Suite de la revisitation de Mai 68 par un livre qui explique comme on en arrivé là et pourquoi le réformisme est le débouché le plus pragmatique pour les espérances révolutionnaires... D'hier et d'aujourd'hui..
C’était un livre attendu que le récit par Henri Weber de sa propre vie. Au-delà de l’intérêt pour l’Histoire de la gauche militante en générale, le compagnonnage politique avec l’auteur, qui dure, depuis plus de dix ans maintenant, nécessitait que quelques questions trouvent quelques réponses… C’est pratiquement fait, mais, ce n’est qu’un début, on continuera le débat.
Puisque je suis venu à la politique, dans l’adolescence, par Mai 68, venu au militantisme par un enfant de 68, à la Sorbonne, et à l’Unef, il était normal que les acteurs du mouvement fussent, sinon vénérés, au moins, suivi dans leur actualité.
Comme la plupart des jeunes socialistes des années 90, plus que ternes à côté de leurs aînés, j’ai lu comme on dévore un court bouillon de vivaneau, les deux tomes de Génération de Hamon et Rotman – ce dernier, chroniqueur bien connu de l’histoire politique du dernier siècle et, acteur de cette histoire dans les rangs de la même organisation qu’Henri.
Mais, je compris assez vit qu’à Génération - le livre - il a toujours manqué une suite. M’étant procuré les deux cassettes vidéos des documentaires diffusés à l’époque de la sortie du bouquin – aujourd’hui introuvables et jamais réédités ni même rediffusés – j’avais simplement vu qu’Harlem Désir y intervenait comme lointain héritier – on est en 1987 – de ces années de rêve où l’engagement en politique est la chose à faire… L’univers militant ne s’est jamais limité à la LCR et aux maoïstes.
Les « soixante-huitards » ont souvent été accusés de faire dans l’autocélébration après, comme l’a écrit Guy Hocquenghem être « passés du col Mao au Rotary ». C’est-à-dire qu’une bonne partie des dirigeants ou des acteurs a fini non loin des cercles du pouvoir politique, économique ou médiatique et pas toujours à l’extrême gauche…
Jean Birnbaum en a brillamment retracé le parcours dans ses livres et Henri Weber raconte de façon politique comment il a tiré ses conclusions. Sans cynisme, ni hypocrisie… Ni même inélégance à l’égard de ses frères de lutte qui ont continué le combat comme avant.
Henri par son livre éclaire ces souvenirs obscurs de ces enfants ou petits enfants du shtetl dans la famille desquels on parle au moins trois langues. Ce rapport au monde se retrouve chez lui : un homme qui aurait pu être un « doctrinaire buté et fermé » est en réalité un homme curieux, à l’écoute pour peu que la thèse ne soit pas trop superficielle. On voit comment c’est un intellectuel touche à tout, qui préfère être « comme un poisson dans l’eau » plutôt que « comme un aigle perché sur sa crête ».
Fils de sympathisants bundistes, il est biberonné à l’antistalinisme. Le Bund, ce sont ses juifs qui croient qu’on résoudra la question juive non par le nationalisme, mais par le socialisme. Henri et Ouri, les deux frères choisiront de marcher séparément. J’ai pu assister le temps d’un déjeuner à une des reconstitutions de cette ligue familiale non dissoute dans un restaurant de Tel Aviv lors d’une rencontre entre une délégation du PS et du Meretz, en présence de Tamar Zandberg, l’actuelle dirigeant de cet autre parti de gauche israélien. Plus tard, nous nous étions échappé d’un dîner qui durait un peu trop pour manger des glaces sur l’avenue Rothschild car Henri sait prendre le temps de distraire, de nous distraire avec un humour que peu ont en politique.
Dans son livre, il se raconte comme on le connaît. Amoureux des belles formules, au risque de les inventer et de les attribuer « au Président Mao », mais ça c’était pour emmerder les maos eux-mêmes – il en a livré une nouvelle hier lors d’un débat à la Fondation Jean Jaurès : « le Président Mao a dit “sous la douche on chante, mais dans la baignoire, on réfléchit” »…
Entre les grands soirs et les petits matins, nuit debout ou nuit blanche ?
Henri ne fait pas partie de ces anciens trotskystes venus au PS qui ne sont jamais en reste d’une anecdote ou d’une posture « codée » qui ne parle qu’aux anciens, réinstallant une connivence qui ne doit pas faire oublier le surjeu des sectarismes de chapelles et parfois le rejeu des vieilles querelles. Aucun nostalgie chez lui, peut-être un rapport un peu blasé. C’est que à la différence d’un Filoche, Henri n’a pas décidé de rester révolutionnaire professionnel en entrant au Parti socialiste, qu’il a rejoint tardivement, par rapport à son retrait de la Ligue et il montre comment dans le livre. Il a tiré les leçons de sa « lente impatience », pour reprendre le titre de l’autobiographie de son vieux complice, Daniel Bensaïd, en analysant les textes oubliés des théoriciens de la Deuxième internationale. Trouvé dans Trotsky lui-même le rappel au réalisme. Mesuré, l’impasse des utopies révolutionnaires voire le risque qu’elles peuvent faire courir à la démocratie, c’est-à-dire aux masses elles-mêmes. On disait à Krivine "ça te passera avec l'âge". En réalité, il s'agit de trouver un autre chemin.
Benny Levy, le Pierre Victor de la Gauche prolétarienne qui avait failli basculer dans la lutte armée s’est éloigné de ces années par l’étude talmudique de Levinas avant de terminer sa vie à Jérusalem.
Henri Weber se fera l'exégète d'autres textes, ceux en qui Lénine voyait des renégats, mais qui avaient vu plus juste que lui. Il en tire un excellent argument pour le réformisme pas moins exigeant que la radicalité révolutionnaire, mais probablement plus performant s’agissant de la capacité à obtenir des résultats. On peut ne pas se réfugier dans l’individualisme consumériste…
En 1968, il avait vu dans « Mai », une « répétition générale » comme 1905 avait été la répétition générale de 1917. Douze ans plus tard, on était, à quelques mois près, en 1981…
Rebelle jeunesse raconte une histoire sans répéter ce que d’autres ont déjà relaté. Sans euphorie. On y croise bien des noms connus et ce qui en ressort, utile pour la jeune gauche d’aujourd’hui, c’est l’importance des compétences. Qu’il s’agisse des étudiants qui viennent à l'UEC dans les années 60 ou de ceux qui sont à Vincennes dans les années 70, il ne s’agit pas d’être des cancres. La formule qui veut que l’étudiant soit un travailleur intellectuel est prise au pied de la lettre. D’ailleurs, solidement formés, très cultivés, ces jeunes étaient les étudiants d’intellectuels qui font encore autorité et militaient ou débattaient avec d’autres intellectuels tout autant incontournables. Aux heures perdues, on ne polémiquait pas sur les réseaux, on filait chez Maspéro.
50 ans après, le mouvement de contestation d’une société inégalitaire demeure pertinent. Les petits matins qui ont succédé aux grands soirs donnent parfois l’impression d’une gueule de bois. Selon qu’on soit plutôt « nuit blanche » ou « nuit debout », c’est-à-dire jouir sans entrave de la culture, des plaisirs et des loisirs ou préparer de manière brouillonne une révolution sans but ni organisation ni moyens, le constat est le même : « à quoi bon s’engager »…
Une des réponses suggérées à la lecture du livre qui est aussi sans le dire, un manuel à l’usage des militants : l’organisation est importante pour conserver une mémoire des luttes passées, appréhender et préparer les prochaines. Quand on organise un mouvement, il est crucial de gagner la sympathie de l’opinion par des actions populaires et pédagogiques afin notamment de maîtriser le récit de ces événements – sinon d’autres s’en chargeront.
Quiconque n’a pas lu Rebelle jeunesse doit combler cette lacune. Le livre n’est ni rébarbatif ni exhaustif. C’est aussi une belle histoire d’amour, de belles rencontres et une incitation à de bonnes lectures.
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