J'aime beaucoup la "une" de l'Obs de cette semaine. Elle dit tout. Elle pointe juste. "Oui" Soral, Dieudonné et Zemmour sont les trois faces d'une même réalité. Une pensée réactionnaire, un discours identitaire, non pas pour revisiter une histoire et porter de nouvelles revendications que l'ensemble du pays pourrait porter, mais pour construire de nouvelles barrières. Bien sûr, elle en fera bondir plus d’un. Autant l’association « Soral-Dieudonné » est acquise pour un public politisé, autant elle ne parle pas à ceux qui ne veulent voir dans M’Bala M’Bala qu’un humoriste un peu dérageant. Mais l’humoriste déragé qu’est devenu le bonhomme a aussi à voir avec Eric Zemmour car il s’agit là des trois visages d’une pensée réactionnaire par ailleurs à la mode.
Zemmour est un vrai intellectuel. Un réactionnaire assumé. Un nostalgique de cette France d’avant où on s’intégrait, à laquelle on s’assimilait. L’intérêt de la pensée zemmourienne c’est qu’elle est articulée, intellectuellement structurée, mais complètement erronée au point que l’homme, emporté par sa verve, n’hésite pas à tordre un peu les événements. Si la pensée zemmourienne n’est pas raciste, elle le nourrit car elle milite pour une restauration de la domination historique de l’Occident sur le reste du monde alors qu’on a changé de période.
Oui le repli identitaire, la nostalgie, la transgression sont à la mode et dans la « dieudosphère », cela a été maintes fois analysé, il y a à la fois d’authentiques fachos et d’innocents citoyens dont la seule faute est de ne pas passer le même temps que les militants ou d’autres observateurs à décrypter gestes et propos en en mesurant la portée.
Depuis plusieurs jours j’observe avec intérêt les réseaux sociaux, là où la parole est parfois tellement libre qu’on en perd l’équilibre tant les déversements de haine sont nombreux.
Impossible aujourd’hui dans un dîner ou dans une réunion de parler d’islam, du Proche-Orient ou de racisme sans que ça parte en vrille.
Ne plus être indifférent à l’indifférence
Le morcellement identitaire est là. Depuis plusieurs années. Antisémitisme, islamophobie, négrophobie etc... Porter son identité avec ses blessures de l'histoire en pendentif comme un grigri qui permettrait de mettre l'œil à l'autre.
De plus en plus on entend ces discours d'indifférence ou de relativisation. "L'esclavage ? - Oui, mais c'est avant tout les Arabes qui l'ont pratiqué". "La Shoah ? - C'est un truc d'Européen".
La saturation de l’espace médiatique de ces propos depuis les années Sarkozy fait qu’on ne s’offusque plus. De l’autre côté, on banalise.
L’antiracisme a été tellement critiqué par toute une palanquée d’intellectuels et de dirigeants de droite sans que personne ne riposte jamais qu’aujourd’hui, les réactions au racisme sont souvent poussives et tardives, sans effets durables sur les consciences. Bref, comme on l’écrivait récemment, « racisme, la voix est libre ! ».
La Haine, le film de Mathieu Kassovitz dont s’insire la « une » de l’Obs, avait été en 1995 un film fondateur et à le revoir aujourd'hui, il garde une superbe actualité. Un noir, un juif, un arabe. Vivant dans la même cité, partageant la même culture.
Certes c'était "avant". Avant l'assassinat de Rabin, avant la seconde Intifada, avant l'explosion des actes antisémites en France, avant le 11 septembre...
18 ans après, dans un autre film, La Cité rose, on est passé du noir et blanc à la couleur, mais toujours cette ceinture de fer qu’est le périph entre « Paris et la banlieue ». Depuis, il y a eu beaucoup de films, donc souvent des œuvres sans intérêts ou caricaturales comme Banlieue 13 par exemple qui proposent soit une vision apocalyptique soit une vision cloisonnée des quartiers populaires. Il est possible d’y vivre plus ou moins bien, mais s’intégrer au reste de la société ne va pas de soi.
Or, quand on réfléchit à cette histoire, en écoutant les gens "partisans" ou bienveillants envers "la quenelle", il faut évoquer quelques éléments très importants.
C'est très facile de crier avec les loups. Chaque dirigeant politique, surtout en période de campagne s'applique à être plus anti dieudonniste que son voisin. Le problème n'est pas d'être "contre Dieudonné" - aucun démocrate ne peut lui trouver de circonstances atténuantes. Le problème n’est de pas jeter un regard de dédain sur son public.
De quoi parle-t-on ? Pour toute série de gens bien intentionnés, il a un ressenti du « deux poids deux mesures » dans la vie quotidienne. L’impression qu’ils ne sont pas assez pris en compte. Quand Serge Letchimy a taclé Guéant sur les civilisations qui ne sont pas égales, les réactions de solidarité furent tardives et timides. Pour Taubira ce fut la même chose. Pour Dati, ce fut aussi le service minimum.
Pour ces populations mélangées, qui ne respectent pas les codes des gens surconscientisés qui politisent tout, elle se disent qu’il y a un mot pour le racisme antijuif alors que le mot pour le racisme anti arabo-musulman est lui contesté. Ce n’est pourtant pas parce qu’on ne nomme pas les choses qu’elles n’existent pas. Beaucoup de gens qui voudraient qu’on parle d’islamophobie ou de négrophobie parce qu’à leur yeux, le terme de racisme » n’est plus assez opérant, souhaitent juste qu’on ne minore pas leurs soucis. Au risque de choquer, je dirais qu’un jeune juif peut à tout moment souffrir du racisme, subir des insultes et se faire cogner dessus, sans avoir les mêmes difficultés que son copain ou son voisin noir ou maghrébin qui, en plus des insultes, doit trouver un boulot ou un logement. C’est, du point de vue de ces citoyens là dur à vivre. Tant pis si on leur dit que Manuel Valls avait dans ses conseillers les plus proches à Evry des noirs ou des maghrébins ou que son porte parole dans la primaire était un conseiller régional du Val d’Oise d’origine malienne, la réalité du parcours de Valls a été gommée par un « off » qu’en homme de communication il aurait pu éviter. Mais ça reste ! Pourtant qui n’a pas, dans l’entresoi d’une conversation amical, repris par dérision ou humour tel terme qu’il n’aurait pas accepté de la part d’un inconnu ?
Il y a aussi des amalgames qui nourrissent la crise. La montée des tensions conduit à ce qu’on trouve par exemple – c’est probablement rare, mais ça existe - dans quelques familles antillaises des discours du genre « nos enfants se mettent avec des femmes musulmanes et ils se convertissent, alors nous les perdons ». Dans des familles maghrébines un discours antinoir (le film Rengaine relate cette réalité avec talent). Dans des familles juives une arabophobie à l’égard de gens dont par ailleurs on partage toute la culture quand on est séfarade.
Que dire à ces jeunes des quartiers populaires ? Tous antisémites ? Tous dieudonnistes en leur âme et conscience ? Quelque soit leurs origines ou leurs colères, ils dansent sur les mêmes musiques, ils aiment les mêmes films.
Si la République c’est l’égalité, il faut lutter contre « le deux poids deux mesures ». L’empressement que l’on a mis à dénoncer, doit être tout aussi fort pour dialoguer et retisser les liens du respect et pour cela, il ne s’agit pas d’aller parler à ces gens comme à des enfants, mais de rassembler tout le monde et de s’écouter.
Il y a des coins de France comme Sarcelles ou l’est parisien dans lesquels des élus locaux ou des militants associatifs, même avec des moyens limités le font. Il faut amplifier ce mouvement, avant qu’il ne soit trop tard pour se parler.
Bonjour,
Au sujet de l’esclavagisme comment expliquez-vous, vous qui avez un peu côtoyé Dieudonné, qu’il ait pu tomber dans le piège tendu par ce genre d’individu : http://www.une-autre-histoire.org/david-duke2/ ?
En effet quand je relis d’anciennes déclarations de Dieudonné, je constate que les arguments qu’il utilise pour démontrer un « monopole juif de la traite négrière » sont tous échafaudés par des théoriciens néo-nazis, mais il me semble également (au regard notamment de son parcours idéologique) qu’il n’avait aucune conscience de l’origine douteuse de ses arguments…
-Ernest ( http://www.youtube.com/watch?v=PjLwHzSsrDk )
Rédigé par : Ernest Tuppie | 11 janvier 2014 à 15:32