Sur BFM TV, quand une ministre dérape ou cale face à Bourdin, cela fait le buzz. Quand on a une passe d'armes entre un dirigeant socialiste et Eric Zemmour sur le plateau d'Appoline de Malherbe, cela passe inaperçu.
Pour une fois, on n'a pas eu un festival de petites phrases, de "clashes" ni d'un déballage de pensée molle, mais une confrontation politique entre deux personnes qui ne recherchent pas le consensus, mais qui, au contraire, assument leurs idées, obligeant leur contradicteur à ne pas se cacher.
Seuls des sites d'extrême droite en ont parlé. Et pourtant, on a vécu l'autre jour un moment important dans le débat politique : l'expression par Zemmour lui-même du débouché politique idéal pour appliquer son programme politique. Cela valait donc le coup de revenir sur ce débat qu'il est possible de revoir en vidéo.
C'était le 29 février dernier.
Eric Zemmour est un journaliste très cultivé qui a tranquillement bénéficié d'une tribune libre sur le service public, dans le Figaro, sur RTL, iTélé et Paris Première en passant par Marianne. Il ne manquait plus que Valeurs actuelles et Radio Courtoisie, mais le rayonnement de ces médias ultra réacs et conservateurs pour ne pas dire plus est bien moins large. Tel un Pauwels, Eric Zemmour qui voue un vrai culte à Napoléon, distille donc depuis plus de cinq ans ses idées rassemblées dans un essai qui a fait un carton en librairie, le Suicide français dont nous avons parlé ici.
Comme tous les nationalistes classiques depuis Barrès, Zemmour est un nostalgique et un pessimiste. "C'était mieux avant", "maintenant c'est la chienlit" et sa prétention à démonter méthodiquement tout les acquis de la France moderne qui, des années 60 à nos jours a été un pays d'émancipation fait le bonheur de cette droite "décomplexée" qui n'osaient pas afficher ses tendances rétrogrades. Zemmour assume son racisme, son sexisme et son ultra conservatisme. Il se moque des caractérisations qui pour lui n'ont rien d'infamant. Cette pensée assumée, même pleine de contresens, d'approximations ou de réécritures de l'Histoire fait le bonheur des réacs de tous poils qui peuvent enfin oser dire "la France c'est un pays de Blancs judéo-chrétiens".
Mais tout ça, on le sait déjà. Comme on sait aussi que cette pensée politique, qu'on a par certains aspects rapproché de celle d'un Alain Finkielkraut, a ses partisans à gauche. Un pessimisme militant taraudé par le déclin, replié sur lui-même, obsédé par l'identité, obnubilé par l'invasion. Tout cela fait un peu "défense de l'Occident". On clame la défense du peuple, mais ce peuple est blanc et ceux qui le défende en intentions sont des bourgeois bien au chaud dans les beaux quartiers. On dénonce l'islam(isme), le salafisme, le voile sous toutes ses coutures, on accuse tous les politiques, surtout ceux de gauche de communautarisme et de clientélisme (ça marche surtout pour certains "groupes"), on prophétise le péril vert en disant que ça conduira à faire gagner le FN, sans s'apercevoir que le FN ne dit pas grand chose de différent, sans jamais dire ce qu'il faut faire pour lutter contre ces problèmes. Mais si Finkielkraut ne fait que critiquer la modernité et ses aspects culturels, Zemmour, dans l'entretien face à Cambadélis, a franchi un cap. Du confort de la dénonciation, il s'est aventuré, contraint, sur le terrain de la prolongation politique de son discours. D'abord en indiquant que seule une alliance FN-LR pourrait incarner son programme et ensuite en suggérant un truc incroyable : "il faut que les musulmans se détachent de l'islam" (à la 27e minute).
L'intérêt du débat fut clairement que pour une fois, la discussion ne s'est pas limité à un Zemmour récitant ses thèses face à un politique assénant ses dénonciations. Au contraire, le polémiste a été obligé de dérouler son discours jusqu'au bout. Comme dans cet entretien à un journal italien où il avait évoqué la "déportation" des musulmans.
L'obsession identitaire est mortifère pour la gauche, laissons-la à l'extrême droite
On ne va pas se mentir, la zemmourisation du débat politique a aussi contaminé la gauche. Même quand il y a des réponses de gauche, comme les ouvrages de Cambadélis, suivi par ceux de Finkelstein et de Martelli, on ne les prend pas en compte, on se contente de compter le nombre d'exemplaires vendus. Les attentats de janvier et de novembre 2015 ainsi que ceux de mars 2016 à Bruxelles n'ont été qu'un facteur aggravant de cette obsession. Le discours sur "l'ennemi de l'intérieur", la "cinquième colonne" évoquée par Estrosi fait vibrer. Mais il n'est pas de gauche car il ne nourrit que la défiance. Il piège les musulmans qui sont sommés de montrer patte blanche, mais ceux-ci sont coincés entre les barbus et les imberbes. D'un côté on leur reproche d'être de mauvais musulmans, de l'autre, d'être des musulmans.
Contrairement à la pensée Zemmour, la gauche croit dans l'émancipation. Les éléments identitaires, elle s'en méfie, même s'il s'agit de réalités vécues par certaines populations. Le débat n'est pas nouveau. La question nationale a toujours été un sujet de débat à gauche, mais lorsqu'elle a pris le pas sur la question sociale, cela a débouché sur des parcours funestes.
L'émancipation passe par l'éducation et la "conscientisation" - vieux mot - mais concept toujours actuel. La gauche ne peut se contenter d'être sur la défensive. Elle doit bien sûr défendre ses acquis, mais aussi travailler à la conquête de nouveaux droits. C'est en étant capable de produire de nouveaux récits et de nouvelles conquêtes progressistes que l'on assèche le terreau du repli identitaire qui est une réponse, mauvaise aux angoisses de la modernité.
La gauche ne doit pas se laisser piéger dans ces débats sur le "choc des civilisations" sinon elle sera disqualifiée.
Jamais on n'entend de discours sur les moyens de s'attaquer aux racines du problème. Aux conditions économiques et sociales ou aux représentations qui conduisent des gens à ne pas ou ne plus se reconnaître dans la République. Si on s'obstine à afficher une intransingeance avec les effets et une indifférence avec les causes, on ira vers la guerre civile.
On ne peut pas avoir pour slogan "la République tu l'appliques ou tu la quittes".
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