard était un président de droite – au point que Chirac voulu fonder le RPR « sur la gauche » du giscardisme en prétendant incarner un « travaillisme » à la française.
Giscard a d’abord cherché à moderniser la droite en tentant de donner de la force à un centre droit qui n’a pas toujours réussi dans l’histoire à s’imposer aux puissants réseaux gaullistes, on l’a vu après quand l’UDF fondé en 1978, n’a jamais été capable de s’imposer face au RPR.
Mais Giscard a eu l’intelligence de saisir ce que la gauche avait réussi à injecter dans le pays car sans les débats sur le féminisme et les mobilisations des années 60 et du début des années 70, le rôle du MLF, du Mlac et de toute une série d'autres mouvements, la question du divorce et de l’IVG, rien de tout cela n’aurait été possible.
Le procès de Bobigny dans lequel Gisèle Halimi joua un rôle important a été décisif dans la formation des consciences.
Cette ambition de modernité là avait aussi un but tactique, contenir la poussée de la gauche et ringardiser l'autre droite. D'ailleurs, on le rappelle, sans les voix de la gauche, la loi Veil n'aurait jamais vu le jour.
Le giscardisme c’est aussi une certaine idée de l’Europe. A commencer par la relation franco-allemande qui a marqué nos mémoires. On a souvent dit que Giscard l’homme de droite et Schmidt l’homme de gauche, comme Mitterrand l’homme de gauche et Kohl l’homme de droite, ont formé les duos franco-allemands les plus inspirés et les plus inspirants de l’Histoire de l’Europe et c’est vrai. Et cet engagement a continué : en écho au discours de Joschka Fischer à l’Université Humbolt, l’Union européenne a confiné à l’ancien président cette fameuse Constitution qui devait déboucher sur le Traité constitutionnel qui est à l’origine du Traité de Lisbonne. Par-delà le vote de 2005, ce projet politisait plus et démocratisait plus et nous en profitons aujourd’hui avec un Parlement européen puis puissant que par le passé.
Mais Giscard était un moderne de droite et son libéralisme était contraint par son conservatisme ce qui a conduit à des erreurs : en termes de communication par exemple, si on peut saluer le professionnalisme de sa campagne de 1974, le slogan de 1981, « il faut un Président à la France » constitue une des grandes erreurs de la communication politique.
On pense bien sûr aussi à sa politique africaine. Si Foccart fut chassé, l’héritage Foccart ne fut pas effacé et la dérive qu’a représenté la folie de Bokassa en est l’illustration la plus folle et la plus sanglante.
Pour la gauche, les années Giscard ne sont pas des années roses : Poniatowski tient les rênes.
La réforme Haby de 1975 et la réforme Saunier-Séïté de 1976 ont mobilisés la jeunesse scolarisée et les élections municipales de 1977 qui furent un triomphe, comme les législatives de 1978 – perdues de peu - ont souligné qu’une puissance dynamique à gauche et que la vague giscardienne s’était, pour ainsi dire, échouée sur la grève…
Bien sûr, ce septennat pris en tenaille par deux chocs pétroliers, la montée des périls sur la scène internationale notamment à cause de la situation au Moyen Orient et leurs répercussions pour la première fois en Europe, constituent une toile de fond qui, avec la chute de Saigon et de Phnom Penh, la médiatisation du goulag, le procès de la Bande des Quatre en Chine, le Watergate, les premières grandes catastrophes écologiques, etc… le monde basculait vite.
Le macronisme, néo giscardisme ou post giscardisme ?
Cette question d’héritage ne nous regarde pas, mais s’il y a des leçons à tirer de cette période, de cette homme et de ce qu’il laisse c’est probablement que la modernité ne fait pas tout et que le succès des premiers de cordée n’entraîne pas par ruissellement celui des oubliés de la prospérité.
On peut noter que dans la jeune UDF comme la jeune LREM, l’apport d’une aile gauche issue du Parti socialiste a été rapidement digéré dans un ensemble de centre droit, conservateur et libéral qui n’hésite pas à être autoritaire quand il faut simplement faire preuve d’autorité.
Les années Giscard furent celles de l’union d’une gauche conquérante, en phase avec le pays. Voilà probablement ce qu’il ne faut pas, regretter, mais rééditer.
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