Barbouzeries 2.0 : Les deux affaires qui touchent le Château démontrent bien comment le nouveau monde a la saveur rance de l'ancien, celui des années de plombs ou de 1986 par exemple...
Lorsque j'ai commencé à militer au S.O. du PS en 1995, j'avais derrière moi une bonne expérience acquise dans les organisations étudiantes à une époque où les mouvements de protestation contre telle ou telle réforme étaient massifs et où la menace permanente des descentes du GUD ou de l'AF devenait souvent réalité. Mais au PS, il y avait une expérience encore plus longue, âge des militants oblige. Une forme était régulièrement employée : "dans service d'ordre, il y a service et ordre".
"ni sévices ni désordre"
Tout le contraire de l'affaire qui a fait zapper la victoire des Bleus, déjà gâchée par la grossière confiscation par le pouvoir d'une fête qui ne devait rester que populaire.
Pas plus qu'Alex n'aurait dû frapper s'en prendre à quelqu'un à terre, je ne m'en prendrai à lui car finalement, il n'est que l'expression d'un problème plus profond.
Son parcours est assez compréhensible et il y en a des milliers comme lui : on a tous connu des jeunes militants du S.O., que l'on qualifiait dans notre jargon de "cow boy", c'est-à-dire attirés par la baston et grisés par ces moments de virilité avec oreillettes et gants de cuirs, pas toujours élégants, il faut le dire. L'humour gras et l'homophobie bien portante parfois... Mais disons que c'est là un matériau brut qu'il faut façonner. C'est aussi à cela que sert une formation car un S.O. de parti ou de syndicat n'étant ni une milice, ni une police privée, il est un élément du militantisme et donc un lieu de politisation - démocratique car il est ouvert à ceux et celles qui veulent, indépendamment de leur profil.
Au S.O., ni totos, ni décompos ni katangais ! Une solide formation politique au sein d'un S.O. a toujours été le rempart contre une dérive "milicienne" à la sauce SAC, GUD ou DPS. Nos générations avaient appris aussi du débat dans la "Commission technique" de la Ligue après le 21 juin 73 et l'Armée populaire de la GP et pendant longtemps, à gauche on se méfiait d'une police qui elle-même se méfiait de la gauche. On confondait les RG avec des services spéciaux, la paranoïa s'emparait facilement de militants qui s'imaginaient vivre, dans les années 90, comme dans les années 70 avec des flic provocateurs, capables d'infiltrer une organisation... Possible, mais pas systématique.
Les temps ont changé, mais nous avons toujours eu à cœur de ne pas mélanger les choses même quand S.O. et services de police, notamment le prestigieux SDLP (ex SPHP, ex V.O.) était notre "correspondant". Chacun son rôle dans le respect de la loi et ils ne sont pas interchangeables car même si on veut se donner des frissons dans des rôles qui en jettent, les responsabilités vont avec et ça on ne peut transiger. Mais le plus grave c'est comment au sommet de l'Etat on a pu autoriser un tel mélange des genres, une telle confusion. Les syndicats de gauche devraient s'en saisir. D'ailleurs, leur existence - il n'y a pas qu'Alliance - est salutaire dans la défense d'un ordre républicain qui est au service du peuple. Eux sont des ressources précieuses pour qui veut comprendre que police rime avec justice et que nous ne sommes pas dans un Etat fasciste... Au passage, quoiqu'en pensent certains, la police française est une des meilleurs au monde s'agissant du maintien de l'ordre dans les manifs : elle n'a ni la brutalité ni le passif des polices espagnoles, grecques, italiennes, coréennes ou allemandes... Le monopole de la violence légitime ça veut dire quelque chose. Enfin, cela relance aussi le débat sur "la sécurité privée" et les certifications qui font que n'importe qui peut faire n'importe quoi, sans compter les anciens fachos qui se reconvertissent et qui peuvent remporter des marchés proposés par des villes de gauche... Bref, l'ordre républicain ce ne peut ni être les factieux d'un jour ni ceux de toujours.
Le S.O. toujours une vitrine
Un premier enseignement est que la règle, "dis moi comme tu te protèges, je te dirai qui tu es" se confirme. Le service d'ordre, parce qu'il est un des éléments de l'ossature d'une organisation politique lors de la tenue d'un événement, est représentatif de cette organisation : puisqu'il peut être ouvert à tous, et puisque n'importe qui est plus facilement en contact avec le gars qui porte un badge qu'un dirigeant politique. Le comportement, la tenue et la manière de parler aux gens sont donc déterminants. Un S.O. fait une réputation : Personne ne se frotte à la CGT ou à FO dans une manif. La réputation de dureté de l'OCI, on la devait à son service d'ordre. Dans les milieux militants, des légendes se sont toujours formées, enjolivées ou pas, certaines "actions" sont devenues des référence. Parlez avec un militant qui a connu les mobilisations des années 70-80 à Paris, il vous parlera de Michel Recanati ou des frères Malapa par exemple.
Nul doute que désormais, cette affaire laissera une tâche sur l'image de LRM car elle s'ajoute à l'agression d'une rare violence de la part d'un député cette fois, à l'encontre d'un responsable du Parti socialiste. Canaliser la violence et l'agressivité, cela s'apprend et une des meilleurs thérapies, s'appelle... l'expérience longue du militantisme.
Ce sont là des choses que le parti présidentiel devra acquérir. Il leur faudra bien traverser un tunnel électoral pendant quatre ans, affronter la contestation grandissante d'électeurs déçus et de citoyens floués. Dans les meetings, les événements de campagne ou devant les permanences parlementaires, le parti présidentiel devra se protéger. Cette affaire a achevé de jeter le trouble sur un service de sécurité qui n'inspire pas confiance.
Si le S.O. est une vitrine, c'est qu'il est transparent, donc invisible. La discrétion est une condition de l'efficacité des ses actions. L'idéal c'est l'anonymat.
'Souviens-toi que tu es mortel"
Dans la mesure où LRM n'a pas d'histoire, ses militants, ne connaissent pas l'importance d'une tâche qui peut leur paraître moins noble et moins urgente que la constitution en 2016-2017 d'un réseau de donateurs généreux, de soutiens et d'affidés. Les questions de sécurité ne pouvaient être assurées que par des société privées. C'est là où on peut imaginer que Benalla a eu du flair : doter LRM d'un service de sécurité en attirant à lui des habitués des salles de sport intéressés par l'opportunité de soutenir un candidat prometteur aussi tôt que possible histoire de pouvoir en tirer quelques bénéfices plus tard. Et c'est bien compréhensible.
On a beaucoup comparé cette action au SAC, le service d'action civique qui officia comme service d'ordre des partis gaullistes et autres formations de droite dans les débuts de la Cinquième république jusqu'à la victoire de la gauche en 1981. La tuerie d'Auriol fut l'action de trop et le SAC fut dissout. S'il y a une deuxième leçon à retenir c'est que si un service d'ordre n'est qu'au service d'un homme, cela peut déraper car, échappant à tout contrôle démocratique, il peut se transformer en petite police privée, en milice, détentrice de petits et grands secrets et, de ce fait, capable d'user de moyens de pression ou d'intimidation.
Le fait qu'Emmanuel Macron ai cru faire passer ses intérêts avant ceux de la Nation résume assez où nous en sommes. Comme Agamemnon, il est frappé par l'hybris. La folie de la démesure. Comme Icare, il s'approche trop du soleil. Il a mal retenu la leçon des généraux romains qui, lors de leur triomphe étaient accompagnés d'un esclave qui leur murmurait "regarde autour de toi, tu n'es que mortel". Alexandre Benalla, désormais lâché et lynché, l'affaire ne s'arrêtera pas là.
Après que la cohésion de l'appareil de protection du Président eût été mise à mal par Nicolas Sarkozy qui avait créé une tension entre policiers et gendarmes, c'est sous Emmanuel Macron que le GSPR connaît une autre difficulté avec l'intrusion de civils sans titres. On parle même d'un projet en gestation - sans garantie d'aboutir cependant - d'un groupe autonome, privé, au plus haut au sommet de l'Etat.
Alors que les policiers ploient sous le poids des heures sup, qu'ils doivent travailler avec du matériel parfois trop usé, notamment les véhicules, on a lu des choses assez surprenantes...
Bref, ce qui est inacceptable c'est qu'autant de pouvoir ait été donné à un homme qui n'avait ni les titres ni l'expérience pour en disposer.
***
Le pouvoir est certes trop jupitérien pour rester républicain. Le comble est que la réforme constitutionnelle qui illustrait une présidentialisation en marche, comme si la Constitution de la Ve République ne l'était pas suffisamment.
La tension est palpable dans la majorité. Collomb est pris dans la tenaille : soit il défend la police et désavoue le Président, soit il protège le Président et se met en froid avec la police. Etant visiblement en première ligne, il apparaît qu'il était dans le flou...
La majorité était tenue par un rapport intime avec Emmanuel Macron, pour peu que ce dernier ne leur donne pas trop le tournis. Difficile d'assumer. Reste le choix entre le silence, la mauvaise foi qui s'exprime par la langue de bois ou... La fronde. Il arrivera un temps où cette fronde s'exprimer par des députés qui auront eu le courage de braver non pas la discipline du groupe, mais les éventuelles formes d'intimidation. Car lorsqu'on ne peut convaincre, on ne peut que contraindre...
La crise est profonde et tout la nourrit. Macron doit parler, agir, mais quoiqu'il arrive, il est durablement affaibli.
Les commentaires récents