Je l'avoue, j'ai connu "Douce France" chantée par Rachid Taha avant de connaître la version originale de Trenet. J'ai toujours été pris à la gorge par l'intro de sa version de "Ya rayah" (c'est ce qui m'a fait adorer cel bel instrument qu'est le oud). Superbe chanson, incontournable de toutes nos soirées depuis vingt ans - et seul Christophe Borgel en connaissait les paroles parmi nous !
Cette chanson, composée en 1973 par Dahmane El Harrachi est un classique du chaâbi, cette musique populaire algérienne.
Remise au goût du jour près de vingt-cinq ans plus tard par Rachid Taha, cette chanson était devenue un succès dans un moment où le raï s'imposait dans les charts français. Imaginez donc ! Au pays de Jean-Marie Le Pen, pendant quelques années, dans les soirées, on dansait sur Khaled, Cheb Mami ou l'Orchestre national de Barbès dont l'entrainant Alaoui demeure mon titre favori.
Le succès de "1-2-3 soleil" avait été phénoménal lui aussi. Dans la B.O de nos années de combat antiraciste, à coup sûr, et au répertoire des chants de lutte, il figure sans aucun doute, entre Boris Vian et Berurier noir, Zebda ou U2. Une icône de cette France enrichie par l'immigration, dans laquelle on s'en foutait de la religion, dans laquelle on luttait tous ensemble contre le racisme, sans concurrence, mais avec solidarité. Evidemment, on n'a pas gagné la bataille finale, mais la lutte continue.
Il faut toujours rappeler que la France de Rachid Taha n'est pas celle des buzz sur Twitter, mais celle où on tire sur les jeunes issus de l'immigration comme des lapins. Le nombre de meurtres racistes à la fin des années 70 et au début des années 80 a été oublié, mais il crée alors une peur et une colère d'autant plus grandes que le racisme meurtrier s'accompagne de la montée de la xénophobie assumée politique par un parti qui monte, le Front national. On connaît la suite... Les lois Pasqua, "le bruit et l'odeur"... A l'époque, Morano, Ciotti et Wauquiez sont ados...
L'ironie du sort si on peut dire a voulu que peu après la disparition de chanteur qui fut plus un rockeur qu'un chanteur de raï, Emmanuel Macron, reconnaissant la responsabilité de l'Etat dans la torture du militant Maurice Audin, restitua, d'une certaine manière, sans vraiment le vouloir au passage, une certaine idée du rapport de l'Algérie à la France.
Il y a une passion française pour l'Algérie depuis des décennies. Elle est faite de sang, de larmes, mais aussi de saveurs, de rires et de rythmes. D'Abd El Kader à Zidane, il y aurait tout un abécédaire à faire de cette relation deux fois tricolore.
Paradoxalement, Zemmour remit deux balles dans la machine en déclarant, comme un vieux con de l'arrière garde, comme ces anciens combattants qui n'ont pas digéré la défaite - lui-même n'a jamais été au feu - qu'Audin aurait mérité "douze balles"... Une manière de mettre inutilement du sel sur des blessures, heureusement cicatrisées.
Rachid Taha, parce qu'il était un rocker, incarna cette "intégration" dont on a beaucoup parlé, mais qu'il a contribué à redéfinir. Ni l'assimilation qui consiste à renier d'où on vient - sachant qu'il existe toujours un imbécile pour vous le rappeler - ni le différentialisme qui relativise l'appartenance à la France pour mettre en avant l'origine, parfois comme une forme de défiance.
A l'heure des incompréhensions entre ceux qui croient que tout Français est raciste et que tout "franco-maghrébin" est forcément "pro islam" et tolérant envers l'islamisme tôt ou tard, Rachid Taha représentait bien cette jeunesse qui revendiquait d'entrer de plain pied dans la modernité, sans carte de séjour pour ici ni visa pour là-bas - ayant choisi le rock, la musique de toutes les révoltes.
Commentaires