A Paris, comme dans de telles circonstances, ce fut place de la République. Presque tout le monde a répondu à l’appel et c’est bien. C’est ce moment où il y a tant de monde qu’on ne voit pas tous les amis auxquels on avait donné rendez-vous. C’est là où on revoit de visages perdus de vue depuis trop longtemps. C’est là où on se dit que vraiment nous sommes majoritaires dans le pays, les plus forts et ceux qui ont la loi pour eux.
Mais, et c’est là où il faut en venir, ça ne suffit pas.
C’est un combat politique, un combat culturel et un combat de société.
L’ennemi est connu, c’est le fanatisme islamiste. Celui qui fait qu’on passe des fatwas numériques aux assassinats et aux attentats. Il ne s’agit pas juste de donner un avis ou d’attaquer en ligne, mais en « live » en tuant.
Cet ennemi ne débat pas, il n’argumente pas. Il n’attaque pas en justice.
Dans les heures qui ont suivi l’assassinat de ce professeur, on a vu se dresser en même temps que l’émotion, un questionnement qui est important car il concerne toute la communauté éducative et il s’agit non pas de lancer des anathèmes et des exclusions ni de participer à l’hystérie des gens qui sont obsédés par l’islam depuis longtemps déjà.
Quand on regarde les faits, on voit que les acteurs de cette tragédie sont nombreux. Parents d’élèves, hiérarchie de l’éducation nationale, mais aussi les réseaux sociaux.
« Si désormais pour enseigner un prof doit prendre en compte non plus la seule pédagogie mais aussi sa propre survie, c’est que quelque chose ne tourne pas rond »
Cet après-midi place de la République, après avoir salué mes camarades j’ai discuté avec des enseignants et des militants associatifs et bien sûr des élus locaux.
Nous sommes tous confrontés à la même sidération : « maintenant c’est dans les écoles ».
Si désormais pour enseigner, un prof doit prendre en compte non plus la seule pédagogie mais aussi sa propre survie, c’est que quelque chose ne tourne pas rond.
La désacralisation de la figure de l’enseignant - on ne dit plus le maître depuis longtemps - ajoutée à d’autres facteurs, ajoute à la précarité qui caractérise ses métiers pourtant essentiels.
En finir avec les anathèmes improductifs
C’est commode d’instruire le procès de la gauche à bon compte. Au passage cela signifie qu’on n’attend rien de la droite...
Quand on lit bien ceux qui savaient tout avant tout le monde, c'est "la gauche qui a failli". Une manière inavouée de dire qu'eux-mêmes ont basculé car ils ne se battent pas dans les partis dont ils se réclamaient sur ces questions aujourd'hui. Un peu comme la gauche a déserté certains territoires, certaines personnes à gauche ont cessé de se battre pour se contenter de commenter et de distribuer les bons et les mauvais points. Ceci, dans la gauche radicale, une grosse erreur a été commise, que nous avons déjà relevée sur ce blog il y a longtemps : l'illusion qu'on pouvait utiliser la montée de l'islam radical pour l'instrumentaliser. Ce n'est pas d'aujourd'hui que tous les partis cherchent à utiliser la colère pour lui offrir un débouché ou pour l'exploiter. Toute l'extrême gauche n'est pas sur cette orientation, mais il suffit d'un petit calcul ou d'une compromission pour tout embarquer. C'est l'erreur d'une partie de la France insoumise par exemple de banaliser la dimension profondément rétrograde de ces milieux et à partir du moment où il y a la violence, le terrorisme et la mort, ceux qui croyaient jouer ou ruser devraient voir qu'on a basculé dans autre chose.
Ceux qui ont voulu qu'on ne fasse pas des Français de culture ou de confession musulmane les victimes collatérales du combat contre l'islam radical ou qui voulaient prévenir de ce risque sont parfois passés pour naïfs ou complices. Pourtant, l'attaque de la mosquée de Bayonne perpétrée par un ex-militant du RN constitue un sérieux avertissement.
En tout cas, c'est sous la gauche au pouvoir que l'arsenal judiciaire a été renforcé. Rappelons que les attentats de 2012 marquèrent la campagne présidentielle. L'arrivée d'Hollande au pouvoir se produisait sur un bilan accablant de la droite qui aveugla le pays par la suppression des RG, réduisant les moyens d'agir en supprimant des emplois de policiers, de juges et d'enseignants. Pour reconstituer ces forces, il faut de l'argent, du temps et de la constance.
Accuser la gauche c'est dire que Manuel Valls entre 2012 et 2017 n'a rien fait : personne ne croira à cette fable. Mais la démonstration qui en découle c'est que visiblement ça n'a pas suffit.
Car la question des moyens est évidemment importante : on peut toujours demander plus à l'Etat en termes d'éducation, de police et de justice, mais quiconque connaît les conditions de travail de ces personnes mesurera la limite du discours quand on sait que la doxa est de réduire les déficits et de faire des économies.
Rien qu'à la Région Ile-de-France où Valérie Pécresse n'a pas de mots assez durs quand il s'agit de parler de sécurité, le désengagement sur la politique de la ville, le logement social, la mixité sociale, par exemple a un bénéfice : les caisses sont pleines, et un coût, l'espace public est vide. Hors on sait le temps qu'il faut pour reconstituer une présence républicaine, j'ose dire militante, durable et compétente.
Pour autant, dans ce procès à charge, qui est aussi l’expression d’amours déçues, de gens qui ont abandonné le combat à gauche et qui disent pour certains que c’est la gauche qui les a abandonnés, on entend souvent cette expression d’islamo gauchisme.
Parce qu’en politique, il faut tenir compte de la sémantique, rappelons que ce sont les staliniens qui ont inventé ce genre d’expressions comme « hitlero-trotskistes » ou « sociaux fascistes ».
Le NKVD qui ne faisait pas dans la dentelle avec les opposants politiques à Staline ne débattait pas avec les trotskystes ou les communistes antistaliniens, il les poursuivait jusqu’au bout du monde et il les assassinait.
Durant la seconde guerre mondiale les résistants trotskystes devaient se protéger aussi bien des nazis que des staliniens. Dénoncer « l’islamo-gauchisme » avec fougue est une façon chic et branchée d’assumer la part de pensée réactionnaire qui monte dans le pays car tandis qu’on dresse des listes toujours plus longues pour les purges on n’apporte pas le début du commencement de solutions pour une République inclusive autre que l’autoritarisme. Tout cela a aussi un air des années 70 quand la droite fustigeait "le gauchisme" parce qu'elle voulait une société d'ordre. Ce discours sur l'ordre on l''entend de plus en plus chez des gens qui se réclament de la gauche et qui parlent plus de ça que de justice sociale...
Ceux qui s'en prennent à la gauche pour l'accabler de tout, n'accablent pas autant la droite donc. C'est probablement parce que depuis toujours, ils n'attendent rien d'elle dans ce domaine. Beaucoup dénoncent et accusent, peu proposent. Sarkozy n'avait pas de mots assez durs contre les barbus, pourtant, il a même laissé entrer les prédicateurs proches des Frères musulmans qui ont pu semer leur venin en tout impunité pendant des années.
Et pourtant, il faut utiliser l'élan du 18 octobre pour voir comment on agit.
On ne le fera pas efficacement en s'attaquant à tout sans rien suggérer. Les lettres de cachet, tâches noires ou les fatwas excluent, sanctionnent voire plus, mais une purge ne remplace pas un programme d'action. Certains pensent peut-être que le pays se renforce en s'épurant, mais ils se trompent car de même qu'une révolution mange ses propres enfants, quand la machine est lancée, il reste toujours un ennemi de l'intérieur à traquer. Mais la lucidité pousse à reconnaître qu'on ne sait pas empêcher cette réaction. La responsabilité politique invite à aller plus loin dans l'intelligence...
A ce stade, on peut formuler trois questions pour commencer, l'humilité poussant à mesurer ses propres limites.
Que faire, comment et avec qui ?
Si on analyse les faits antérieurs au meurtre, on découvre quelques éléments qui ne sont pas nouveaux : un cours contesté par des parents d'élèves dont l'un s'insurge en vouant publiquement l'enseignant aux gémonies. Les réseaux sociaux permettent, sans filtre, d'aller encore plus loin dans la violence verbale jusqu'à ce qu'un jeune, perméable à cette idéologie de mort, passe à l'acte.
On savait que des jeunes, harcelés sur les réseaux sociaux, n'avaient pas supporté le torrent de haine et ils avaient attenté à leur propre vie.
La dissolution n'est pas "la" solution. Pas plus qu'envoyer la police faire une démonstration de force "pour envoyer un message". Ca n'a rien de durable ni de profond. C'est un classique des idéologies conservatrices ou des penchants autoritaires d'utiliser jusqu'à la corde le thème de l'ennemi de l'intérieur et de la cinquième colonne. Le discours de "ils sont parmi nous" crée un repli quand il faudrait de l'ouverture. Un entre soi quand il faudrait s'ouvrir à l'autre. Il incite à se calfeutrer dans sa maison quand il faudrait reprendre la rue, occuper les halls et les lieux de débats.
Mais quelle peut être la stratégie pour remplacer ces réseaux islamistes ? Va-t-on à avoir un regain d’engagement de tous partout et tout le temps ? Va t’on aussi voir l’état se réinvestir humainement et financièrement ? Bercy sera-t-il mis à contribution ? Va t’on voir revenir une foi républicaine - c'est-à-dire la fin d'un certain relativisme ou d'un "bof" snob qui banalise tout - qui fait plus que condamner et interdire, mais aussi convaincre qu’elle est voie de l’émancipation et que pour cela il faut réussir l’intégration sociale et économique dans ce pays ? Pour que les barbus perdent il faut aussi qu’ils n’aient plus de cerveaux disponibles à corrompre.
C'est, qu'on ne s'y trompe pas, un débat politique. Des clivages à assumer entre ceux qui veulent la guerre civile et ceux qui veulent la concorde, ceux qui veulent que les Français de culture musulmane soient éternellement des citoyens éternellement "issus de l'immigration", et ceux qui se fichent des pratiques religieuses de leurs voisin, ceux qui préfèrent le pouvoir libérateur de l'émancipation aux carcans de la tradition.
Mais si on revient au point de départ, l'école, il faut revenir aux fondamentaux : cesser de la démanteler, cesser de la dépouiller de ses moyens et revenir à une dimension finalement assez proche de l'esprit des origines : la République est né d'une révolution, d'un mouvement puissant qui préférait les combats pour la justice à la tranquillité, qui voulait aller vers l'égalité en abolissant les privilèges, qui prônait la liberté pour tous, la sûreté également et un mot qui a disparu de nos discours depuis trop longtemps.... la Fraternité.
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