L'homme incarnait par sa vie et son tempérament Israël pour le pire et le meilleur.
Grande gueule, soldat insubordonné, dirigeant politique charismatique et provocateur. Il est impossible pour un militant de gauche d'admirer "Arik" Sharon tant l'homme était aux antipodes de nos valeurs. Mais il a marqué son temps.
Je crois qu'il fut l'Israélien le plus détesté en dehors de son pays et l'homme de droite le plus haï dans son pays.
Sharon, le général le plus connu avec Moshé Dayan et Itzhak Rabin fut connu à la fois pour son insubordination et le crime de guerre que furent les massacres de Sabra et Chatila. C'était en 1982, Tsahal menait une guerre au Liban et soutenait les milices chrétiennes qui perpétrèrent ce massacre sous l'œil des soldats israéliens qui ne bougèrent pas. La réprobation en Israël fut générale. Sharon qui était ministre de la défense et qui avait poussé à l'opération militaire au Liban fut jugé et La déchéance de Sharon en 1982 ne fut pas anecdotique : des centaines de milliers d'Israéliens ont manifesté contre la guerre au Liban et celui qui était alors ministre de la défense et qui avait tout fait pour qu'Israël s'engage dans cette sale guerre, fut jugé et sanctionné.
Mais quelques années plus tard, il revint sur la scène politique et s'imposa comme l'homme fort de la droite israélienne. Cette droite intransigeante des héritiers de Zeev Jabotinsky, l'ennemi juré de David Ben Gourion et fondateur de l'Irgoun et théoricien du "sionisme révisionniste" dont l'emblème représentait un fusil sur la Palestine et la future Jordanie avec comme slogan "seulement ainsi" ("Rakh Kach" en hébreu).
Ariel Sharon fut à bien des égards un des personnages les plus passionnément détestés de son temps. Il marquait un de ces épisodes de "la fin de l'innocence" de l'Etat hébreu.
Contrairement à Shamir, Sharon n'a pas servi dans les rangs de l'Irgoun, mais dans ceux de la Haganah, mais très tôt, il s'illustre par sa brutalité envers les populations civiles palestiniennes.
A la tête de l'unité 101 puis dans l'opération Paix en Galilée et jusqu'à sa rupture avec le Likoud, "Arik" Sharon fut un obstinément opposé à un règlement pacifique du conflit israélo-palestinien.
Opposé à un Etat Palestinien, il raisonna toujours plus en militaire qu'en homme politique. C'est ce qui le conduisit à évacuer la Bande de Gaza, comme il avait exécuté la décision de Menahem Begin d'évacuer le Sinaï. On se souvient de ces images assez choquantes de colons radicalisés qui reproduisirent dans leur sortie, les images du ghetto de Varsovie !
Pour les militants de gauche, amis d'Israël et de la Palestine que nous sommes, c'était un peu l'anti Rabin. Car en succédant à Menahem Begin dans le rôle de leader charismatique de la droite - mettant la lumière par son autorité sur les carences et les limites de Netanyahu. L'affrontement entre les deux hommes n'a pas été - vu leurs caractères - une partie de plaisir. Rabin sut déposer les armes et faire des gestes significatifs pour la paix et il l'a payé de sa vie.
De cette génération qui a connu les premiers temps de l'Etat hébreu, Sharon était le dernier grand leader de droite. Une droite israélienne qui aujourd'hui, bien qu'hégémonique, fragilise son propre pays. D'ailleurs, par pragmatisme, il avait terminé sa vie politique au centre en fondant un nouveau parti... Mais, que de temps perdu ! Que de sang répandu !
Un héros pour la droite israélienne, celui qui a retardé et compliqué l'avènement de la paix pour la gauche israélienne, un cauchemar pour les Palestiniens.
En méditant sur l'histoire de cette tête brûlée, le "bulldozer" comme tout le monde le surnomme, les partisans d'une paix juste et durable au Proche-Orient savent qu'on a déjà changé d'époque. Il y a eu depuis les révolutions dans le monde arabe, l'aggravation de la crise sociale en Israël et la lassitude des peuples qui laissent aux dirigeants politiques l'alternative entre la paix et le chaos.
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