Son visage faisait penser à celui de Roman Polanski. Tous deux d'origine polonaise, tous deux hommes de cinéma. Mais Charles Najman, que je n'ai pas connu, avait eu une autre vie avant, celle d'un militant révolutionnaire, amoureux de toutes les causes. Il est décédé le 18 juillet dernier. Avec lui, c'est une fratrie politique qui s'en va, celle qu'il formait avec son frère aîné Maurice (1948-1999), figure des comités d'action lycéens en mai 1968 et compagnon de route de l'extrême gauche avant d'être un des piliers du quotidien Libération.
Les comités d'action lycéens se donnaient pour but d'organiser les lycéens - mineurs en 1967-1968 et dans leurs dirigeants, outre Maurice Najman, il y avait aussi Romain Goupil et Michel Recanati, futurs dirigeants de la Ligue communiste. Goupil a porté à l'écran l'histoire de cette génération à travers le portrait qu'il consacra à son ami Michel, dans le très beau Mourir à Trente ans. L'Histoire des CAL a sont importance car c'est eux qui furent à l'origine du concept de coordination dans lesquelles s'organisent les contestations de la jeunesse scolarisée - lycéenne ou étudiante - depuis le début des années 70.
Les frères Najman incarnaient cette génération particulière, ces "juifs polonais nés en France" comme disait Pierre Goldman.
La grande-mère s'appellait Maria Luxemburg, cousine d'une certaine Rosa. La mère, Solange, était une rescapée d'Auschwitz et on parlait yiddish à la maison. Avant la guerre, elle avait fait la grève à Łódź avec une cousine de Léon Trotsky. Histoire classique de ces enfants du Yiddishland entrés en révolution comme on entre en religion. Comme le disait lui-même Charly, "le messianisme trotskiste, est le fruit d'une rencontre entre la mystique juive et la mystique révolutionnaire".
Maurice est né à Paris. Il porte le prénom de son oncle, Maurice Najman qui a été assassiné pendant la guerre civile espagnole. La famille Najman a croisé la famille Gluckstein dans les ghettos de Łódź et de Radom...
"Logiquement" les frères Najman sont communistes. Puis, par antistalinisme, militants dans les divers groupes trotskystes comme l'AMR, l'Alliance marxiste révolutionnaire, qui a représenté un courant originale de l'extrême gauche française. Sans trop rentrer dans l'exégèse d'une micro-histoire de militants qui ont tous les cheveux gris de nos jours quand il leur en reste, cette tendance, qui était proche de Michel Raptis dit "Pablo", un trotskyste grec qui s'était opposé à Pierre Lambert au début des années 70. Leur originalité était de penser les mouvements sociétaux et sociaux en sortant de l'ouvriérisme. L'AMR faisait partie du courant autogestionnaire et il eut même une fusion temporaire avec le PSU.
Maurice a co-fondé après sa rupture avec le PSU, les Comités communistes autogestionnaires (CCA) en 1977 dans les rangs desquels on croiserait au fil des années des militants de valeur comme Gilles Casanova, le futur préfet Didier Leschi, l'historien Robi Morder, le journaliste Michel Taubman...
L'aventure AMR-CCA qui ne rassemble que quelques centaines de militants, essaime quand même dans plusieurs directions. La LCR, le PS (courant Jospin et Chevènement), les Verts, la gauche alternative, le Mouvement des citoyens. Plusieurs de ses dirigeants sont compagnons de route du Monde diplomatique, auquel Maurice Najman a lui-même collaboré. Après avoir soutenu la candidature Krivine à la présidentielle de 1969, Najman soutiendra celle de Coluche en 1981 et celle de Pierre Juquin en 1988.
Charly, né en 1956 suit les traces de son soixante-huitard de frère avec la génération "post 68" qui entre en politique en 1971 pour défendre le lycéen Gilles Guiot, puis en 1973 avec le mouvement contre la loi Debré et en 1976 avec le mouvement contre la réforme Saunier-Seïté où il côtoie Jean-Christophe Cambadélis, Julien Dray et beaucoup d'autres. Il a fondé la revue philosophique Quel corps ! avec Michel Field et Jean-Marie Brohm. Cette revue qui a cessé de paraître en 1997 portait sur la critique du sport.
Après des études de philosophie et d'anthropologie, le militant se passionne pour Haïti. A l'instar là encore de Goldman qui connaissait par coeur la culture caribéenne - il fut un des importateurs en France de la musique latino et il parlait couramment le créole, Charly Najman fut l'un des meilleurs connaisseurs d'Haïti. Il voyait dans la culture noire afro-caribéenne et son cortège de déracinements et de réenracinements provoqués par l'esclavage notamment, un miroir de la culture juive marquée elle aussi par la dispersion et l'extermination. Il laisse une œuvre dans laquelle on retrouve ces passions.
C'était une jeunesse dont les parents avaient été témoins, résistants ou victimes du fascisme. Elle voulait changer le monde et elle se posaient en vigie des réveils de la bête immonde. Elle se passionnait pour le monde, elle voulait tout changer. Rien en elle n'était fondamentalement conservateur ou réactionnaire.
Dans l'Histoire de l'extrême gauche française des années 70-80, le nom Najman était incontournable. Il appartient désormais à un héritage politique qu'il n'est pas inutile de revisiter au moment où certains dans la gauche radicale s'égarent loin de leurs bases.
Adieux camarades ! Et quant à nous, ne faisons pas en sorte que le vieux monde doit devant nous...
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