Le 27 avril dernier a commencé un cycle de commémorations de l'abolition de la traite négrière et de l'esclavage. Nous étions quelques uns a nous rendre au Panthéon pour rendre hommage à Victor Schoelcher (1804-1893), l'homme qui mena le combat politique qui abouti le 27 avril 1848 à la promulgation du décret d'abolition de l'esclavage. D'ailleurs, rappelons que la France est le seul pays au monde à avoir reconnu la traite et l'esclavage comme "crime contre l'Humanité". Voire Schoelcher reposer au côté de Delgrès, mais aussi Jaurès, Eboué et Césaire c'est se souvenir de ces serviteurs inlassables de la dignité humaine.
Cette année, ce cycle de commémoration, qui va se le 10 mai avec la journée nationale en présence du Président de la République, même si bien sûr en Martinique par exemple, on célébrera la mémoire des victimes de l'esclavage le 22 mai comme il se doit.
Dans la même période, la "fête" juive de Yom ha Shoah fut le moment pour les juifs du monde entier de se souvenir des quelques six millions d'hommes, de femmes et d'enfants, victimes du génocide perpétré par les nazis et leurs supplétifs entre 1933 et 1945.
Jusqu'à récemment, on a vu que la barbarie n'épargne pas quand elle frappe. Dans les tueries de Montauban et de Toulouse, juste avant de s'en prendre aux enfants de l'école juive et de s'acharner sur eux, le meurtrier a tué et blessé des militaires. Parmi eux, un jeune guadeloupéen, aujourd'hui tétraplégique, un peu oublié. Loïc Liber. En 2015, dans sa course folle, l'assassin de l'hypercasher de la Porte de Vincennes assassine une jeune martiniquaise, Clarissa Jean-Philippe.
Dans les deux cas, ces jeunes ne furent pas visés pour ce qu'ils étaient, des ultramarins, mais pour ce qu'ils incarnaient. La défense du territoire et la protection de nos concitoyens.
Qu'il s'agisse de la grande Histoire plus ou moins lointaine ou de faits d'actualité plus récents, nos mémoires sont mêlées car nous sommes tous, quelque soit notre origine ou notre foi, des frères et des soeurs en humanité.
La mémoire de l'esclavage comme celle de la Shoah, ont en commun d'avoir façonné deux peuples dont le destin fut changé à jamais par ces tragédies que rien ne peut ni banaliser, ni effacer. En aucun cas non plus, elles ne peuvent être appréhendées pour la vengeance, le ressentiment ou l'exclusion.
Car il y eût des héros, connus ou anonymes, et des Justes. Des gens qui ont pensé, en avance sur le temps parfois, que ces choses ne pouvaient pas continuer. Des gens qui ont pris la mesure de ce qui se passait. Des descendants d'esclaves ont, moins de cent ans plus tard, pris les armes pour défendre la démocratie sur les champs de bataille d'Europe. Certains ont fini dans des camps nazis, d'autres ont contribué probablement à leur libération. C'est aussi un des chemins de l'Histoire humaine.
La tradition juive est faite de répétition sans cesse. Alors on se souvient, et parce que la Shoah est plus récente dans l'Histoire, il y a encore des Survivants et aussi des noms, des photos et de souvenirs. Pour les ultramarins descendants d'esclaves, il a fallu reconstituer des fragments de mémoire, un peu comme si l'Atlantique était une mer morte, linceul immense et fouiller au fond de soi, pour exhumer non plus des corps, mais des noms ou des traces de ce qui avait été subi.
L'Histoire est aussi faite de ruses et de revanches symboliques. Jeudi dernier par exemple, la ville britannique de Bristol, ancien port négrier anglais, a élu pour maire, Marvin Rees, né d'un père jamaïcain et d'une mère anglaise. A Bristol, une statue et une école rappellent encore Edward Colston, un marchand d'esclaves dont la fortune fit la richesse de la ville. A Paris, quelques mois après son élection, Bertrand Delanoë débaptisait la rue Richepance pour la renommer du nom du Chevalier de Saint-George.
Mais la mémoire ne sert pas à rester les yeux tournés vers le passé. Elle n'a de sens que si elle permet d'avancer, non pas en tournant le dos au passé, mais en prenant appui sur lui pour affronter les défis qui sont devant nous. Les négriers ou les colonialistes disaient parfois que cette servitude n'était pas si dure ou alors qu'elle avaient la vertu d'arracher le nègre à sa misérable condition. Ce qui est certain, c'est que les peuples martyrisés refusent de vivre à genoux et comme l'esclavage et la persécution sont de terribles machines à déshumaniser, choisir le moment de sa mort est une liberté que l'oppresseur ne peut prendre à celui ou celle qui se bat. Il faut transmettre la mémoire et laisser le ressentiment rouiller avec les chaînes qui sont tombées. Ceux qui militent pour un musée de l'esclavage en France ont raison. Ce doit être un projet fédérateur.
En cette journée du 10 mai, où on célèbre aussi bien la mémoire des abolitionnistes et des victimes de la traite négrière, rappelons-nous toujours que la barbarie ne recule que lorsque des hommes et des femmes se lèvent ensemble pour défendre la Liberté, l'Egalité et la Fraternité.
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