Depuis dix jours qu'il est candidat de la Belle alliance populaire, Benoît Hamon trace sa route, qui dans dix semaines, pourrait le conduire au second tour de la présidentielle. C'est en tout cas ce que tous les gens de gauche espèrent, malgré leurs réserves ou leurs votes antérieurs.
Je connais Benoît depuis l'automne 1995 quand j'ai adhéré au Mouvement des jeunes socialistes. Dans la micro histoire de la gauche militante, non écrite, mais souvent réécrite, lui et ses amis n'ont pas été des proches sur le plan des idées, même si sa démarche étaient de nous accueillir, nous les proches de Jean-Christophe Cambadélis au sein d'un "pôle de rénovation rocardo-jospiniste". C'était après le retour de Lionel Jospin à la tête du PS, quand, contre toute attente, il était arrivé en tête du premier tour de l'élection présidentielle.
Mais marqués par les histoires dans l'Unef, ses amis ne firent pas durer cette idée qui, pour le coup se réalisa dans le Parti socialiste. Il faut comprendre que les jeunes rocardiens d'alors n'étaient pas au centre de cette jeune gauche militante dont certains venaient de l'extrême gauche et qui foisonnait dans milles associations .
Benoît avait obtenu de Rocard l'autonomie du MJS en 1994 et il avait commencé à construire son réseau alors que Michel Rocard avait cessé d'animer son courant, même si ses compagnons de route continuèrent l'avenir.
Quand il quitta la présidence du MJS après le congrès d'Orléans en décembre 1995, il prit la tête d'une cellule "arguments ripostes" auprès d'Henri Pradeaux, alors, directeur de cabinet du Premier secrétaire, Lionel Jospin. Il m'avais demandé d'en faire partie avec comme objectif d'y mettre des gens issus d'horizons divers, même s'ils s'étaient récemment affrontés. On y était avec Olivier Girardin et Delphine Mayrargue. Benoît avait aussi voulu y inclure Pouria Amirshahi et David Rousset si ma mémoire est bonne.
Le groupe s'est réuni quelques fois et je me souviens d'une note sur la suppression du service militaire voulu par Jacques Chirac, alors Président de la République...
Nous n'avons jamais été dans le même courant et j'ai affronté ses amis dans le MJS, mais comme chef de bande, il est plus bon pote que sectaire.
Du point de vue de l'Histoire, sa victoire à la primaire n'était pas écrite. Même si dans sa communication, lors du congrès de Reims en 2008, lui qui avait réussi à rassembler toutes les gauches au sein du PS, d'Emmanuelli à Filoche jusqu'à Mélenchon, en passant par Maurel, Lienemann et Quilès, il avait pris un pli très "Obama", la seule occasion qui se présenta pour lui fut la bonne, 20 ans après qu'il en eût fini après les organisations de jeunes.
Cela en dit long sur la difficulté qu'a eu le Parti socialiste au fil du temps à intégrer de jeunes cadres au plan national dans sa direction... Même si des pas significatifs ont été franchi sous Martine Aubry et plus récemment avec Jean-Christophe Cambadelis.
Les raisons d'une victoire
Si on veut bien sortir de la solférinologie un peu trop ésotérique pour les citoyens lambdas, les raisons de la victoire de Benoît Hamon à la primaire de la Belle alliance populaire se trouvent dans quelques éléments simples.
L'obsession anti Hollande tarie après le retrait du Chef de l'Etat a basculé sur une hystérie anti Valls avec la volonté farouche de "le sortir". Quand on discute avec des électeurs de cette primaire, beaucoup s'en sont servi comme un moyen d'éliminer l'ancien Premier ministre alors qu'elle devait permettre de choisir un candidat pour la Présidentielle.
Hamon qui avait démarré timidement, au point que certains de ses amis avaient préféré faire campagne pour Arnaud Montebourg, a gagné la bataille de l'attractivité dans cette primaire. Qu'on le veuille ou non, il a donné de l'envie, une forme de fraîcheur qui a ringardisé ceux qui mettaient la barre haut en termes de critères sérieux. Une situation qu'on voit souvent dans l'Histoire. Pour la social-démocratie européenne, elle a commencé, on nous en excusera, avec Tony Blair au début des années 90. Elle s'est poursuivi avec Matteo Renzi qui adopta lui aussi le style "chemise blanche" que plusieurs dirigeants PS arboraient lors des université d'été à La Rochelle.
Evidemment, on pense aussi à ceux dont Benoît s'est réclamé comme les leaders de Podemos ou de Syriza, à ceci près qu'eux sont pris dans des contradictions qui ne les conduisent pas à la possibilité d'appliquer leur programme. C'est vrai pour Syriza, même si Alexis Tsipras a trouvé les bons alliés européens pour défendre sa politique - les sociaux-démocrates. Encore plus pour Podemos dont le deuxième congrès a vu triompher, malheureusement, la ligne intransigeante de Pablo Iglesias qui, refusant l'union, favorise la droite.
"Uma esquerda nova"
Voilà pourquoi Benoît Hamon a mille fois raison de faire son premier déplacement de candidat à Lisbonne. La gauche ne peut gagner que dans l'unité et il n'est pas anormal que le candidat de la Belle alliance populaire cherche à élargir cette alliance des gauches et à faire éclater les replis sectaires.
Dans la gauche radicale, on rêve de "pasokisation" du PS ou de "sorpaso". Mais le "substitutisme" est un horizon qui demande tellement de temps et d'efforts pour un résultat tout sauf assuré, que cela fait perdre de vue l'essentiel : la victoire de la gauche pour barrer la route à la droite et l'extrême droite bien sûr, mais surtout pour appliquer un programme de justice sociale.
Aujourd'hui la "pasokisation" n'a plus grand sens à partir du moment où la crise au sein de Syriza où Tsipras confronté au réel et à des rapports de force doit choisir entre le dogmatisme et le pragmatisme et où la gauche s'est reconstituée dans un nouvel Alignement de la gauche démocratique qui fera l'inventaire des années Pasok et permettra l'unité du centre gauche grec nécessaire pour empêcher un retour de la droite au pouvoir.
Beaucoup ignorent savamment la situation portugaise qui est un formidable démenti pour ceux qui craignent ou croient à la guerre des gauches.
Les socialistes, le Bloc de gauche ainsi que les communistes et les écologistes ont réussi là ce que personne n'avait réussi depuis la Révolution.
Mário Soares et Álvaro Cunha étaient en compétition pour le leadership et empêcher que le souffle de la révolution ne retombe dans les mains d'un pouvoir contre-révolutionnaire qui dévoierait par une politique conservatrice voire réactionnaire les aspirations démocratiques que le mouvement des forces armées et le peuple avaient exprimées, une fois n'est pas coutume, par des voies pacifiques.
C'est un juste retour de l'Histoire que de faire le voyage jusqu'à Lisbonne pour s'y inspirer des possibilités d'une gauche nouvelle après que, dans les années 70, ce soient Le Parti socialiste français et Le SPD qui furent des références pour le renouveau du socialisme portugais.
Mais si l'unité est belle, la méfiance est réelle. Le désir du "sorpaso" n'est qu'une version moderne de la vieille envie des communistes de "plumer la volaille social-démocrate". Mais tandis qu'à l'intérieur de la gauche on s'envoie des noms d'oiseaux, Le FN guette et se prépare à la conquête en trompant nos électeurs par des mots de gauche.
À la fin c'est l'Histoire qui jugera sévèrement ceux qui ont fait obstacle à l'unité.
Mitterrand a gagné avec la rose et le réséda. Aidons benoît à gagner avec la rose et l'oeillet.
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