Journée historique que celle du 23 juin. On savait depuis Thatcher que le Royaume-Uni n'était pas un Etat-membre de l'Union européenne comme les autres. Régime à part, toujours plus, sans que jamais cela ne satisfasse les eurosceptiques dans ce pays. Jusqu'à ce qu'ils fassent scission, créant, hors du parti conservateur leur propre formation politique qui finit par faire des performances électorales inquiétantes ces dernières années.
Le Labour élargit son espace jusqu'à rogner sur celui de la droite. La droite se radicalisa, allant jusqu' à rompre avec sa propre famille politique européenne lorsque le parti conservateur quitta le Parti populaire européen pour rejoindre le camp de la droite europhobe au sein de l'Alliance des conservateurs et réformistes (ECR) auquel appartient l'ODS de Václav Klaus, le PiS polonais ou encore l'AKP d'Erdogan.
David Cameron céda à cette pression en allant sur le terrain des europhobes. Ce terrain qui était une voie royale pour Nigel Farage, se transforma en marécage pour lui. Cameron finit mal : minoritaire dans son parti, il a perdu son pari et pris le risque de disloquer son pays.
Rien ne l'obligeait à céder sur le référendum. Le programmer c'était en assumer d'avance l'issue car finalement, les arguments populistes demandent toujours moins d'efforts que les arguments réalistes.
L'erreur n'est pas celle du peuple, il faut toujours respecter ses choix, mais celle des dirigeants qu'il se donne quand ils jouent aux apprentis sorciers.
Tout le monde se souvient de cette scène de la Vie de Brian où Reg mobilise son groupuscule contre les Romains en posant la question "Qu'est-ce que les Romains ont jamais fait pour nous ?" Ses camarades égrènent naïvement des exemples dont la liste conduit à penser que sans les Romains, la vie ne serait pas aussi confortable. Mais reste une question : celle du sens.
Le vote britannique constitue à l'évidence une rupture dans l'Histoire de l'Union européenne qui célébrera l'année prochaine le soixantième anniversaire de la signature du Traité de Rome.
Chacun trouvera dans les raisons de ce vote les thèses qui l'arrangent et dans les solutions l'occasion également d'avancer son projet. On peut convoquer l'Histoire et regarder la spécificité britannique en Europe. Une nation qui fut toujours le grain de sable des grands mouvements du continent. Il est aussi "amusant" de noter que ce vote survient 950 ans après la seule conquête de l'île qui ait réussi. Ce pays qui a inventé la démocratie parlementaire moderne, le libéralisme et le capitalisme n'a pas souhaité contribuer à l'invention d'autre chose alors même qu'avec un Winston Churchill, il avait pu montrer toute sa capacité à parler au monde à sa manière.
Il y a des moments comme cela où on renonce.
On a dit qu'il ne fallait pas "garder les Anglais malgré eux". C'est le problèmes des européistes : ils ne veulent pas voir l'Europe se disloquer, mais ils ne savent pas comment inciter les peuples à rester.
Le projet européen était révolutionnaire car il voulait créer un espace politique au-delà des Etats nations. C'était plus facile à faire dans le cadre d'un marché que sur le plan de la société. On a fait le Marché commun en attendant la société et la démocratie communes.
L'Union européenne est née de la prise de conscience du chaos des deux guerres mondiales causées par le nationalisme. C'est au nom du "plus jamais" ça, au nom de la coopération fraternelle entre les peuples qu'on a bâti sur les ruines des vieux empires continentaux, un projet de civilisation sans l'aide de l'armée, sans autres conquêtes que des conquêtes démocratiques, sociaux, de nouveaux droits, de nouveau ponts là où d'autres bâtissaient des murs.
Le Brexit est la première voie d'eau importante causée, disons-le, par le national-populisme. Ce n'est pas, en effet, au nom de la solidarité que des gens ont considéré qu'il fallait démanteler l'Union européenne.
Si les Nordiques ont toujours été tièdes sur l'intégration européenne au nom de la préservation de leur modèle d'Etat providence, la social-démocratie a toujours été pour que ce modèle exemplaire soit étendu à l'Europe toute entière, contre le souhait des conservateurs et des nationalistes. Pour y parvenir, il faut achever l'harmonisation sociale et l'harmonisation fiscale.
On a souvent dit qu'il y aurait plus d'homogénéité dans la construction européenne sans la présence des Britanniques. C'est probable. L'idée d'une société plus qu'un marché avec tout ce qu'il peut y avoir d'interdépendant est pleinement d'actualité. Pourquoi l'Etat et la démocratie ne seraient pas ainsi pour garantir plus de droits démocratiques et de droits sociaux alors que le marché sait se moquer des frontières ?
Alors comment en sortir ?
Par "Plus d'Europe", "Mieux d'Europe". C'est-à-dire en remettant de la politique, du mouvement en lieu et place de la norme.
Plusieurs dirigeants européens sont avant tout en quête de stabilité, mais cette "stabilité" qui est le prolongement du statu quo ne permet pas de répondre aux questions et aux urgences.
D'abord, il faut affirmer, comme le font le PS et le Président français, la clarté du vote. Ne pas ruser et laisser penser que la Grande-Bretagne peut conserver les avantages de l'Union alors qu'elle a voulu en sortir. Ensuite, il faut affirmer l'ambition politique d'une UE plus volontaire. On a souvent dit que le frein à une Europe plus sociale et plus politique avait été la Grande-Bretagne, alors "chiche !". Enfin, il faut donner des résultats aux exigences des peuples.
Ce n'est pas en faisant un nouveau traité ou en sortant des traités, c'est-à-dire par avec le débat institutionnel, mais par des projets concrets. Au passage, la démission du Commissaire Hill qui enserrait Pierre Moscovici est une possibilité pour élargir les moyens d'un Commissaire dont les fonctions ne seraient plus corsetées par celles d'un collègue qui faisait doublon...
La droite européenne n'est pas en mesure de montrer une nouvelle voie car le Brexit est la conséquence de sa politique. Non pas la seule austérité, bien qu'elle provoque elle aussi des ravages, mais l'ultralibéralisme et le repli nationaliste que cela engendre. On l'a vu dans les thèmes de campagne et aussi dans les raisons du refus britannique à l'approfondissement de l'Union européenne depuis 45 ans. Cameron avait d'ailleurs poussé les feux sur cette ligne en rompant avec le PPE en 2009 comme on l'a indiqué plus haut.
C'est la social-démocratie qui peut proposer un nouvel horizon praticable à condition d'être concrète. En son sein, il y a aussi des crispations nationales et des inquiétudes face à la pression des populistes, mais l'équation est simple : les populistes ne veulent pour de l'Union européenne, les socialistes veulent à la fois plus d'Union européenne et mieux d'Union européenne.
Il y a une majorité progressiste pour aboutir. Il faut la rassembler et l'adosser à un soutien populaire car c'est pour les peuples que l'Europe que nous voulons doit exister.
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