En ce jour où les Etats-Unis honorent la mémoire de Martin Luther King comme chaque année en janvier, je voudrais parler d'un homme sans histoire, au moins jusqu'ici...
Il est devenu un symbole malgré lui, un héros sans préméditation. Ce que les juifs ashkénazes appellent un "Mensch", un homme d'une grandeur d'âme. Lassana Bathily était arrivé du Mali, sans papiers. Il avait fini par trouver un boulot dans cet hyper casher de la Porte de Vincennes, une de ces enseignes qu'on ne loupe pas dans Paris. Probablement que dans la clientèle, la plupart des gens ne le remarquaient pas, ne le considéraient pas. Ne voyaient en lui qu'un ouvrier docile peut-être. En tout cas, ne s'intéressaient pas à lui. On voit ça dans plein de restaurants aussi. Des moments de contraste : imaginez un restaurant casher où des familles entières viennent manger, refaire le monde et peut-être parfois dire des choses dures, là à quelques mètres du cuistot, africain ou pakistanais, qui pour eux, est un invisible.
Qui s'intéresse au petit personnel de nos jours ? Ca me rappelle cette scène assez drôle du film Comme un aimant d'Akhenaton où on voit ces vieux Italiens qui veulent féliciter le cuisinier qui a réalisé l'excellente sauce et les succulentes pâtes qu'ils viennent de manger et ils découvrent, un peu gênés, que Foussita, c'est son nom, est noir comme de l'ébène.
Mais c'est déjà de l'interprétation alors que les faits sont simples. Ce vendredi 9 janvier, à quelques heures de shabbat, des gens viennent faire leurs courses, un terroriste les prend en otages. Un employé en sauve quelques uns en les cachant. Un être humain qui ne pense à rien d'autre qu'à sauver ses semblables.
L'histoire devrait s'arrêter là. Elle est simple et elle montre combien, dans certains moments tragiques de l'existence, quand le danger est là, là où il y aurait pu avoir lâcheté, il y a cette forme d'inconscience qu'on appelle le courage.
C'est une histoire de Juste (צדק) car ce prénom africain est une version du prénom arabe Hassan, lui-même d'origine hébraïque qui en arabe, parmi les diverses significations, (حسن) veut aussi dire "bon, bienfaiteur"... Il a répondu à la vieille question : " Suis-je le gardien de mon frère ? " Un thème biblique, mais également un sujet de société : ce fameux "vivre ensemble"...
Le récit du "Malien musulman" qui sauve des juifs est commode pour ceux qui ne vivent que de clichés. Mais ce n'est pas en ces termes que les choses se sont passées. Ce n'est pas ça qui compte. Par fois, les gens sont des êtres humains...
En tout cas, au-delà de toutes ces interprétations postérieures, il en est une toute simple. Lassana Bathily a sauvé des vies. Bien sûr, on imagine qu'il rêve de revenir à une vie anonyme et tranquille. Mais l'Histoire s'est emparé de lui et alors qu'on polémique sans fin sur Dieudonné qui parle beaucoup, voilà un homme qui a agit, en homme de paix et en défenseur de la vie.
Après ces quatre jours qui ont ébranlé notre pays, les quartiers populaires sont regardés. Avec des verres déformants parfois. On commence à mettre des mots pour écrire le discours de la méthode pour une République fraternelle où les musulmans seraient de bons musulmans... Une expression qui cache des choses assez horribles !
D'abord, il faut faire attention aux facilités de langage.
L'éducation ? Mais éduquer qui et à quoi ? Un jeune "issu des quartiers populaires" qui réussit dans ses études mais qui ne trouve ni emploi ni logement à cause de son nom de famille, ça lui sert à quoi ce discours sur l'éducation, quand, par ailleurs, un journaliste - qui donc a fait des études - parlent au journal télévisé d'un jeune "de père français et de mère musulmane" ?
C'est aussi un travail sur les représentations et sur les symboles. La désacralisation de la fonction d'enseignant au cours des années, la tendance à tout banaliser, à tout relativiser a fini, avec l'effet amplificateur des réseaux sociaux qui sont du pain béni pour les complotistes et autres dingues, par rendre particulièrement difficile le travail d'éducateur qu'enseignants, associations ou partis politiques assuraient jusqu'ici.
Le grand œuvre du moment est assez simple : plutôt que de construire de subtils équilibres entre "communautés", il s'agit de ressouder la communauté nationale, faire en sorte que chacun y trouve sa place et que chacun fasse sa place à l'autre, puisque l'Autre est un autre Moi. En ces temps troublés, il paraît que Voltaire se vend bien. C'est très bien. Puissent les libraires mettre aussi Levinas en bonne place également !
Lassana, tu étais déjà un frère, te voilà maintenant un compatriote. Bienvenue !
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