La nouvelle leçon d'histoire du professeur Corbière porte cette semaine sur l'hommage que le Parti socialiste a rendu à Guy Mollet à l'occasion des quarante ans de la disparition du dirigeant socialiste qui fut le numéro un de la SFIO entre 1946 et 1969.
Moquant l'hommage, il tombe dans la facilité en accusant le PS de molletisme : "discours à gauche, pratique gouvernementale de droite".
Il est vrai que ses propres amis à la Région Ile-de-France votent avec la droite UMP contre l'ensemble de la gauche au moment du budget.
Les socialistes n'ont pas attendu cette leçon pour faire eux-mêmes l'inventaire des années Guy Mollet. Dès 1958, plusieurs scissions se produisirent car beaucoup de socialistes ne se reconnaissaient pas dans la politique menée en Algérie ou le soutien à de Gaulle. Mais le Parti communiste lui-même, ne fit-il pas le choix stratégique de soutenir de Gaulle en 1968 ? Quand à sa politique "coloniale", ne fut-elle pas ambigüe ?
En réalité, pas plus tard qu'au congrès d'Epinay lorsque sous la férule de François Mitterrand, un Parti socialiste nouveau s'engagea plus un Programme commun de gouvernement avec un Parti communiste qui n'était pas n'importe quel Parti communiste.
Car le camarade Corbière, formé à l'antistalinisme dans les organisations de masses qu'étaient les mouvements trotskystes des années 80-90, connaît très bien ses classiques. Il a lu le fameux Sans patrie ni Frontières de Jan Valtin, il connaît chaque page d'Hommage à la Catalogne de George Orwell, il a du essuyer quelques larmes devant Land and Freedom ou s'amuser devant Rouge baiser... Il connaît parfaitement ce qu'était ce PCF avec lequel Guy Mollet ne voulait pas s'allier.
Ca ne parle plus à grand moment, mais avant le Front populaire, ce moment formidable de l'alliance des gauches contre le fascisme, au Chili, en Espagne et en France, il y eut cette sinistre "Troisième période" où les communistes voyaient dans les socialistes les alliés du nazisme.
Il sait comment le POUM qui aurait eu 80 ans cette année, comme les anarchistes de la CNT furent massacrés par le NKVD et ses agents notamment en Catalogne en 1937.
Il se souvient des grands procès de Moscou en 1936-1937, les procès Slansky et Rajk en 1949-1952…
Il se souvient du Coup de Prague en 1948, de l'insurrection berlinoise de 1953, de celle de Budapest de 1956, de la censure du Rapport Khrouchtchev la même année, de Prague en 1968, des grèves polonaises de 1971, etc… Sans parler de l'Afghanistan.
Le Parti communiste a changé. Ce n'est plus celui de Maurice Thorez et ses successeurs immédiats, contemporains de Guy Mollet. Ce n'est plus celui de Jeanette Vermeersch-Thorez et ses idées rétrogrades sur les femmes et l'IVG...
Jean-Luc Mélenchon, se piégant lui-même si souvent par ses emportements rhétoriques n'est pas en reste. Même sur les réfugiés, il a pris une position bizarre : estimant qu'accueillir les réfugiés n'était « pas la réponse au problème », il a estimé sur RTL le 11 septembre dernier, que « le vrai réalisme, c'est de bloquer les causes du départ. C'est pas d'empêcher les gens d'arriver, c'est de les dissuader de partir ». Il aurait pu choisir une autre date pour faire cette déclaration !
Depuis le départ de Georges Marchais et l'arrivée de Robert Hue et ceux qui ont pris la suite, le PCF a en effet changé. Il n'est plus stalinien. Il a été capable, avec de très grandes difficultés d'assumer ce qui dans son histoire était assumable.
Le PG, trotskyste par essence, par culture, par nature, est donc la seule organisation historiquement antistalinienne qui assume ou passe sous silence un héritage qui non seulement n'est pas le sien, mais qui fut combattu et pas seulement dans des joutes oratoires dans les amphis. Face a un danger qui ne fera pas de distinction entre gauche réformiste et gauche radicale, oui, "nous ne sommes pas neutres".
Ils veulent, comme d'autres, rejouer la partition d'un "front unique", mais qui serait "contre" le PS. Dans cette folie, il ne leur manque plus que l'alliance avec la droite, puisqu'ils ont le même adversaire. Pourtant, on l'a vu en Grèce ou au Portugal, la gauche dans son ensemble est majoritaire en voix. En Grèce, la scission dans Syriza a conduit à l'impuissance de l'Unité populaire - un si beau nom - qui ne pèse sur rien. Pire, "pour eux", le Pasok a retrouvé des couleurs, et avec To Potami, ils constituent une majorité numérique à la Vouli, même si Tsipras a reconduit son alliance avec la droite radicale. Au Portugal, l'extrême gauche devance l'alliance PCP-Verts, le PS gagne 11 nouveaux députés, mais là encore, sans alliance à gauche, c'est la droite, même sans majorité absolue, qui passe.
Un jour où je l'interpellais sur le sujet, le camarade me répondit "le Mur de Berlin est tombé". Il faut croire qu'avec les gravats, tout a été emporté !
Pourtant, à la même période, en France, l'idée du rassemblement de la gauche pour contrer la montée du Front national ne soulevait pas de critiques. Quand le FN s'emparant de mairies dans le sud de la France en 1995 et qu'il contribua à l'élection de présidents de régions de droite en 1998, les initiatives unitaires ne se comptèrent pas sur les doigts d'une main. De la LCR au PS, chacun avec sa spécificité, avec son histoire, sans amalgames, faisait front contre le Front. L'unité de la gauche contre le fascisme, ce vieux mécanisme apparu après le 6 février 1934 sut se faire. En effet, il ne fallait pas, même dans un contexte politique différant, commettre les mêmes erreurs et faire preuve du même aveuglement que le Parti communiste allemand d'Ernst Thälmann dans les années 30 face à la montée du nazisme. Et prendre prétexte de l'assassinat des leaders spartakistes par un gouvernement dirigé par des sociaux-démocrates n'était pas un argument - surtout si on se souvient qu'après octobre 1917, il n'était pas certains que des sociaux-démocrates russes aient été épargnés par la Tchéka ou d'autres unités... Mais il ne sert à rien de remuer tout cela.
Quand on est un socialiste défroqué, gommer son passé et l'échanger contre un autre, fût-il par certains aspects peu honorable, est une faute. Au Parti de gauche, dans la bonne tradition lambertiste, on a l'obsession de l'Histoire. Donc tout ce qui se fait ou se qui se dit n'est pas le résultat d'une inconséquente ignorance. Si ces camarades avaient tiré "quelques enseignements de leur histoire", ils ne lui tourneraient pas le dos, sauf à être cynique.
La politique d'aujourd'hui et les débats stratégiques pour demain ne se satisfont pas de querelles d'historiens qui n'intéressent qu'une poignée de personnes qui ne se satisfont pas de la pensée molle tellement dominante aujourd'hui...
Une question simple est posée aujourd'hui au Peuple de gauche dont personne n'est propriétaire, ce peuple de gauche qui n'a besoin d'aucune avant garde éclairée, elle-même aveuglée. Cette question, celle de l'unité face à la droite extrême et l'extrême droite est une question sérieuse. Le bilan de nos régions n'est pas un paillasson sur lequel la gauche doit s'essuyer les pieds. Cà, on l'attend de la droite. Logiquement.
Tourner en dérision la question de la popularité du "bloc réactionnaire" en faisant comme si tout n'était qu'une "question économique" - on ne pensait pas la gauche radicale si clintonienne - fait penser au 21 avril 2002, à ce moment où tant de personnes pensaient que le candidat socialiste serait "naturellement" qualifié au second tour et qu'il était possible de cultiver ses petits particularismes afin "d'envoyer un signal". Mais on devient blasé.
Et il est confortable de n'accuser "que" le Parti socialiste et d'en faire le responsable de tout ce qui arrive. C'est aussi une attitude assez "consumériste" dans laquelle on se cantonne à la confortable posture de commentateur voire de procureur à temps complet.
Mais dans les régions où toute la gauche partage le même bilan, où elle a œuvré ensemble au bien être commun, les socialistes ne doivent pas laisser faire. Ils le doivent aux gens. Si la politique au plan local ne doit pas faire oublier ce qui se fait au plan national, ne se focaliser que sur le plan national est une parade commode pour faire l'impasse sur ce qui se fait au plan local. Hors c'est là qu'on est au plus près du quotidien.
Au final, c'est cela qui compte, changer la vie des gens. On le fait par l'action, plus que par l'incantation.
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