Dans une tribune parue dans le Journal du Dimanche l'eurodéputé macroniste Stéphane Séjourné estime que pour l'actuelle majorité, la répétition d'un duel Macron Le Pen lors de la prochaine élection présidentielle serait un échec. Il a raison, mais un échec pour qui ? D'abord pour la majorité sortante qui aura été prise à son propre piège. Ce sera aussi la preuve qu'elle n'aura tiré aucune leçon de ce quinquennat d'un nouveau genre.
Pour qu'Emmanuel Macron s'impose à la droite et à la gauche en 2017, il ne devait pas seulement dépasser les frontières de ce qui fait le débat entre conservateurs et progressistes, entre libéraux et étatistes, entre partisans de l'ordre et amoureux du changement, il devait aussi compter sur la fragmentation sans précédent de l'offre politique, de la radicalisation à droite d'un candidat conservateur corrompu dans lequel la droite ne se reconnaissait plus et de l'isolement à gauche d'un candidat socialiste qui ne pouvait pas rassembler son camp puisqu'il avait trop contribué - comme son concurrent de la primaire de la Belle alliance populaire - à le diviser.
Macron était alors suffisamment libéral pour séduire une droite qui ne voulait pas être réac, mais qui voulait retrouver le pouvoir et pour pervertir une gauche qui voulait de plus d'Europe, de moins de socialisme et surtout, rester au pouvoir.
Toute la stratégie consistait à faire le vide pour n'avoir en face que Le Pen. Les médias faisant le reste. Mais, quelle responsabilité !!! Comme Chirac en 2002, Macron devait restaurer une démocratie sociale. Il n'avait rassemblé qu'un français sur quatre sur son nom, il fallait les convaincre qu'ils ne s'étaient pas trompés, ni qu'ils seraient trompés.
Au moment où Stéphane Séjourné écrit ces lignes, où en est le pays ? Dans une situation de tension qui n'est pas un élément isolé. Même si ce n'est ni de même intensité ni dans le même contexte historique, admettons quand même que les tensions sociales accumulées dans le pays s'inscrivent bien dans un climat social mondial très tendu qui questionne la démocratie, l'Etat de droit et la planète : Hong Kong, le Chili, l'Equateur, l'Algérie, le Liban, l'Iraq, l'Iran, ça bouge...
En Europe même, ca tangue.
Qualifier de "cynique" l'opposition entre nationalistes et progressistes revient à critiquer la stratégie présidentielle qui a précisément pris appui sur cette opposition, sondages à l'appui. Serait-ce un désaccord ? Et puis, si elle n'est pas cynique, que doit-elle être ?
Lever le voile sur le "progressisme"
Il serait bien qu'un jour, on définisse clairement ce que recoupe ce mot dont se réclament tant de monde, mais également de courants qui sont opposés les uns aux autres.
A regarder qui revendique cette appartenance, on peut dire que les progressistes sont des gens de gauche qui ne se reconnaissent pas forcément dans le socialisme, mais qui sont dans le camp du progrès social, contre l'ultra-libéralisme, pour la démocratie et, par définition, contre toute forme de conservatisme. C'est ainsi que l'Internationale socialiste ou les réseaux sociaux-démocrates européens pouvaient se retrouver avec le Parti démocrate aux Etats-Unis, le Parti du Congrès en Inde, voire, le Parti des travailleurs du Brésil. C'était une façon d'être de gauche sans le dire, tout en en partageant la vision du monde et les propositions pour la société.
Mais il s'est trouvé des gens pour se revendiquer du progressisme tout en s'étant émancipé de la gauche. Ces gens, qu'on retrouve beaucoup dans la macronie, n'assument pas la contradiction du macronisme : à n'être ni de gauche ni de droite, il penche à droite. D'ailleurs, les faits sont là : chaque fois qu'Emmanuel Macron a été conduit à trancher entre la gauche et la droite - pour les hommes comme pour les projets, il a arbitré en faveur de la droite. Le compagnonnage avec Philippe de Villiers et Nicolas Sarkozy - deux parrains politiques aux idées bien connues - n'a jamais été "contrebalancé" par des équivalents de gauche. L'attribution des portefeuilles ministériels les plus stratégiques pour le pays à des hommes de droite n'est pas non plus un signal innocent. La place faite à la technocratie ou à des personnes qui n'ont aucune culture du débat politique contradictoire fait le reste.
Entre nationalistes et progressistes, les vrais, l'opposition est surtout idéologique : l'extrême droite fait de la Nation un cadre qui exclut. Elle conçoit l'exercice du pouvoir à travers un autoritarisme qui ne s'est jamais démenti. Une verticalité dans laquelle l'ordre passe avant la justice, l'Etat avant l'individu, la race avant la classe. "Le nationalisme, c'est la guerre". Or aujourd'hui, ce nationalisme, teinté de populisme, se porte très bien. Au Brésil, aux Etats-Unis, en Inde, en Turquie, aux Philippines, en Russie, en Hongrie, en Pologne ou encore en Chine, "ils" sont au pouvoir, plus en roue libre que jamais.
Les progressistes croient dans le progrès au service des gens : vivre mieux, plus longtemps avec une meilleure éducation, des salaires plus décents, des logements plus abordables, une santé plus accessibles, des retraites mieux garanties. Ils ne croient ni au "ruissellement" ni à la main invisible du marché.
Cette opposition est aussi éthique : le nationalisme divise les hommes, il sépare les sociétés, il n'établit pas de sélection sur le talent, mais sur l'appartenance ethnique. Cela conduit nécessairement à ramener la société à quelque chose de tribal.
Les progressistes croient dans l'émancipation des sociétés et le dialogue des cultures. Ils n'ont pas peur du métissage ou de la diversité ethnique qui enrichit un pays. Ils croient en l'universalisme.
Cette opposition est enfin, politique : le nationalisme ne se préoccupe de justice que pour une certaine catégorie de citoyens. Ne pouvant plus prendre le pouvoir par les armes aussi facilement qu'avant, il se sert de la démocratie pour mieux la détourner.
Les progressistes cherchent à rassembler autour de notions de progrès comme la justice sociale, l'égalité hommes femmes, la défense de l'environnement. Ils se méfient des traditions qui enferment...
Retrouver le sens de la confrontation des idées et des projets
Stéphane parle de la nécessité de débats contradictoires constructifs avec l'opposition, du renouveau de la représentation, de la participation et des moyens de la délibération. Il a raison, mais espérons d'abord qu'il sera entendu par son propre camp. C'est la majorité macroniste à l'Assemblée nationale qui a décidé de réduire le temps de parole et les possibilités d'amendements de l'opposition. Par des expression publiques souvent malheureuses comme " pensée complexe du Président " pour les collaborateurs de l'Elysée, " trop subtil, trop intelligent " disait le président du groupe LRM à l'Assemblée. On ne compte plus les expressions malheureuses de ministres ou de députés qui donnent le sentiment d'un dédain à l'égard du débat démocratique, de la nécessité d'échanger des arguments, d'accepter de penser plus long que 280 signes, de souffrir qu'un contradicteur ne soit ni d'accord ni convaincu, ni animé d'une simple envie d'en découdre...
Une des conséquences directes de cet absence de dialogue entre la majorité et le reste du pays, ajoutée au mépris des corps intermédiaires, est ce qui agite le pays depuis un an, les Gilets jaunes.
Oui, les gilets sont l'enfant de Macron. Il voulait une relation directe avec le pays, le pays a accouché d'une interpellation toute aussi directe, crue, sans filtre ni "éléments de langage".
On peut jouer le pourrissement et penser qu'à la fin, la demande de justice sociale sera étouffée par la demande d'ordre, mais on ne pourra cacher que la question sociale qui avait été mise de côté durant l'élection présidentielle revient en boomerang.
Le jeune député européen conclut en affirmant que l'énergie démocratique est intacte. Il se trompe. Les chiffres de l'abstention restent élevés, la violence à l'égard des élus de la nation se manifeste par des saccages de permanences parlementaires et des menaces. Enfin, le désarroi chez les élus locaux, notamment les maires est sans précédent. Le sentiment d'abandon est réel.
La mise en scène de grands débats avec le Président au centre ne peut compenser le fait que les territoires ont le sentiment qu'on leur a tourné le dos.
Ce bilan négatif des progressistes auto-proclamés nourrit le national-populisme. Cela n'a d'ailleurs pas échappé au Président puisqu'il a poussé, lui-même, le cynisme à donner un entretien à un hebdomadaire d'extrême droite. Du jamais pour un Président en exercice, à l'exception notable de... Nicolas Sarkozy.
S'il y a cynisme, c'est dans l'attitude de toutes ces personnes issues de la gauche, qui ont fait parfois leurs premières armes dans le syndicalisme étudiant par exemple, qui se sont engagées en 2005-2006 contre le CPE et qui aujourd'hui sont muettes devant la précarité étudiante - sauf si elles partagent le constat de Benalla qui voit dans ces étudiants des enfants gâtés.
S'il y a cynisme, c'est dans le choix de ces personnes qui n'assument pas leur soutien à un gouvernement qui fait le contraire de ce qu'elles défendaient jusqu'en 2017.
Avec de tels progressistes, le pays n'est pas en de bonnes mains.
En Europe aussi, le duel existe. L'alliance des progressistes en Pologne a redonné à la gauche une voix au Parlement. En Espagne, les amis des macronistes, après s'être alliés à l'extrême droite en Andalousie, à Madrid ou encore à Saragosse, ont été dépassés lors des dernières élections par la droite, l'extrême droite et l'extrême gauche. La gauche s'est rarement portée aussi bien au Portugal... Pourtant, le national-populisme, sans gagner partout dans les urnes, marque des points dans les têtes. Et c'est cela le vrai danger.
La lutte contre le nationalisme passe par une démocratie revitalisée. Les vieux partis ont échoué, mais ils n'ont jamais renoncé à se remettre en question. Ils ont compris qu'il fallait faire autre chose, autrement. L'expérience et l'Histoire leur ont appris, n'en déplaise aux adorateurs du "nouveau monde", l'humilité et la modération.
Le chantage au "moi ou le chaos" est dépassé car le K.O. démocratique est à portée de main.
La gauche peut relever le défi car elle a compris qu'il fallait toujours répondre à la demande sociale si on voulait redonner à la République, la force qu'elle mérite.
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