A l'occasion de la sortie de ce blockbuster mettant en scène pour la première fois un clin d'œil aux mouvements politiques du même nom. Les Panthères noires dont Agnès Varda a tiré un beau documentaire en 1968 disponible ici. Une autre évocation, plus récente est disponible sur Netflix ("Panthers : Vanguard of a Revolution").
Tout le monde se souvient des Jeux Olympiques de Mexico toujours en 1968, les athlètes Tommie Smith et John Carlos donnent un écho planétaire à ce "Black power" en brandissant un poing ganté de cuir au moment des hymnes pour attirer l'attention du monde sur cette contradiction de la première puissance mondiale qui voulait défendre "le monde libre" partout dans le monde, mais qui mettait du temps à réduire le racisme sur son propre sol.
L'image du Black Panther afro-américain avec sa tenue cuir béret noirs qui entre 1966 et le milieu des années 70 fut considéré par le FBI de J. Edgard Hoover comme "l'ennemi public No.1" des Etats-Unis des années Nixon fait désormais partie du patrimoine. Ce militant était membre d'un mouvement fondé à Oakland en Californie par Huey P. Newton, Bobby Seale et Eldrige Cleaver et qui compta parmi ses membres de nombreuses personnalités comme Angela Davis, Kathleen Cleaver, H. Rapp Brown et Stokely Carmichael. Mais aussi les musiciens Nile Rodgers, Chaka Khan et Dee Dee Bridgwater. Le mouvement dont plusieurs militants sont encore en prison comme Mumia Abu Jamal, ou on été assassiné comme George Jackson, Fred Hampton ou le jeune Bobby Hutton, avait très fortement marqué son époque. C'était la première fois qu'un mouvement politique prônait la fierté d'être noir, mettant en valeur l'esthétique "black is beautiful". Ce parti pour l'autodéfense prônait le port d'armes dans un pays où la police tire sur les Noirs comme sur des lapins, opposant une image assez intéressante au "système" : l'homme blanc armé est une figure normale. L'homme noir armé est une menace. Avant les campagnes sur le récépissé et les contrôles d'identité, moins dangereux en France, mais pas toujours respectueux...
Le mouvement dont le style était assez "milicien", est pourtant assez "mainstream" dans les idées de la gauche radicale américaine de ces années de contestation tous azimuts : idéologie allant de Fanon à Mao en passant bien sûr par Malcolm X et Che Guevara, combats unitaires avec d'autres mouvements comme par exemple ceux animés par Abbie Hoffman et Jerry Rubin. Hoffman et Bobby Seale firent de la prison ensemble d'ailleurs.
Comme le Mouvement des droits civiques inventa dans les années 50-60 des formes de mobilisations qui furent copiées et adaptées dans les mouvements de protestation jusqu'à ce jour, les Panthères firent florès, remportant le soutien de jeunes blancs, inspira les Latinos et les descendants des Cinq cent nations, ces premiers habitants de l'Amérique avant que les Européens n'accostent.
Un tel mouvement qui démontrait avec force le racisme aux Etats-Unis n'irritait pas que le gouverneur républicain de Californie, Ronald Reagan, mais jusqu'au sommet de l'Etat et le FBI organisa une vaste opération d'infiltration qui n'avait rien à envier aux menées de la CIA dans les pays latinoaméricains contre la gauche, quitte à favoriser des coups d'Etats fascistes. Cette opération de déstabilisation qui allait des affaires de drogue à des assassinats eut raison du mouvement qui fut décimé dans les années 70.
Mais en 1971, les Panthères noires firent leur apparition dans un pays qu'on n'attendait pas, Israël. Les damnés de la Terre n'ont pas de frontières qui les séparent dans la misère et il n'était pas finalement anormal que le mouvement connut à cette époque un prolongement dans ce pays encore en devenir.
Bien avant que noirs vivant dans l'Etat hébreu, qui devaient aussi subir le racisme longtemps après qu'ils soient arrivés d'Ethiopie dans les années 80, bien avant la reprise de "Black lives matter" plus récemment, HaPanterim HaSh'horim (Les Panthères noires) fut un mouvement de revendication social des israéliens juifs d'origine orientale d'immigration récente.
Dès la fin des années 40, arrivent en Israël, non seulement des juifs d'Europe, mais aussi d'Afrique du nord et du Moyen Orient, comme le Yémen ou l'Irak. Ces populations sont culturellement différentes des Européens : pas toujours les mêmes niveaux d'éducation notamment. Dès les années 50, les différences dans les politiques d'intégration se font sentir. En clair, dans ces années là, il vaut mieux être d'origine européenne que d'origine marocaine ou yéménite. Ces populations sont installées dans les quartiers qu'habitaient les Arabes avant 1948 et il n'est pas rare que ces quartiers soient les laissés pour compte des politiques publiques.
L'arrivée de ces populations a provoqué des faits traumatisants : examens médicaux poussés pour vérifier si les entrants n'avaient pas de maladies comme la drépanocytose. On a même lu dans des enquêtes que les médecins cherchaient à savoir "si les Yéménites n'avaient pas du sang nègre". Ils en avaient peut-être, car il se produisit en 1959 un événement dans la banlieue de Haïfa qui serait bien banal aujourd'hui dans une ville occidentale : Dans le quartier pauvre de Wadi Salib, un Marocain est malmené par la police et la bavure se produit. S'ensuivent des émeutes sur plusieurs jours. Le sort de ces citoyens de seconde zone émeut jusqu'au roi du Maroc qui prend leur défense ! Bref, en 1971, quelques militants lancent les Panthères noires, version israélienne avec comme revendication l'égalité des droits. Le gouvernement, travailliste à l'époque, ne prend pas en compte cette question éminemment sociale et il ne comprend pas ce mouvement. Pour Moshé Dayan "on ne peut pas à la fois agiter le drapeau de la sécurité et celui de la justice sociale". Saadia Marciano, Reuven Abergel et Michel Biton lancent le mouvement. Ils vont même rencontrer Angela Davis. Ils sont plus vus comme de mauvais garçons que comme une menace pour l'Etat. Un peu comme des Robin des Bois, ils volent le lait dans les beaux quartiers de Jérusalem pour le distribuer dans les quartiers pauvres. C'est leur version du "Free Breakfast" un des programmes sociaux d'alimentation des enfants que les Panthères américaines organisaient à la même période. La gauche travailliste passa à côté de ce sujet de l'intégration des juifs venus des pays arabes, ce que ne fit pas la droite...
Les Panthères israéliennes évoluent vers l'action politique partisane en se rapprochant du mouvement communiste et du parti Hadash qui existe encore aujourd'hui. Plusieurs des fondateurs furent d'ailleurs élus à la Knesset sur les listes de ce parti qui aujourd'hui est membre de la coalition de la "Liste arabe unifiée" dirigée par l'avocat Ayman Odeh et qui constitue la troisième force politique en Israël.
45 ans après, la question sociale et celle de l'intégration demeure un sujet sans surprise dans nos pays. Le combat continue.
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