Un soir de novembre 1995... A l'époque je bossais dans un bar du quartier latin le week-end. Je rentrais par le bus de nuit jusque dans ma chambre de bonne dans le 17ème arrondissement. J'allume la radio. France info ne suffisait que deux journaux toutes les heures. A cette heure, normalement on aurait dû avoir de la musique. A la place, un journaliste qui parle. Il se passe donc forcément quelque chose... "Si vous nous rejoignez, nous vous rappelons de l'information de la nuit : Le Premier ministre israélien, monsieur Yitzhak Rabin a été assassiné ce soir à Tel Aviv". Le choc.
Le lendemain, dimanche, un rassemblement improvisé se fait aux abords de l'ambassade d'Israël. Le ciel est bleu, mais les mines sont grises et pour certains, les yeux sont rouges.
Très vite, on connaît l'identité de l'assassin. Non, ce n'est pas un Arabe, c'est un Israélien. Un militant d'extrême droite. Le lundi matin, nous avons la réunion hebdomadaire du bureau national du Manifeste contre le FN, rue Rébeval dans le 19e arrondissement. Un de mes amis analyse froidement la situation en disant : " Ca y est, Israël est devenu un Etat comme les autres, il connaît la barbarie ".
La génération de nos parents avait connu probablement un choc comparable avec les assassinats de John Kennedy et son frères Bob ou encore celui de Martin Luther King.
La nôtre, avait assisté avec un espoir renouvelé mais tempéré à toute la séquence qui s'était ouverte depuis les discussions de Madrid jusqu'aux accords d'Oslo. La poignée de main sur la pelouse de la Maison Blanche en 1993, entre Rabin et Arafat sous le patronage de Bill Clinton allait, à coup sûr changer le cours de l'Histoire. On se souvenait tous de l'hésitation du Premier ministre israélien. Une fraction de seconde, puis, le militaire s'était transformé en soldat de la paix.
Né dans les années 70, les Accords de Camp David avaient fait partie de nos premiers souvenirs d'actualité internationale. Puis il y avait eu Sabra et Chatila, le terrorisme, l'Intifada... Peut-être que cette fois, ça marcherait...
Rabin n'était pas un héros prédestiné. L'Histoire s'était emparée de lui et il y avait laissé quelques blessures. Il s'était battu militairement pour son pays puis il avait dirigé son parti avant de se battre à nouveau pour son pays, politiquement cette fois.
Rabin portait déjà le prénom d'une promesse. A la vieille Sarah, stérile, un enfant avait été promis. Elle avait ri en apprenant la nouvelle. Alors on lui avait qu'elle devait appeler l'enfant "Il rira", la signification du prénom en hébreu.
C'était un homme de gauche. Ses parents étaient venus d'Europe orientale. Lui était né dans la Palestine mandataire de parents militants actifs de la gauche sioniste. Il voulait devenir ingénieur agronome, spécialisé dans l'irrigation, mais l'Histoire allait en décider autrement.
Il ne fut pas assassiné par un terroriste arabe, mais par un Israélien, militant d'extrême droite. Nous n'avons pas oublié le climat de haine qui secoua Israël à cette période où des rabbins priaient pour qu'il meure, où il était grimé dans les manifestations auxquelles le Likoud participait en officier SS... Nous n'avons pas oublié la folie qui s'était emparée du pays et qui déboucha sur un terrible passage à l'acte.
Lui qui disait qu'il fallait lutter contre le terrorisme comme s'il n'y avait pas de processus de paix et lutter pour la paix comme s'il n'y avait pas de terrorisme, n'était un orateur qui enflammait les meetings, mais il avait la peau tannée autant par le travail des champs que par le labourage des champs de bataille. Quand on a fait la guerre, on sait de quoi on parle et on sait le prix de la paix. Un peu comme les anciens chefs du Shabak ou du Mossad qui ces dernières années sont sortis de leur silence pour dire que pour toutes les raisons du monde l'occupation et la colonisation devaient cesser.
Aujourd'hui, tout a été dit ou écrit sur la paix. Cette paix des Braves qui tarde à venir au point que radicaux des deux pays sont alliés dans le refus de dépasser la haine. Les voix des colombes sont couvertes par les cris des faucons. Le cynisme règne... La radicalisation se répand. Mais personne ne peut accepter une seule seconde que Rabin soit mort pour rien, lui qui n'avait perdu aucune guerre.
Faire vivre la mémoire et honorer l'homme c'est tout faire pour réaliser son rêve, parce que c'est aussi celui de millions d'hommes et de femmes.
Commentaires