Il incarnait ce journalisme engagé, ce travail intellectuel, d’hommes et de femmes cultivés qui a nourri des débats dont la démocratie ne peut sortir que plus forte... Jean Daniel, souvent plus proche du stylo que des plateaux, n’avait jamais vraiment pris sa retraite car un observateur ne ferme jamais les yeux. Il rejoint Lacouture, Martinet, Rocard, Mendes... ses compagnons et il nous laisse une belle œuvre et une certaine idée du journalisme et de la gauche. Pour nous les ultramarins, ce parcours intellectuel et anticolonialiste nous parle.
D'une certaine manière, la gauche radicale avait Daniel Bensaïd, la gauche réformiste avait Jean-Daniel Bensaïd. Ils avaient en commun l’Algérie et la haine du totalitarisme et des conservatismes bourgeois. Beaucoup les séparaient sauf l’essentiel : bâtir un monde juste d’où la misère serait bannie. Ils étaient soucieux des combats sur la scène mondiale. Évidemment ça fait un peu « old school » mais pour ceux qui préfèrent la gauche des livres à celle des tweets ça fait sens.
Cette génération de journalistes allait au feu. Elle avait connu la Résistance, lui-même avait été blessé à Bizerte dans les combats qui s'étaient déroulés au moment de la fameuse crise qui avait opposé la Tunisie à la France. Et puis, il avait choisi cette gauche - cette petit gauche comme on disait à l'époque - qui n'était ni stalinienne, ni trotskyste ou maoïste, mais pas non plus celle qui avait accepté trop vite la Cinquième république après avoir choisi une forme de mollesse dans "les événements d'Algérie".
Il était ami de Mitterrand, mais il savait ce qui les opposait.
Aujourd'hui, bien sûr, on comparera un Jean Daniel aux journalistes ou éditorialistes de notre temps dont la pensée ne résiste pas au zapping permanent et on soupirera au "bon vieux temps" où on prenait le temps de méditer en politique, quand les journalistes n'étaient pressés ni par les aléas du direct, les impératifs de l'audimat et les parts de marché. On regrettera la crise de la presse écrite etc.
Mais on pourra aussi se hisser un peu à la hauteur de ce grand monsieur en acceptant d'exiger - qui à passer pour un élitiste hors sol - que la presse serve bien sûr à informer, mais aussi à s'engager : une presse qui soit le travail de gens cultivés, curieux et qui puissent, le cas échéant, s'engager pourquoi pas.
Quand on ouvrait le journal il y avait sa bafouille, qu'on l'apprécie ou non, d'une certaine façon, vers la fin de sa vie, il était une sorte de témoin - le journaliste savait qu'il n'était pas dans n'importe quelle publication.
L'Observateur ne fut jamais un journal qui se contentait d'observer, il incitait à agir.
Ces condoléances à la rédaction de l'Obs sont aussi un moment de reconnaissance, on l'aura compris, venant d'un militant de gauche.
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