Dans la Vie, le très fécond politologue Gaël Brustier commet un réquisitoire contre l'alliance entre Place publique et le Parti socialiste et dans la mesure où son texte est argumenté, allant au delà des sarcasmes de ceux qui sont toujours plus à gauche que leurs voisins, il mérite une réponse respectueuse, mais non moins argumentée car à la fin, il s'agit de ne pas se tromper d'adversaire puisque nous avons le même.
Gaël Brustier a commencé son engagement militant à droite, puis il a poursuivi dans les rangs du mouvement de Jean-Pierre Chevènement où il a acquis une solide culture politique au contact de brillants responsables qui ont compté dans la gauche comme Max Gallo ou Didier Motchane. Le fil de ce parcours est un euroscepticisme constant : l'idée européenne en ce qu'elle peut fonder un espace politique qui permet de résoudre les questions qu'on ne peut plus résoudre dans le cadre de l'Etat nation n'est pas du tout sa tasse de thé. C'est d'ailleurs sur ce clivage que s'est fait la première grande scission dans le Parti socialiste reformé à Epinay : les amis de Chevènement, après avoir incarné une aile gauche intransigeante, doctrinaire, marxiste avaient évolué vers un discours sur la République qu'ils jugeait contradictoire avec l'approfondissement de la construction européenne.
Certains ont glissé encore plus à droite pour traverser non pas la rue mais le Rubicon pour finir à droite voire à l'extrême droite comme Florian Philippot. Mais ce ne sont là que des cas minoritaires que l'Histoire a déjà jugés. Dans le courant Chevènement, le cœur reste bien à gauche. On l'a vu encore récemment lors de l'émouvant hommage à Georges Sarre décédé au il y a quelques semaines...
A l'inverse, un compagnon de route historique du "Che" de Belfort a compris qu'il ne faut laisser l'Europe ni à la droite ni aux populistes. Sami Naïr pousse plus loin cet engagement européen, retrouvant au passage l'internationalisme de sa jeunesse en figurant en position éligible sur la liste du Parti socialiste ouvrier espagnol. Naïr avait déjà été député européen entre 1999 et 2004, élu sur une liste d'union, déjà, du Parti socialiste, des radicaux de gauche et du Mouvement des citoyens. Cette liste était conduite par François Hollande, alors Premier secrétaire du Parti socialiste.
Ce fut la première fois qu'une liste de gauche arrivait en tête des élections européennes. La crise éclata dans la droite il fallut changer de tête de liste en cours de campagne, Nicolas Sarkozy devant remplacer Philippe Séguin. A l'époque, la droite diverge sur son appartenance au PPE...
Oui ce n'était pas facile de faire une liste capable d'attirer un électorat de gauche déboussolé par une dispersion sans précédent. Mais comme on ne regarde que ce qui conforte l'envie de voir le PS mourir, on passe à côté de ce qu'il est encore capable de donner.
A l'automne, le PS faisait plancher ses militants sur un texte programmatique pour l'Europe. Sous l'autorité de Boris Vallaud, secrétaire national à l'Europe, de Christine Revault d'Allonnes Bonnefoy, la Présidente de la délégation française au Parlement européen et d'Emmanuel Maurel, le texte fut adoptée. Toutes les sensibilités y virent une bonne orientation pour entrer en campagne ce qui fit que beaucoup de militants ne comprirent pas la manœuvre qui consistait à amender un texte, l'approuver puis à le rejeter avant de quitter le PS. Mais la même chose s'était déjà produite au Congrès de Poitiers quand Jean-Christophe Cambadélis alors Premier secrétaire, avait voulu rassembler le PS sur l'Europe. " On n'est pas obligé de coucher le premier soir " m'avait dit un des frondeurs assumant ce "tacticisme" qui consiste à préférer sa tendance au mouvement... Passons.
Quand on a un bon texte comme celui-là, "La gauche est l'avenir de l'Europe" on n'est pas dans le désarroi. Il fallait probablement le faire connaître mieux et plus, mais il existe. Donc ceux qui croient que l'accord avec Place publique ne repose sur aucune orientation sont soit distraits, soit ignorants. Mais on voit bien que l'état de la gauche ne fait les affaires de personne et qu'aucune formation politique n'a profité, pour l'intérêt général de cette crise qui dépasse la situation des partis.
Dans le fracas des fractions qui s'affrontent, on n'entend pas les gens raisonnables. Il y en a. Contrairement à ce que veut croire Gaël, le PS a des alliés, mais ils sont trop faibles pour convaincre les Insoumis, les Verts ou Génération.S qu'ils se trompent à croire qu'on peut faire toute la gauche dans un seul parti.
Entre le centrisme technocratique de Macron et le gaucho-populisme de Mélenchon il y a la social-écologie, cette gauche qui accepte le sale boulot qui consiste à gouverner et autour de laquelle on sait s'allier pour les élections locales et sans laquelle il n'y a pas de majorité de gauche à Paris, à Lille, à Nantes, à Rennes, à Brest, à Clermont-Ferrand, à Dijon, en Seine-Saint-Denis, dans le Val de Marne, en Bretagne, en Nouvelle Aquitaine, en Bourgogne...
Personne au PS ne croit, contrairement à ce que laisse entendre mon camarade Gaël Brustier, à "la thèse vallsienne des deux gauches irréconciliables". Elle est contraire à toute l'Histoire du PS et, cela depuis les origines. D'abord parce que le Parti socialiste n'a jamais fermé la porte à l'unité, il n'a jamais cessé de tendre la main, même quand c'était difficile. Ensuite parce que malgré tout, la pasokisation tant rêvée par tous depuis dix ans n'a pas eu lieu puisqu'il n'y a pas eu "syrization" non plus : aucune force de gauche n'est parvenue à supplanter le PS dans les élections majeures au point de peser plus dans les assemblées. Jusqu'à preuve du contraire, le PS reste la première force de gauche du pays en termes d'élus.
Au plus fort du vallsisme, les Insoumis n'ont pas renoncé à demander "un accord technique" pour être sûr de bien figurer sur les listes de gauche au second tour des élections régionales de 2015 par exemple.
Mais lorsque Brustier afforme que cette thèse "destinée à combattre Jean-Luc Mélenchon, qui rétrécit considérablement le champ stratégique du Parti socialiste et du centre gauche, en en consacrant de facto la sortie de route historique" il suggère qu'en dehors du leader de la France Insoumise, il n'y a point de salut à gauche. Il ne lui a pourtant pas échappé que depuis plusieurs mois, les Insoumis ne s'intéressaient plus à la gauche. Ce qui n'empêche pas d'ailleurs la mélenchonisation des esprits aussi bien chez les écologistes que chez Benoît Hamon où on n'a pas de mots assez durs pour les tentatives du PS de travailler à l'unité. "Voter PS c'est une voix de moins pour la gauche" dit l'ancien candidat socialiste. "Votez PS c'est voter pour le glyphosate" dit Yannick Jadot qui, en 2015 était venue proposer au PS avec Daniel Cohn-Bendit et Romain Goupil, un projet de primaires de toute la gauche afin de conjurer le sort et d'enrayer la machine à perdre qui s'était mise en place à cause d'une effrayante fragmentation. Mais l'appareil EELV était contre, les frondeurs étaient contre, Mélenchon était contre, le PCF était contre.
Le PS fut alors unitaire pour deux voire trois, menant malgré tout une Primaire de la Belle Alliance populaire avec près d'une dizaine de partis, dont le MRC. Donc l'unité n'est pas synonyme de marginalisation. Quand on regarde la situation espagnole que Gaël connaît bien on voit que Podemos, la version transpyrénéenne des Insoumis a été confronté au même type de débat : l'intransigeance de Pablo Iglesias a coûté un million de voix à la gauche radicale entre les deux dernières élections générales, malgré l'alliance avec les anciens communistes d'Izquierda unidad. A la fin, le débat entre Iglesias, critiqué pour sa gestion autoritaire du mouvement et son ami Íñigo Errejón a fini en cassure. Le premier voulant que Podemos procède plus du peuple et de la rue que de la gauche là où le second veut l'unité sans fermer la porte au PSOE. Pour lui, entre la gauche radicale et la social-démocratie c'est zéro partout balle au centre : les deux sont à la rue sur le plan idéologique. Cela incite à un peu de modestie, de pudeur, mais aussi de gravité.
Gaël Brustier qui reste très attaché à ses années Ceres croit déceler une opposition entre ce courant et Place publique et pour sûr, nous ne sommes pas dans la même époque et il ignore l'importance de la différence de nature. On peut spéculer sans fin sur "qui va manger qui" ce qui a une importance assez relative.
Si l'idée est de reconstruire la gauche sur les ruines du Parti socialiste, il faudra encore compter avec les Insoumis et ce n'est pas gagné. Au delà des grandes envolées définitives, dans moins d'un an, l'horizon des élections municipales fera redescendre tout le monde d'un ton. C'est cynique, mais c'est la réalité.
Si l'idée est de rebâtir la gauche tout court, c'est un objectif bien plus noble. Mais cela veut dire converger sur des idées. Gramsci disait : "quand on est convaincu que quelqu'un se trompe, que cette personne refuse de discuter, d'apporter des preuves en alléguant que tout à chacun à le droit de penser comme il veut - on ne peut pas être tolérant. Liberté de pensée ne signifie pas liberté d'errer et de divaguer." Cette maxime s'applique à tous ceux qui pensent qu'on peut substituer l'anathème au débat. C'est la folie des réseaux sociaux qui s'est emparée de gens qui ont perdu l'habitude de se mettre autour d'une table pour se parler, se comprendre, mus qu'ils seraient par la volonté d'aboutir puisqu'en politique c'est comme au foot : on gagne ensemble ou on perd ensemble.
Il faut donc non seulement savoir ce qu'on ne veut pas, mais ce qu'on veut. Les idées de gauche n'ont jamais rien perdu de leur actualité ou de leur pertinence, c'est bien pour cela qu'il existe, qu'on le veuille ou non, dans la gauche européenne, un courant socialiste.
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