Le texte qui suit a été modifié et actualisé
pour publication aujourd'hui sur le site du Hufftington Post
Le choc des événements conduit aux pires confusions mais il peut donner aussi un sens aux choses.
Comme une ruse qui nous force à regarder les choses dans leur totalité.
Ainsi le mouvement antiraciste qui se mobilise en France contre les délires antisémites de Dieudonné. Le gouvernement est à la pointe d'un combat qui jusqu'à maintenant ne se livrait que dans les tribunaux face à un public parmi lequel il y a ceux qui ne comprennent pas et ceux qui assument...
La thèse antisémite est classique. "La France est aux mains d'un système au sommet duquel il y a..." Pour la renforcer on entame le couplet du "deux poids deux mesures" sans qu'on ait entendu beaucoup les mêmes défendre d'autres causes que la leur. Est convoqué tout aussi mécaniquement Israël et sa politique.
Or cette semaine, un cap peut être malheureusement franchi.
Arno Klarsfeld a commis une erreur. En incitant à créer la pagaille dans les spectacles, il suggère des troubles à l'ordre public. Dans les organisations appelant à la manifestation de Nantes, il n’y a pas que des modérés. Le Betar qu’on avait cru mort depuis le départ de Jacques Kupfer au Likoud mondial et siphonné par la Ligue de défense juive – une organisation classée comme « terroriste » aux Etats-Unis et interdite en Israël, appellent aussi. On sait comment ça se passe. Des groupuscules radicaux ne représentent pas la majorité des opinions d’une manifestation, mais pour peu qu’il y a des slogans racistes ou des violences, cela fait image.
Convaincre les partisans de Dieudonné qu’ils se trompent, lutter contre les idées radicales ne les fait pas monter si on fait preuve de pédagogie. Il ne s’agit pas d’installer l’idée qu’il y a un mur, alors que dans quelques mois, coup sur coup sortiront sur les écrans deux films sur le meurtre d’Ilan Halimi, l’un réalisé par Richard Berry et l’autre par Alexandre Arcady. J'ai très peur, dans certains coins, des conséquences de certains effets d'optique... Mis bouts à bouts, les actions de la Tribu Ka, le meurtre du gang des Barbares et les spectacles de Dieudonné marquent certains esprits et pas pour le meilleur.
Il ne s’agit pas non plus de se trouver quelques bons noirs qui dénoncent Dieudonné. Ceux-ci défendent leurs principes et la République au sein de laquelle nous n’avons que des frères, qu’ils soient juifs ou non. C’est vraiment de vivre ensemble dont il est question.
Nantes n’est pas n’importe quelle ville et on n’est pas dans n’importe quel contexte.
Nantes fut l’un des ports négriers les plus importants de France et le travail de mémoire y a été accompli notamment grâce à Jean-Marc Ayrault et un homme, Octave Cestor à qui on doit le formidable Mémorial de l’abolition de l’esclavage qui se situe sur la passerelle Victor Schoelcher. Inauguré en 2002, c’est le premier lieu de mémoire consacré à la traite négrière de ce type en Europe.
Imaginons qu’en marge de la manifestation, ce lieu soit tagué ou occupé !
Le contexte n’est pas n’importe quel contexte. La récente manifestation d’immigrants africains à Tel Aviv donne, avec la force des réseaux sociaux, un caractère de proximité à l’événement qui est à la fois un question de politique intérieure israélienne et une question sociale pour l’ensemble des démocraties développées : comment gérer les flux migratoires ?
Certains trouveront que ça n'a rien à voir. Et pourtant si. Avigdor Libermann s'est inquiété des histoires de quenelle en France là où le quotidien de gauche Haaretz a estimé que la pédagogie était plus efficace que l'interdiction. Pendant ce temps, trente mille Africains ont manifesté dans les rues de Tel Aviv, à l’échelle d’un pays de sept millions d’habitants, c’est du jamais vu et le moins qu’on puisse dire c’est que ça ne passe pas inaperçu. Ce fut l’occasion de dénoncer le racisme et les politiques d’exception, mais la liste s’allonge depuis les discriminations à l’encontre des juifs éthiopiens dans les années 80 jusqu’à aujourd’hui : contraception forcée, rejets par d’autres communautés, destruction des stocks de sang à cause soupçons de contamination du VIH… La députée de Yesh Atid, le parti centriste de Yaïr Lapid, Pnina Tampano-Shata, d’origine éthiopienne, mais arrivée à l’âge de trois ans s’est vue refuser la possibilité de donner son sang. (Lire le billet de Mediapart)
Bon, c'est vrai, pour la première fois, en 2013, la Miss Israël, Yityish Titi Aynaw, une noire. On a envie de dire : "et alors ?"
Si la longue marche des juifs éthiopiens n’est pas finie, comment peut-on imaginer que des immigrants plus récents soient intégrés ?
La propagande a la vie dure : Israël est un pays aux fortes inégalités et bien que la Loi du Retour autorise tout juif à y émigrer, le pays n’échappe pas aux vents mauvais de l’ultralibéralisme et des conservatismes de tous poils. Les juifs marocains par exemple en savent quelque chose, sans parler des familles françaises qui ont fait leur alyah sans qu’on ne sache jamais combien reviennent, déçues…
On voit bien que derrière, il y a le souci de « préserver » une certaine « homogénéité » du pays. Mais toute l’Histoire du pays, depuis les origines, montrent que c’est par le travail et l’armée que les gens s’y sont intégrés.
Il ne faut pas avoir peur de critiquer ces politiques racistes. On ne peut pas les condamner si elles avaient cours en France et les tolérer dans d’autres démocraties.
Dans cette maladie qu’est le rejet de l’autre, il y a un vaccin à inoculer et dont les rappels sont indispensables : l’éducation, le respect de l’autre et la vie en commun. Bref, la République en actes.
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