C'est le coup de gueule de la semaine. Quelques millions de musulmans en France, selon certains - quoiqu'on ne fait pas dans la statistique de ce genre chez nous. Une présence dans notre pays depuis plusieurs décennies, une majorité écrasante composée de toutes les nuances entre "musulmans de culture" qui font quelques fêtes et musulmans très pratiquants. Une diversité des traditions puisque les pays d'islam sont eux-mêmes divers entre les pays du Maghreb, ceux d'Afrique noire et les autres. Malgré tout, depuis des années, il semble que l'islam en France pose problème - ou plus précisement, c'est un problème pour certains.
Depuis les années Sarkozy, pas une année sans une déclaration, une controverse, une stigmatisation qui s'ajoute à la longue liste des propos tenus par des dirigeants politiques ou des commentaires de journalistes qui illustrent une ignorance crasse, des préjugés tenaces et en fait l'idée que pour beaucoup de gens en France, en définitive, être musulman et Français, tôt ou tard, c'est incompatible.
On en est au énième débat sur le voile avec comme conséquence une image de la France écornée dans le reste des pays européens qui ne comprennent très bien cet acharnement. Alors, par ailleurs, que des otages français sont détenus par des islamistes au Mali et en Syrie, ça ne dérange visiblement pas certains apprentis sorciers d'agiter cet été, en plein ramadan, une nouvelle controverse sur le port du voile à l'université.
Si on se met quelques instants à la place d'une jeune femme ou d'un jeune homme, né en France, se sentant citoyen d'un pays où il a pu, non sans quelques difficultés parfois trouver sa place, n'est-ce pas humiliant ou révoltant d'être sans cesse renvoyé à ses origines, obligé d'affronter des caricatures ou des préjugés ?
On ne peut même pas nommer ce fait qui existe, cette défiance voire ce rejet à l'égard d'une religion puisque le terme qui a été trouvé "islamophobie" est contesté par des gens qui y voient la validation d'un terme forgé selon eux par des islamistes. Sans se lancer dans une querelle sémantique qui ne change rien dans la réalité que vivent certains de nos concitoyens, refuser de nommer ce qui existe peut revenir dans l'esprit de certains à nier l'existence de ce que vivent ces personnes.
Ce que l'Histoire a souvent retenu des rencontres entre l'occident et l'islam est de nature conflictuelle.
Ca commence avec les invasions sarrasines du 8e siècle vécues à la suite des invasions barbares qui finirent par détruire l'Empire romain, comme un fléau en Occident comme un peu plus tard les invasions vikings. Puis quelques siècles plus tard, c'est le temps des Croisades qui sont pour l'essentiel un moment de confrontation d'une violence qui marque durablement ces deux civilisations. D'ailleurs dans l'imaginaire, le Turc, le Barbaresque, séduit autant par les charmes mystérieux de l'orient que par la férocité dont il est sensé faire preuve.
Il est encore question de conflit avec la période de la colonisation de l'Algérie. Les musulmans d'Algérie ne sont pas concernés par le décret Crémieux qui fait des juifs de ce pays des citoyens français. Ce sont, dans le dispostif colonial français, des indigènes et la guerre d'indépendance avec son cortège de violences contribue fortement elle aussi à façonner une certaine image - ayant apporté avec elle, le vocabulaire raciste employé par les partisans de l'Algérie française.
Nous sommes alors dans les Trente glorieuses. Nombreux sont les nord-africains venus construire la France qui finissent par s'y installer. Parfois les parents ne demandent pas la naturalisation, mais leurs enfants, nés en France sont donc français. Pourtant, pris entre deux feux. C'est cette génération qu'on appellera les "Beurs". Avant cela, l'intensification de la lutte palestinienne importe le terrorisme en Europe. Dans les médias, on ne compte plus les histoires de prises d'otages, de détournements d'avion ou d'attentats commis par des organisations palestiniennes - et tant pis si dans les fedayin il y a aussi des chrétiens.
Vous avez dit "chrétiens" ? La deuxième guerre civile libanaise s'invite elle aussi sur les petits écrans d'Occident pendant quinze ans, opposant plusieurs factions. C'est alors que dans les ménages l'on découvre que chez les musulmans il y a les sunnites et les chiites - ces derniers viennent de prendre le pouvoir en Iran et ils mettent en place un régime qui veut combattre l'Occident. Si on ajoute à cela l'émergence d'Al Qaeda, Ben Laden et les attentats du 11 Septembre, on obtient le tableau qui permet de penser qu'il existe, comme du temps de l'Union soviétique, un ennemi qui occupe la moitié de la planète et qui ne souhaite qu'une chose, s'en prendre au "Monde libre".
L'islam, la plus récente des trois religions monothéistes, est aussi celle qui s'est, à ce stade de l'Histoire, la moins sécularisée. Du coup, là où le judaïsme est une religion où la tradition pèse lourd et où le prosélytisme, courant dans l'Antiquité, a disparu, et où le christianisme est majoritairement aussi une religion lestée par la tradition, l'islam fonctionne encore comme un projet qui fait des adeptes. Bien sûr que dans les pays à majorités musulmanes, le poids de la tradition est puissant et même chez les non pratiquants la culture musulmane est revendiquée. Cela explique par exemple le fait qu'en Tunisie, même ceux qui sont attachés à l'émancipation des femmes, n'ont pas apprécié la provocation des Femen.
Personne n'ignore que lorsqu'on parle de civilisation "judéo-chrétienne", ça ne va pas de soi pour tout le monde et au regard de l'Histoire, ça n'a pas toujours aussi simple. Il n'est donc pas surprenant que l'intégration de l'islam à nos civilisations métissées et multiculturelles soit un problème pour certains.
Pourtant, ça fonctionne. La burqa ? Une poignée de personnes, souvent converties qui brandissent ce vêtement qu'aucune sourate ne commande de porter, comme une provocation. Les intégristes ? Un dévoiement extrémiste de l'islam pour faire d'une religion, une idéologie radicale, mais minoritaire et qui, malgré les cadavres qu'elle a entassé, reste minoritaire.
A part ça, Zidane et le couscous sont des gloires nationales.
On nous accusera de minimiser ces faits, les plus visibles, les plus problématiques et les plus médiatiques aussi. La radicalisation de certains religieux n'est pas tant le fait de la religion que la rencontre entre l'ignorance, la misère et les charlatans. Toute idéologie, toute religion produit ses extrémistes. La faim est un terreau fertile jusqu'à ce qu'on s'aperçoive que plus de barbus ne font pas jaillir des sources là où jusqu'ici il n'y avait que du sable.
Mais il est tout aussi certain que les stigmatisations incessantes sont autant d'arguments en faveur de la radicalisation. "Ils doutent que nous puissions nous intégrer, mais ils nous dénient le droit de le faire".
Les années Sarkozy ont été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase car jusqu'au sommet de l'Etat, les Français de confession ou de culture musulmane étaient montrés du doigt.
L'élection de François Hollande a représenté une rupture avec tout cela. La promesse que le rassemblement de la France se fait sur une certaine idée de la République et de la société que nous voulons construire ensemble. On ne peut pas y arriver si on donne le sentiment que les musulmans ici ou les Roms là n'en sont pas.
Rokhaya Diallo a eu la bonne idée de travailler à un documentaire qui rend un double hommage aux Marches du mouvement des droits civiques - cette année marquant le cinquantième anniversaire du fameux discours "I Have a Dream" de Martin Luther King Jr sur les marches du Lincoln Memorial de Washington et la Marche pour l'égalité, connue sous le nom de "Marche des Beurs" qui est arrivée à Paris il y a 30 ans. Ce sera l'occasion de mesurer le chemin parcouru. Tout la question est de savoir si pour nos compatriotes, amis et voisins de confession ou de culture musulmane, il s'agit d'une Longue marche à laquelle ils sont condamnés ou pas.
je prendrai Rokhaya Diallo au sérieux quand elle condamnera explicitement les dérives de Dieudonné et ça elle ne le fait pas
Rédigé par : yvette ferrand | 11 août 2013 à 08:40