Le 27 janvier 1945, l’Armée rouge, au cours de sa progression vers l’Allemagne, pénétrait dans le camp d’extermination nazi d’Auschwitz en Pologne. Le monde entier découvrait au fur et à mesure de l’avancée des Alliés, que les horreurs de la guerre totale que fut le second conflit mondial, en cachaient d’autres, celles d’un génocide sans précédent, dans toutes ses caractéristiques.
Le régime nazi entre 1941 et 1945 avait mobilisé toute une économie et toute une technologie à l’extermination de masse, à un niveau industriel, de millions de personnes.
A côté des mauvais traitements infligés à des prisonniers et d’un esclavage massif, il y eut l’éradication méthodique de personnes non pas à cause de leurs opinions, mais à cause de leur orientation sexuelle, parce qu’elles était tsiganes ou juives.
On n’était plus dans la folie meurtrière de quelques bandes fanatiques ravageant un pays et pillant, violant ou massacrant, là les nazis avaient bâti un système cohérent dans lequel, la fonction des camps était d’être des centres de mise à mort, des usines où on fabriquait des cadavres.
Même si on savait que les nazis massacraient les juifs dans des camps, il fallut voir ces camps pour mesurer l’ampleur de l’horreur et une des premières conséquences de la prise de conscience universelle fut la construction de la notion de « crime contre l’Humanité ».
On sait aussi qu’il fallut plusieurs années, le travail des historiens et une prise de conscience collective pour que ce qui se passa dans les camps nazis durant la deuxième guerre mondiale fasse son œuvre, contre le silence et l’oubli avant que, très vite, la banalisation voire la négation montrent que cette vérité n’était pas reconnue par tous.
Depuis 1945, il y a eu d’autres génocides, preuve qu’aucune leçon n’a été tirée de ces années terribles. On découvrit aussi qu’avant 1945, rien qu’au vingtième siècle, il y eu au moins deux « précédents » dans le génocide dont les nazis avaient gardé un souvenir, dans le Sud Ouest africain contre les Herrero, en Anatolie contre les Arméniens. Mais, là encore, il fallut des individus comme Heydrich ou Eichmann pour mettre en actes avec toute la logistique nécessaire ce qui avait été pensé par Hitler et Himmler.
Pourquoi faut-il se souvenir ?
A l’épreuve de la mondialisation, d’une plus grande diffusion des savoirs, mais aussi de la relativisation de tous les tabous, trois quarts de siècle après, la disparition progressive des derniers témoins et l’irruption des réseaux sociaux dans le rapport que nous avons au monde en général et à l’information en particulier oblige à actualiser la façon dont, quand nous sommes de simples citoyens, des militants ou des responsables politiques, nous entretenons et nous transmettons cette mémoire.
Je suis de cette génération née dans les années 70 qui a connu les premières évocations télévisées de la Shoah avec la série Holocauste et le documentaire fleuve de Claude Lanzmann, cette génération qui a été marquée par les provocations négationnistes de Jean-Marie Le Pen ou encore la profanation du cimetière de Carpentras. Déjà, sévissaient ceux que Pierre Vidal-Naquet appellait « les assassins de la mémoire ».
La traque menée par Simon Wiesenthal ou les époux Klarsfeld, les témoignages d’Elie Wiesel, Simone Veil ou Robert Badinter donnaient un prolongement aux nombreux textes que nous connaissions parce qu’on nous les faisait lire à l’école, le Journal d’Anne Frank ou un Sac de Billes.
Cette mémoire se transmettait. On pouvait débattre ou polémiquer sur la manière de transmettre, mais, la Liste de Schindler de Steven Spielberg ne fut pas ce qu’on craignait : une reconstitution hollywoodienne en Technicolor…
Et puis, la télé poubelle, les émission où le clash faisait le buzz, l’avènement de polémistes aux petits pieds qui faisaient passer les négationnistes et les antisémites d’extrême droite pour de brillants intellectuels raffinés, ont bourré bien des espaces de cerveaux disponibles et aujourd’hui, ce qui était marqué d’infamie comme une suprême insulte aux victimes et aux rescapés, est devenu une parole « libre », de gens qui s’émancipent d’une « idéologie dominante ».
Dans un mouvement contradictoire, la Shoah est ainsi devenu à la fois le crime contre l’Humanité dont on parle trop pour certains, la référence à laquelle on compare d’autres tragédies de l’Histoire pour qu’elles soient prises en compte à un niveau d’indignation « satisfaisant » - si tant est qu’on puisse le mesurer.
Dans cette confusion des mots et des esprits, le mot même de « génocide » est galvaudé.
On a du mal à reléguer la pensée molle et à ne donner de lumière qu’à ce qui à la fois honore les victimes et les survivants et qui permet de renforcer les outils d’une République exigeante et confiante en elle-même.
Chaque élu, chaque citoyen doit se saisir de ce moment pour s’interroger dans ces moments de recueillement et donner une réponse à ces questions essentielles à notre démocratie : En 2020, que faisons-nous, chacun à notre niveau, dans notre territoire pour lutter contre l’indifférence, la relégation, les préjugés ? Considérons-nous que ce qui touche certains de nos concitoyens ne nous touche pas ? Devons-nous avoir une approche « sélective » de notre capacité d’indignation ? Bref, quelle est notre détermination face à l’injustice ?
Nous sommes nourris des enseignements de l’Histoire, les sources et les témoignages ne manquent pas ; ces enseignements sont aussi des avertissements. Quel monde voulons-nous laisser à nos enfants ?
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