En huit épisodes, la première saison de Baron noir, « création originale » de Canal Plus est au niveau des créations précédentes de la chaîne cryptée. Inventive, bien documentée, bien filmée. Il y a de moins en moins de choses à envier aux séries américaines qui constituent depuis longtemps une référence absolue. D’ailleurs, c’est bien les Soprano et the West Wing qui ont été des modèles du genre, jusqu’ici inégalés.
C’est la référence pour les créateurs de Baron noir. Revenons d’abord à l’un d’entre eux.
Eric Benzekri a été pendant plus de dix ans, un militant. SOS racisme, Unef-ID, MJS, PS, il était un fidèle de Julien Dray et un très proche de Malek Boutih. Je l’ai rencontré en 1995 il était un des meilleurs orateurs du MJS. Il y dirigeait les jeunes de la Gauche socialiste avec Dominique Sopo et d’autres camarades dont certains ont totalement disparu des radars. Eric surjouait son côté méditerranéen. Fou de foot et de rap, hyper affectif, il savait impressionner ses concurrents avec malgré un physique moins imposant que celui de son mentor dont il imitait beaucoup d’aspects. La voix qui part dans les aigus quand il fallait être en colère, la tête qui s’agitait, les mains en avant quand il fallait démontrer, cette manière d’asséner les choses comme une vérité implacable.
Puisqu’on en est à parler de lui, deux anecdotes amusantes :
Lors une réunion du MJS où nous dénoncions l’accord tacite entre la Gauche socialiste et les amis de Benoît Hamon qui, à l’époque se situait sur une ligne « gauche moderniste », un de nos orateurs, Alexis Bachelay, voulut dénoncer, dans une intervention vigoureuse, la nature « trotskyste » de la Gauche socialiste et l’accord tactique qu’elle passait avec l’aile droite du MJS, c’est-à-dire sa direction tout en affichant son intransigeance sur le plan doctrinal. Pendant cette intervention, le camarade Benzekri se lève, il va vers l’orateur. Il s’asseoit ostensiblement à côté de ce dernier et place son visage quasiment sous son nez. Objectif évident : déstabiliser Bachelay, qui, courageux, ne se laisse pas démonter.
Lorsque l’affaire des montres de Julien Dray sort, nous, les proches de Cambadélis, sommes déjà tendus par l’usage des affaires que le MJS peut faire. Dans un café de la place de la Sorbonne, nous nous voyons à la veille d’un congrès du MJS qui doit se tenir à Tours. Eric qui défend une motion minoritaire comme nous prévient : « si NG (la direction du MJS) nous parle des montres, on cogne ». On s’attend donc à une ouverture de congrès un peu musclée. Il est vrai que dans les votes fédéraux, des revues de presse ont été affichées dans les locaux où les militants votaient. Mais le jour du congrès, Eric a une intuition. Il descend vers la tribune. Prenant de cours des lazzi qui ne peuvent partir que de militants courageux de loins, il arrive à la tribune, brandissant sa montre au bout d’un poing vengeur. Applaudissements et rires nerveux, le débat sur la montre est clôt.
Bref, Eric savait parfaitement exploiter le rapport de fascination-répulsion que ces jeunes socialistes nourrissaient à l’égard de Julien Dray. La transgression aura lieu en 2002, lors de la formation du courant « Nouveau parti socialiste »…
Sorti du clanisme, besoin de respirer, Benzekri qui fut probablement le plus « drayiste » de tous, rompit avec fracas, soutenant Malek Boutih, autre fidèle, dans sa conquête de la circonscription de l’Essonne qui avait été, depuis 1988, celle de Julien Dray.
La reconversion du jeune leader dans l’écriture fut un bon succès. De Maison Close – pas un huis clos politique – à Baron noir en passant par Les Lascars, on voyait une belle plume, aussi imaginative que le gars avait été brillant orateur et bon organisateur.
Avant Eric, Olivier Faure, alors directeur adjoint de cabinet avait commis une BD dont le trait rappelait Marjane Satrapi évoqua « la vie quotidienne à Solférino » dans Ségo, François, papa et moi, en 2007. Il se défend de s’est inspiré de Julien Dray qui, décidément les fascine tous – mais le personnage principal arbore quand même la même rondeur, la même calvitie et le même bouc.
Le PS, un feuilleton…
Qu'un militant politique se reconvertisse dans la télévision où le cinéma n'est pas nouveau. Jacques Kirsner aujourd'hui producteur de Sartre, l’âge des passions, de Jaurès, naissance d’un géant, ou encore de la Passante du Sans-Souci était Charles Berg, un des leaders étudiants de l'AJS, la branche jeune de l'OCI. Romain Goupil dirigeait les comités lycéens des JCR et son film Mourir à trente ans, hommage à son ami Michel Recanati permettait de revenir sur ces années d'engagement militant dans la Ligue communiste entre 1968 et 1973. Et alors quArte rediffuse ces jours-ci les films de Costa-Gavras, Baron noir n'échappe pas à la comparaison.
Finalement Costa-Gavras, Goupil et Kirsner n'ont jamais cessé à travers leur travail, de militer ou de mettre en valeurs une certaine idée de la gauche. Comme les frère Patrick et Michel Rotman, eux aussi passés comme Goupil par la LCR, qui, à la suite d'un Chris Marker, sont des bons documentaristes.
Baron noir cède à la mode du moment. Le temps n'est plus à l'idéologie, à la pédagogie, mais à la description "objective" du politique. Sous prétexte de montrer tous les angles du politique, ce sont les plus sombres qu'on retient. La corruption, le cynisme et la violence, même si c'est au service d'une bonne cause. Il est vrai que deux séries sur les Borgia et trois saisons de House of Cards sont passées par là...
On ne peut reprocher à Eric Benzekri d'avoir fait une série qui ne rend pas service au parti socialiste. Là où la presse rend compte de la politique comme d’une mauvaise série dans laquelle tout ne serait que cynisme, calculs et manœuvres – reléguant au second plan l’info la vrai, les prises de positions ou les discours – le créateur de Baron noir, à l’inverse des journalistes, ne prend pas ses fantasmes pour la réalité, il raconte une histoire sans prétendre suggérer une morale pour cette histoire. Le rôle du syndicaliste CFDT interprété par l'ancien responsable Xavier Mathieu renforce le désir d'authenticité et le malaise puisque des contentieux entre ouvriers d'usines en difficulté et élus socialistes déterminés à les défendre, il y en a quelques uns.
Ceux qui ont milité dans les rangs socialistes dans le dernier quart de siècle, reconnaîtront les allusions, codes et clins d’œil. Les plus drôles étant la reconstitution d’une réunion du Conseil national ou d’un « mouv » étudiant où là, l’allusion est plus claire : un jeune leader « beur », un mouvement étudiant qui part de Villetaneuse pour tordre le bras au gouvernement…
En effet, la série est remarquablement documentée. Le temps des conquêtes que l’on voit à plusieurs reprises était le nom du bulletin des jeunes socialistes. Il existe bien des Marquaille militants socialistes dans le Nord, un Laurent Miermont (avec un « e ») qui ne se voit pas chef de courant ni Premier ministre. Le Président Laugier avec sa coiffure à la Caselli a une allure de socialiste dont on imagine mal la jeunesse engagée. Que nous réservent donc les saisons suivantes ?
Un divertissement un peu trop codé pour les profanes…Pas forcément valorisant pour l’image du militantisme politique. En attendant un Borgen ou un West wing à la française !
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