Toujours compliqué de se lancer dans des comparaisons de systèmes politiques différents ou de traditions pas tout à fait les mêmes… Pourtant, depuis plusieurs mois, on dirait que les socialistes français, de quelque côté de la fronde qu’ils se trouvent, sont marqués par une dérive qui n’est ni droitière ni gauchiste, mais simplement travailliste.
Le travaillisme c’est ce courant de gauche, socialiste, qui s’est organisé autour des syndicats et des clubs de réflexion, puis qui s’est doté d’une représentation parlementaire et donc, d’un parti politique. Les travaillistes britanniques ont gouverné assez tôt dans leur histoire et, histoire coloniale oblige, on retrouve cette forme politique en Israël, en Nouvelle-Zélande et en Australie.
Ce sont des partis qui évoluent dans des régimes parlementaires. Le rôle du groupe parlementaire est donc très central dans le parti, contrairement aux partis en France où en dehors des structures parlementaires, il existe un appareil distinct. Pour illustrer ce fait, on évoque souvent comment le PS a pu dans son histoire avoir des expressions contradictions non arbitrées sur le même sujet entre des secrétaires nationaux et des parlementaires…
Aux antipodes de nos réalités, l’Australie qui est l’une des principales puissances occidentales hors-Amérique et Europe, est un cas intéressant :
Kevin Rudd, Premier ministre travailliste de 2007 à 2010 fut désavoué par son parti, l’Australian Labor Party (ALP) qui le remplaça par son ex bras droit, Julia Gillard. Celle-ci connut les mêmes turpitudes et à cause de son impopularité dans le pays, elle demanda un vote de confiance au groupe parlementaire qui ne la lui donna pas, lui, préférant… Kevin Rudd qui redevint donc Premier ministre quelques semaines avant les élections législatives qui se transformèrent, sans surprise, en déroute pour les travaillistes.
Plus près de nous, l’impopularité de Helle Thorning-Schmidt, la Première ministre social-démocrate du Danemark avait poussé son parti à envisager son remplacement et l’exemple le plus connu reste bien sûr, le remplacement de Tony Blair par Gordon Brown en Grande-Bretagne en juin 2007. Bref, dans ces systèmes, un changement de leader, de Premier ministre se fait sous l’autorité du Parti, plus encore du groupe parlementaire, sans passer nécessairement par des élections.
Les groupes parlementaires, « fraktion » en allemand ont une puissance et une centralité dans les partis sociaux-démocrates sans commune mesure avec ce qui se passe au PS. Il y avait d’ailleurs eu une tentative en 2007 lorsque Jean-Marc Ayrault, alors président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale avait voulu muscler le travail de l’opposition en constituant un « shadow cabinet », mais cela entrait en conflit avec l’existence d’un secrétariat national statutaire au PS. Mais il s’agissait bien de renforcer la cohérence entre les parlementaires et le parti.
Si on évolue vers une république plus parlementaire, la question est de savoir si on s’éloignera des démons du parlementarisme qui en 1875 et 1940 puis de 1946 à 1958 ont renforcé les arguments des partisans du régime présidentiel. Elle est aussi de savoir comment faire évoluer les mentalités pour évoluer vers ce qui existe dans les pays anglo-saxons par exemple où le Parlement est fort, mais où existent aussi une discipline parlementaire où la cohérence importe plus que les « convictions personnelles ». Est-on sûr qu’une instabilité parlementaire permet des réformes dans la durée quand on sait que le temps court des sondages et de l’opinion, n’est pas le temps long des résultats que doivent produire des réformes structurelles.
L’autre démon du travaillisme qui ronge les socialistes français, c’est bien sûr, l’obsession de la modernisation. En un mot, l’héritage du blairisme. Mal connu en France et souvent réduit à la caricature, le travaillisme britannique et ce qu’on a appelé le blairisme sont à la fois un pragmatisme qui ne veut s’enfermer dans aucun dogmatisme et un tournant doctrinal en effet qui a été abondamment analysé.
Confronté à l’hégémonie du conservatisme thatchérien pendant 18 ans, les travaillistes ont tenté dès le début des années 80, une mise à jour de leur doctrine qui était rendu difficile par les agressions constantes de la Dame de fer à l’égard des acquis du travaillisme obtenus notamment après la victoire historique aux élections législatives de 1945. Tony Blair n’a fait que poursuivre un mouvement qui s’était engagé avant lui et il a eu une majorité pour le soutenir. Sous l’ère Miliband, la critique du blairisme a été engagée de manière timide, mais là n’était pas l’essentiel : l’époque avait changé, il fallait donc passer à autre chose.
En France, on aime les débats intellectuels et il est naturel qu’on cherche à donner un contenu théorique à des bougés même tactiques.
Ceux qui dans la gauche français rêvent encore de Blair n’ont pas compris grand chose. Le discours sur la modernité du socialisme au pouvoir existe depuis 30 ans. D’abord il fut porté par Laurent Fabius quand celui-ci, à 38 ans était le plus jeune Premier ministre de France. Il fut aussi porté sous Michel Rocard entre 1988 et 1991. Il fut enfin porté sous Lionel Jospin avec comme particularité que dans son équipe existait une rivalité productif entre un ministre de l’économie et des finances ami des patrons mais qui n’était pas l’ennemi des syndicats, Dominique Strauss-Kahn et de l’autre, une ministre des affaires sociales et de l’emploi d’une ténacité bien connue, Martine Aubry. Ainsi, dans les actes comme dans les symboles, le gouvernement Jospin donnait autant de visibilité à ses réformes économiques qu’à ses réformes sociales.
Il ne faut pas voir dans la social-démocratie un moyen d’en finir avec le socialisme, mais la méthode pour en atteindre les buts. Le rôle de forces de gauche n’est pas de compter les points à l’égard d’un gouvernement qu’elles haïssent avec passion. La défiance ne permet aucune alliance. En revanche, on peut imaginer – c’est un des éléments du Parte de responsabilité – que l’on construise les contreparties. En somme, armer les syndicats et contraindre le patronat. Ce n’est pas autre chose que dit Valls quand il invite le Medef à honorer sa part du contrat, mais cela n’a pas été retenu par les commentateurs…
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