Ce 19 février je serai au rendez-vous de la République. Nous y serons nombreux. Une fois de plus pour dire « ça suffit, non à l’antisémitisme ».
Cette date fait sens. Dans un mois, nous nous souviendrons du massacre de Toulouse où des enfants et des adultes furent la cible d’un fanatique parce qu’ils étaient juifs.
L’accumulation en quelques jours d’actes antisémites : tags et graffitis, dégradations et profanation, en enfin agression verbale à l’égard d’un philosophe donne le tournis donne le vertige. L’antisémitisme n’a pas disparu, il s’exprime librement, sans fards et sans filtres et la République semble ébranlée.
Dans la marche vers la mobilisation, qui commence par les condamnations, l’ère des réseaux sociaux fait que l’unité du pays subit quelques accrocs que certains se plaisent à relever, comme s’il fallait donner de l’écho aux minoritaires alors qu’il faut faire masse.
On scrutera qui vient, qui ne vient pas, quels mots sont employés pour condamner, qui se tait. Dans le combat contre l’antisémitisme, certains ne veulent voir que des musulmans radicalisés, accusant ceux qui savent aussi que l’extrême droite n’est pas en reste de « déni » voire de « complaisance » pour « l’islamo-gauchisme ». Et puis, une poignée de parlementaires, peu expérimentés mais conscients qu’il faut trouver un effet d’aubaine, décident qu’il faut une loi pour pénaliser l’antisionisme au même titre que l’antisémitisme. Enfin, certains veulent bien condamner l’agression verbale dont fut victime Alain Finkielkraut, « mais » ils tiennent à souligner ce qu’ils pensent des idées du philosophe. Vouloir à tout prix se distinguer pour être remarqué est dans l'air du temps. Malheureusement il est des moments où l'unité du peuple compte plus que les réserves de tel individu.
C’est en s’embarrassant de tout cela qu’on risque de se tromper de combat.
Ce 19 février est aussi une date qui fait sens car c’est à cette date que débuta le procès de Riom en 1942 quand la France de Vichy décida de juger Léon Blum, l’ancien Président du Conseil, le premier socialiste à occuper cette fonction à la tête d’un gouvernement de Front populaire, cette réaction salutaire de la gauche face à la menace fasciste qui s’était faite sentir le 6 février 1934.
L’Histoire retiendra que le procès de Riom fut un échec pour ceux qui voulaient juger Blum dont un des premiers combats politiques avait été de prendre la défense du capitaine Dreyfus, cette fameuse Affaire qui divisa la France au tournant du siècle… La plaidoirie du leader socialiste fit vaciller Pétain car si ce dernier voulait rejeter sur le Front populaire la responsabilité de la débâcle, le leader socialiste retourna l’accusation contre l’accusateur. Embarras, les persécuteurs durent interrompre le procès. Blum et Daladier avaient servis la patrie, un temps pas reconnaissante : « Nous sommes dans la tradition de ce pays. (...) Nous n'avons pas interrompu la chaîne, nous ne l'avons pas brisée ; nous l'avons renouée et nous l'avons resserrée. (...) Et, par une ironie bien cruelle, c'est cette fidélité qui est devenue une trahison. »
Blum n’en fut pas moins déporté, mais il survécu.
« On parle de vous »
Sur un tag vu dans un wagon du RER, on a pu lire au sujet du footballeur Kylian M’Bappé : « nègre enjuivé ». Le comble pourrait-on dire pour un jeune né de père d’origine camerounaise et de mère d’origine algérienne. Mais la formule fait sens. Elle illustre bien comment dans le train des Damnés de la terre, les Noirs et les Juifs voyagent en première classe ! Dans l’Histoire de l’Humanité, on ne compte plus les préjudices, les supplices et les sévices, des déportations de masse, puis la catastrophe…
Ce n’est pas un hasard si dans l’Histoire, ces deux peuples ont fait front ensemble. Il faut toujours le rappeler à l’heure où l’ignorance et les replis identitaires éloignent des citoyens qui devraient lutter ensemble contre l’ennemi commun. Certes, quand il s'était agi de réagir aux insultes dont Christiane Taubira avait été la cible, la mobilisation avait été tardive et timide, y compris dans la communauté ultramarine. Si d'ailleurs le Parti socialiste n'avait pas pris l'initiative d'une réunion publique pour marquer sa solidarité, il n'y aurait rien eu. Il y a un questionnement à avoir là dessus : Soit chacun reste dans sa case - sans mauvais jeu de mot - soit on se bat ensemble.
Frantz Fanon, ce militant de l’émancipation, écrivait en 1952 dans Peau noire, masques blancs, « L’antisémitisme me touche en pleine chair, je m’émeus, une contestation effroyable m’anémie, on me refuse la possibilité d’être un homme. Je ne puis me désolidariser du sort réservé à mon frère. Chacun de mes actes engage l’homme. Chacune de mes réticences, chacune de mes lâchetés manifeste l’homme. Il nous semble encore entendre Césaire : “ Quand je tourne le bouton de ma radio, que j’entends qu’en Amérique des nègres sont lynchés, je dis qu’on nous a menti : Hitler n’est pas mort ; quand je tourne le bouton de ma radio, que j’apprends que des Juifs sont insultés, méprisés, pogromisés, je dis qu’on nous a menti : Hitler n’est pas mort ; que je tourne enfin le bouton de ma radio et que j’apprenne qu’en Afrique le travail forcé est institué, légalisé, je dis que, véritablement, on nous a menti : Hitler n’est pas mort ”.
[…] De prime abord, il peut sembler étonnant que l’attitude de l’antisémite s’apparente à celle du négrophobe. C’est mon professeur de philosophie, d’origine antillaise, qui me le rappelait un jour : ”Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous.” Et je pensais qu’il avait raison universellement, entendant par là que j’étais responsable, dans mon corps et dans mon âme, du sort réservé à mon frère. »
Cruelle actualité encore aujourd’hui de cette sentence dans la bouche d’un homme qui vivait à une époque où la Shoah n’avait pas encore été étudiée comme aujourd’hui, mais où on comprenait qu’aucune leçon n’en avait été tirée. C’était avant le Cambodge, l’ex Yougoslavie, le Rwanda… Avant Daesh…
Les gilets jaunes sont devenus, malgré eux, un mouvement politique. De ce fait, il y a une responsabilité civique et morale à « faire le ménage » dans les rangs. On a vu, comme le demandait Delphine Horvilleur des gens arborant un « pas en notre nom », mais c’est timide.
Sortir de la confusion
La France a toujours riche de sa capacité à accueillir toutes les cultures. J’aime l’idée que dans mon pays, on puisse manger de tout, discuter de tout et avoir le plus naturellement du monde des voisins, des amis, des copains, des frères et des sœurs aux patronymes qui sonnent différemment et que cette amitié qui se noue un soir de match, dans la chaleur d’une soirée dansante ou dans un éclat de rire général soit si forte qu’on se foute royalement des origines et des croyances.
Ca doit bien exister un raciste qui porte un jean Levi’s sur un caleçon Calvin Klein qui adore le couscous et qui adore le rock. Ca me rappelle ces militants d’extrême droite français qui, après avoir pris part à une manifestation xénophobe à Budapest, avaient fini la soirée en mangeant des kebabs.
Il faut reprendre le fil de l’éducation civique. L’indignation est un sursaut salutaire, mais elle ne suffit pas. Et ni repli ni le départ ne sont pas des remparts. Partir c’est considérer que l’ennemi a gagné. Se replier c’est battre en retraite alors que nous avons une supériorité numérique, les armes juridiques et un sens civique. Il faut méthodiquement reformuler les arguments pour démonter les préjugés, redonner son sens à l’égalité et à la fraternité pour assécher les torrents de haine et d’ignorance. Il faut relire Lévinas et aller vers l’Autre car dans la stigmatisation comme toute politique il n’y a que de l’exclusion.
Mais il faut aussi lutter contre la confusion. Le combat contre l’antisémitisme n’est pas une question de géopolitique, même si on sait bien que ce qui se passe au Proche-Orient rencontre des échos ici. Il faut toujours se méfier des lois de circonstances proposées dans l’émotion d’un moment car elles sont destinées à durer.
L’antisionisme n’est pas un synonyme de l’antisémitisme, même si le second se planque parfois dans les plis du premier. Mais il ne faut pas confondre la contestation légitime d’une idéologie, voire de la politique d’un Etat avec la haine d’un peuple, d’une religion. L’antisionisme est une opinion, l’antisémitisme est un délit et il est crucial de ne pas confondre. On trouvera certes nombre de citations de grands noms pour réfuter cette idée, mais le sionisme mérite d’être questionné car érigé en doctrine politique et mis en pratique dans un Etat démocratique, il produit des résultats qu’on peut et qu’on doit évaluer.
Alain Finkielkraut, pessimiste philosophe ne pensait pas qu’un pays se mobiliserait pour défendre son humanité. Il faut débattre avec lui ou combattre ses idées. S’attaquer à sa personne est signe de lâcheté et cela renvoie en effets aux pires heures de notre histoire. Ca n’est pas acceptable.
L’agression de ce samedi en rappelle une autre, proposée, programmée et théorisée en 1936 par Charles Maurras, ce monarchiste antisémitique qui finit par trahir son pays : « C'est en tant que juif qu'il faut voir, concevoir, entendre, combattre et abattre le Blum. Ce dernier verbe paraîtra un peu fort de café : je me hâte d'ajouter qu'il ne faudra abattre physiquement Blum que le jour où sa politique nous aura amené la guerre impie qu'il rêve contre nos compagnons d'armes italiens. Ce jour-là, il est vrai, il ne faudra pas le manquer. »
Eh bien, nous, nous ne manquerons pas l’occasion de lutter pour que la France soit le pays où on soit heureux d’être ce qu’on est, en toute liberté, dans l’égalité et dans la fraternité.
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