C'est une campagne qui court depuis quelques temps : Colbert, qui fut le "monsieur économie et finances" de Louis XIV, fut, dans ses fonctions, l'instigateur du Code noir, promulgué deux ans après sa mort. Un document qui définit le statut juridique des esclaves dans les colonies. Le Code noir prétendait fixer les "droits" des esclaves. Il excluait les juifs du commerce de la traite et Perçu comme le document de référence qui, fonde "légalement" la traite et l'esclavage, le Code noir souille, aux yeux de beaucoup, la figure du Colbert dont nous avons appris le rôle dans nos livres d'Histoire à l'école. Au nom de son rôle dans la rédaction du Code noir, Colbert est devenu la bête noire de ceux qui pensent que, pour faire justice à nos ancêtres, il faudrait rayer Colbert, membre de l'Académie française, du panthéon national au sein duquel, il figure en bonne place, statufié devant le Palais Bourbon à Paris dont une salle porte aussi le nom, comme nombre de lycées de France et de Navarre.
Il est salutaire de poser le débat contrairement à ce qu'on pourrait penser, car cela pose une question politique sur les grandes figures de notre histoire. Que faut-il en retenir ? Que doit-on en retenir ? Le Colbert des livres d'histoire qui a laissé en héritage une certaine idée de l'économie - l'intervention de l'Etat dans la production et les échanges - a-t-il compris l'immoralité de la Traite ? On sait bien qu'à cette époque, ça ne va pas de soi pour tout le monde et que même les responsables religieux chrétiens et musulmans ont pris des libertés avec leur foi et autorisé ou cautionné la Traite...
Mis à part Robespierre, Condorcet, l'Abbé Grégoire, Necker ou Brissot, peu comprirent qu'il ne fallait pas seulement mettre un terme à la déportation des Africains, mais qu'il fallait aussi cesser l'esclavage. Mais à l'époque l'idée majoritaire était que "les nègres n'étaient pas mûrs pour la liberté".
Je crois à la pédagogie de la mémoire car non seulement l'Histoire est tragique, mais en plus, elle n'est ni morale ni manichéenne. C'est la politique qui permet d'en faire une lecture destinée à l'action pour que, demain, les actes aillent dans le sens du bien ou du juste.
C'est un peu comme le débat sur Jules Ferry : ce pilier de la Troisième République avait une doctrine sur la colonisation qui fait tâche de nos jours à ceci près que ses convictions étaient largement majoritaires dans la France d'alors. Seul Clemenceau considérait, visionnaire, que ce n'était pas le rôle de la France d'éclairer le monde...
Quelle est la valeur pédagogique de cette volonté d'effacement ? Est-on sûr que cela fasse sens dans la majorité des esprits ? Politiquement, tactiquement, j'en doute.
D'abord, on ne changerait rien à l'Histoire. Ensuite, on générerait une incompréhension qui déboucherait sur une forme d'agacement ou d'indifférence, ce qui provoquerait l'inverse de ce qu'on veut obtenir. Enfin, il n'est même pas sûr d'obtenir gain de cause.
Des grands hommes, il faut tout retenir. Certes, l'Histoire est écrite par les vainqueurs et ces derniers savent imposer leur vision. Mais aujourd'hui, on a atteint un niveau de conscience et de savoir qui permet de faire les choses avec discernement. C'est un peu comme le débat sur les réparations : lutter contre l'oubli passe aussi par le maintien de symboles de nos blessures. Si on "purge" nos manuels d'Histoire, si on ne retient, dans nos monuments, que des figures irréprochables - si tant est qu'elles existent - on glissera non pas vers une Histoire plus juste - ce qui est impossible - mais vers une propagande. Ce qui pose un problème démocratique.
Quel Colbert reste là où il est, mais que son œuvre soit connue. Il serait probablement plus utile d'ajouter de nouveaux héros nationaux, liés à la cause anti-esclavagiste à notre mémoire nationale que d'en retrancher...
De plus, agissons pour que le travail de mémoire résiste aux coupes budgétaires, à l'oubli, à la banalisation ou aux règlements de comptes politiques.
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