Le temps passe vite. Mais la semaine sanglante de janvier 2015, nous la conservons dans nos mémoires, aussi intacte que possible, nous remémorant où nous étions, ce que nous faisions, ce que nous avons ressenti. Nous choisissons de ne pas banaliser, ni relativiser pour que même le recul, ne nous éloigne pas trop de ces heures qui ébranlèrent notre pays.
Pour moi c'est encore limpide : ça commence par un tweet qui évoque des coups de feu, puis, très vite, on comprend que la rédaction de Charlie Hebdo a été massacrée.
L'arrivée au siège du PS où je me rendais est un moment de tension : il faut lutter contre l'émotion car nous sommes un certain nombre à réaliser ce qui se passe. "Notre journal", celui, des militants de gauche, libertaire, qui moquait tout, le lointain héritier de Hara Kiri, qui était réapparu au début des années 90, n'avait jusqu'ici été la cible que des procès de l'extrême droite pour "racisme anti français". Des procès que l'extrême droite perdait toujours.
Il fallait réagir politiquement. Assez rapidement, l'idée fut de réunir les partis de gauche le soir même puis de se joindre au rassemblement spontané place de la République. On ressent l'intensité du moment quand on revoit dans ces occasions des camarades perdus de vue depuis des lustres.
Dans les heures qui suivirent, on travailla a l'organisation d'une marche républicaine prévue initialement le samedi 10. Mais très vite la situation changea d'ampleur. L'assassinat de Clarissa Jean-Philippe le lendemain apparut quelques heures plus tard comme une nouvelle frappe.
Le lendemain, vendredi, je déjeunais à côté du Conseil régional avec une amie franco-marocaine. Evidemment nous commentions les événements et elle lâcha, inquiète : "il ne manquerait plus qu'ils s'en prennent à des juifs". Quelques minutes après, ce que nous redoutions se produisait dans le magasin hyper casher de la Porte de Vincennes...
Ces quelques jours, on ne les a jamais oubliés. Les réactions émues d'amis des quatre coins du monde aidaient, à se rendre compte que l'horreur était partagée plus largement qu'on ne l'imaginait.
Plus rien ne serait jamais comme avant.
Le pays a fait bloc, il a fait face, il a fait front, mais l'unité n'a pas duré. Cinq ans après, on peut dire que la censure est devenue un acte "militant". Les réseaux sociaux en sont le terrain de jeu favori. Ce n'est plus le "privilège" des milieux réactionnaires où on vote à l'extrême droite.
Beaucoup de "oui mais" se sont exprimés depuis, comme si, d'une certaine façon, assassiner parce qu'on n'est pas d'accord semblant "extrême", mais "compréhensible"...
Puis, quelques mois plus tard, à l'occasion de manifs violentes, on a commencé à entendre, dans un autre contexte : "tout le monde déteste la police". Comme si, pour rendre la lutte sociale et une vie normale, il fallait "zapper" ces journées sanglantes de janvier 2015 qu'on revivrait le 13 novembre de la même année et plus tard encore. Ce slogan, aussi con que "CRS - SS", on l'entend encore. Il ne s'agit pas d'aimer les flics, mais il ne s'agit pas non plus de les haïr. La révolution, la démocratie, ce n'est pas la haine.
Bref, le combat continue.
Si le pays s'est largement mobilisé pour la rédaction de Charlie, il a, de fait, un peu noyé l'esprit irrévérencieux et libertaire des débuts de ce journal impertinent.
Par contre, Clarissa Jean-Philippe, et ce qu'elle représente, tout cela a été un peu plus occulté. Insuffisamment évoquée dans les commémorations officielles, cette jeune martiniquaise a été ciblée par un terroriste, comme Loïc Liber trois ans plus tôt, à cause de l'uniforme qu'elle portait. Preuve qu'être noir ne protège pas plus du terrorisme islamiste que du racisme. Pour autant, les milieux "identitaires" ne se sont jamais saisis. C'est bien la preuve de leur mépris et de leur colère à géométrie variable. Par ailleurs, nous n'avons pas besoin d'eux.
Cinq ans après, nous n'oublions pas. Nous redisons notre fidélité à la liberté de la presse, la liberté d'expression et au refus de la haine.
Nous ne voulons pas non plus instrumentaliser "l'esprit Charlie" pour en faire un outil anti islam parce que "les religions on s'en fout".
Cinq ans après, il est évident que le meilleur moyen de rendre hommage à ces martyrs malgré eux, c'est de pratiquer au quotidien cet esprit critique, d'oser le débat, la confrontation d'idée et de résister à toutes les censures non pas en autorisant le n'importe quoi, mais en portant haut l'exigence de culture et de partage du savoir.
L'ignorance est l'ennemie du progrès et un danger pour la démocratie.
On ne vous oubliera jamais les gars.
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