J'ai souvent pointé et regretté la division du mouvement antiraciste. Elle a pris un tour inquiétant ces derniers mois. Par le passé, ce qu'on appelait l'antiracisme, était un mouvement unitaire et généreux. Les uns prenaient en charge les luttes des autres. Il n'était pas segmenté. Il ne subissait pas l'impact incapacitant de la situation internationale.
Cette situation dure depuis un peu plus d'une dizaine d'années. A entendre les uns et les autres, il y aurait des luttes prioritaires. Pour les uns l'antisémitisme, pour les autre les autres formes de racisme. Les termes "négrophobie" et "islamophobie" sont contestés. On joue au jeu sordide de la concurrence des mémoires, des victimes, au relativisme... Le pire arrive quand on glisse sur la pente dangereuse du révisionnisme et du négationnisme alors que les réseaux sociaux laissent pulluler les théories les plus folles ou les thèses complotistes les plus dingues devant les yeux d'un public jeune sans filtres et sans protections.
On aurait pu imaginer que la Ligue des droits de l'Homme se replace dans le sillage de son glorieux héritage. Francis de Pressensé et ses amis, les défenseurs d'Alfred Dreyfus et leurs suivants, compagnons de route du mouvement socialiste - la SFIO fut réorganisée dans la Résistance par Daniel Mayer qui devait par la suite diriger la Ligue des droits de l'Homme - ne firent jamais chemin commun avec des personnalités controversées.
Le front commun LDH, Mrap, SOS racisme, Licra s'est fissuré depuis longtemps. Souvent les militants s'en sont allés ou ils ont vieilli. Parfois, comme Mouloud Aounit, ils nous ont quitté trop tôt.
La Dilcra peut être l'occasion de ressouder ce front, de l'élargir et de le rajeunir. Gilles Clavreul n'est pas un de ces énarques arrogants qui savent tout. Il est demandeur, disponible, curieux. C'est la première fois qu'un gouvernement saisit l'urgence du combat contre le racisme. Il ne faut pas laisser passer l'occasion car chacun saisit bien les périls que nous encourrons.
Dans les années 70-80, le racisme tuait. Le Front national n'était qu'un groupuscule qui a fini par grossir, offrant un cadre politique pour l'expression d'un racisme qui pour l'extrême droite est un élément de son programme, une grille de lecture de la société.
L'apport de toutes les organisations fut alors d'imposer dans la société française le fait que celle était métissée, mélangée et donc riche de ces apports qui ne pouvaient que la renforcer à condition qu'on se batte dans le même élan pour l'égalité des droits.
La France a choisi d'être une puissance, notamment coloniale. Son rayonnement a également attiré vers elle des peuples qui ont adhéré à son projet. Avant que François Hollande n'en fasse le thème de sa campagne, le rêve français illuminât le monde pour ceux qui croyaient en la liberté, l'égalité et la fraternité. Ceux qui rêvaient d'émancipation et de droits nouveaux. "Heureux comme Dieu en France" disait le vieux proverbe yiddish répété de shtetl en shtetl de Lodz à Odessa et de Lublin à Vilna. Malgré les affres du colonialisme, les idées qui ont fait éclore la République voyagent et atteignent les villages. C'est d'ailleurs toute la contradiction de la colonisation : franciser les indigènes, c'est leur donner les moyen de lutter pour leur propre émancipation. Bien sûr l'histoire ne fut pas si simple puisque le colonialisme traîne derrière lui un cortège de cadavres et de vies mutilées.
Dans la lettre que la Ligue des Droits de l'Homme adresse à Gilles Clavreul, il n'y a pas de réponse à une question centrale : comment peut-on s'afficher avec un groupuscule comme le PIR qui dénonce un "philosémitisme d'Etat" ou Tariq Ramadan qui n'exprime aucune solidarité avec les victimes des attentats parisiens.
On peut comprendre la volonté de dialogue de la LDH. On comprend plus difficilement l'affichage avec des mouvements articulés sur la radicalisation. Par exemple quand des organisations, encore le PIR, considèrent les valeurs universelles comme des valeurs seulement "occidentales", ne se reconnaissent pas dans la laïcité ou ne se hissent pas au premier plan du combat pour l'égalité entre femmes et hommes.
La question qui compte consiste à savoir comment lutter ensemble contre le racisme. Mobilisera-t-on autant si une mosquée brûle ou si c'est une synagogue qui flambe ?
Comment la LDH a pu laisser dire "ni Charlie, ni Paris" ? Comment a-t-elle pu laisser appeler à "battre la gauche" lors des élections régionales ? Car tels sont certains des messages qui ont été entendus à la suite de la réunion de Saint-Denis...
Il faut revenir au dialogue sur les bonnes bases. Pas celles de la division ou de la hiérarchie dans le malheur. Quand le front antiraciste se fissure, ce sont alors les racistes qui peuvent se donner fière allure.
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