Il est toujours délicat, quand on veut frapper les esprits et les pousser à prendre conscience des enjeux, de procéder à des comparaisons historiques. Bien sûr, Aquarius et Exodus ça rime, dans les deux cas, il s'agit de bateaux qui transportent, telle l'Arche de Noé, des gens qui veulent simplement survivre et accoster sur une terre moins inhospitalière, en quête d'une ville meilleure.
Eh bien, nous oserons quand même car si l'Aqarius existe, c'est bien qu'en 70 ans, aucune leçon n'a été tirée de l'Exodus, aucune. De même qu'une fois oubliées images du petit Aylan, gisant sur une plage, on a zappé. On a rafraichi les pages web, on est passé à autre chose. Pire, devant le flot de misère humaine qui ne manquerait pas de continuer à ruisseler, il fallait s'endurcir et assumer cyniquement le déni pour que la part d'humanité qui reste, soit bien maîtrisée afin qu'on ne permette aucune brèche dans la clôture. C'est cela qui explique la sémantique collombienne. Lui qui connait bien Jaurès, se souvient bien de cette phrase : "quand les hommes veulent changer les choses, ils changent les mots".
Si on se rappelle bien, l'affaire de l'Exodus se résumait en ceci : des survivants des camps nazis sont pris en charge sur un rafiot qui quitte un port français pour faire route vers la Palestine afin d'accoster dans ce qui va devenir l'année suivante l'Etat d'Israël. Mais la Grande-Bretagne stoppe le bateau et les pauvres hères se retrouvent à Hambourg, dans le pays qui a vu naître les origines de leur malheur. Des Exodus, il y en a eu plein. Au point que la façon dont les soldats britanniques se sont comportés a choqué : le camp d'Atlit en Palestine comme les camps d'internements de Chypre avaient leur part de barbarie.
Pourtant l'Europe n'en est pas à sa première "crise" de réfugiés...
Avant on parlait de "personnes déplacées". Après les deux guerres mondiales, le bouleversement des frontières, le démantèlement des empires et des dictatures fascistes, les aspirations nationales de jeunes Etats et l'affirmation de l'Union soviétique produisent des mouvements de populations qui concernent plus de sept millions de personnes.
Les "nationalités" qui faisaient la diversité des empires russe ou austro-hongrois, ces Polonais, Hongrois ou ces Roumains, les "minorités" de langue allemande ou slave emplirent les routes entre l'Allemagne et la Russie au gré de l'évolution des frontières, dans une Europe centrale et orientale en ruine, ravagée par la guerre, les massacres et sillonnée dans tous les sens par les armées de divers pays avec leur cortège d'exactions... Durant quelques années, apatrides, déracinés ou futurs détenteurs du célèbre passeport Nansen connurent l'exil ou l'exode, la survie dans des conditions difficiles. Il faut y ajouter bien sûr les Grecs et les Arméniens aux confins de la jeune Turquie.
Dans un contexte d'après-guerre, c'est peu de dire qu'il n'y avait pas, comme aujourd'hui, les moyens économiques et financiers pour résoudre cette crise : car l'Europe a les moyens de résoudre cette crise. Cela concerne moins de monde qu'en 1918 ou qu'en 1945.
Dans la mondialisation, tandis que ceux qui réussissent jouissent des bienfaits de la "mobilité", ceux qui veulent réussir semblent assignés à résidence. Comme s'il s'agissait pour eux de souffrir en silence et de vivre cachés, loin de tout, notamment des caméras...
On dit que l'Europe joue son "va tout" sur cette crise migratoire. Il est vrai que depuis dix ans, la crise financière comme la crise migratoire furent l'occasion de voir comment la solidarité des Etats membres s'arrête là où commencent les nombreux égoïsmes nationaux. Les Etats du nord fustigeait les "PIGS" - Portugal, Italie, Grèce, Espagne - qui géraient leur argent n'importe comment. Les tenants de l'austérité, de culture protestante n'hésitaient pas pourtant de partir en vacance dans ces pays catholiques - Grèce comprise - du sud...
Désormais, ce sont les Etats d'Europe centrale et orientale qui veulent fermer les portes aux routes qui du sud au nord sillonnent des pays qui ont été eux-mêmes bénéficiaires de la solidarité européenne à leur sortie du bloc soviétique... L'Europe est arrivée à un moment de son histoire où l'affirmation des démocrates doit se faire d'autant plus nettement que s'affirment ce qu'on appelle maintenant "les démocratures". Quitte à connaître son histoire, autant en tirer les bonnes leçons.
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